« La crise syrienne n’est pas une guerre civile entre Syriens mais une guerre entre grandes puissances au travers des Syriens. »
C’est ainsi que présentait la crise syrienne de façon magistralement synthétique un homme qui ne peut être accusé d’être un suppôt du régime de Damas, lui qui dénonça en son temps l’occupation militaire de son pays par Damas. Je veux parler du Patriarche maronite du Liban et de tout l’Orient, Béchara El Raï lors de la venue du pape Benoît XVI à Beyrouth en septembre 2012.
Cette affirmation est chaque jour vérifiée un peu plus. Le nombre de combattants « takfiristes » de nationalités étrangères, notamment européennes, soutenus et armés principalement par le Qatar et l’Arabie Séoudite avec le soutien de la Turquie, de la Jordanie et des services occidentaux ayant atteint des dizaines de milliers de non syriens, prouve que nous sommes en présence d’un complot international pour renverser le régime en place à Damas, jugé indésirable par les monarchies du Golfe dont la doctrine féodale wahhabite est à l’opposé de l’islam sunnite modéré qui a toujours caractérisé la Syrie, comme la cohabitation harmonieuse entre de nombreuses confessions religieuses différentes.
Bien sûr, une frange irréductible de Syriens sunnites proches ou membres des Frères musulmans, héritiers des insurgés de 1982 à Hama, ajoutés à ceux de la révolte commencée il y a deux ans, sont décidés à renverser le pouvoir par les armes, moins pour établir la démocratie, déjà proposée dans les nouveaux textes constitutionnels, mais par hostilité fondamentale à Bachar El-Assad.
Il faut en effet prendre un peu de recul pour porter un regard serein et objectif sur cette crise dramatique, qui continue à tuer de nombreux innocents en plus des combattants des deux bords, souvent de façon inhumaine et odieuse, et remonter aux origines.
Dès son arrivée au pouvoir en 2000 alors qu’il ne l’avait pas cherché, le jeune président Bachar El-Assad s’est attelé à la tâche énorme de moderniser son pays pour l’adapter au monde présent, gêné par la conjoncture internationale qui le confrontait à d’autres priorités, comme l’assassinat de Rafic Hariri en février 2005 puis la guerre entre Israël et le Liban à l’été 2006, et par une « vieille garde », lucide contrairement à ce qui a été dit, mais obnubilée par la crainte que les libertés accordées trop vite dans divers domaines ne débouchent sur une « perestroïka » qui entraînerait le même écroulement qu’en URSS.
Le « printemps arabe » qui éclata en Tunisie puis en Égypte fin 2010 ne devait pas se produire en Syrie, qui ne présentait pas le même immobilisme dictatorial que ces pays. Pourtant, en mars 2011, des manifestations pacifiques au nom de la démocratie se produisirent à Deraa, ville aux confins jordano-israéliens, rapidement instrumentées afin de tuer manifestants et forces de l’ordre et provoquer l’enchaînement de la violence.
Conscient de la gravité des évènements, le régime engagea alors un train de réformes accélérées pour déboucher sur une nouvelle Constitution totalement démocratique, avec la suppression du parti unique et l’attribution des libertés dans tous les domaines. Ces réformes furent noyées par ceux qui n’étaient pas intéressés par la démocratisation de la Syrie mais par le renversement d’un régime qui défend depuis longtemps la cause arabe face à Israël, accueillant des réfugiés palestiniens et iraquiens par millions.
Paradoxalement, ce sont les États les moins démocratiques au monde qui sont le fer de lance des attaques pour renverser le pouvoir de Damas, États qui se voient encouragés par un Occident semblant avoir perdu ses repères, armant ou facilitant l’armement de djihadistes qu’il combat partout ailleurs dans le monde, notamment au Mali.
Mais le régime a montré sa force et sa cohésion en résistant depuis plus de deux ans à ces attaques brutales. L’armée, constituée majoritairement de sunnites, est, dans son immense majorité, restée fidèle et disciplinée aux ordres de ses chefs et avec le soutien de la population, qui l’appelle souvent pour la protéger des exactions des rebelles ; quant au monde politique et diplomatique il est aussi globalement resté à son poste.
Les takfiristes, dominant depuis des mois les mouvements rebelles, et l’opposition politique extérieure, créée et soutenue par les Occidentaux, ne parvenant ni à s’entendre ni à s’organiser, de nombreux opposants déposent les armes depuis quelques semaines, conscients que l’islam prôné par les rebelles n’est pas celui qu’ils souhaitent pour leur pays et ne veulent plus être associés à ces extrémistes.
D’autant plus qu’il existe maintenant une quinzaine de partis politiques qui proposent des programmes inspirés par la démocratie et les libertés fondamentales, et qu’un ministère de la réconciliation nationale sous l’égide duquel un dialogue constructif s’est installé est à l’œuvre depuis plus d’un an.
Le caractère international de la crise syrienne est renforcé par les soutiens extérieurs de Damas, Russie et Chine, ayant clairement signifié qu’elles n’accepteraient pas un changement de régime provoqué en Syrie, jugeant que le nouvel ordre mondial multipolarisé imposait la fin de ces affrontements par une solution négociée entre les grandes puissances. Après avoir cru possible une chute rapide du régime, l’Amérique en a convenu depuis peu et nous nous dirigeons désormais vers cette issue pacifique.
Il faut enfin que cesse la désinformation propagée par les médias d’un tyran sanguinaire qui prendrait plaisir à tirer sur son peuple, et même à employer les armes chimiques, pour aller plus vite ou plus loin dans son œuvre. La vérité est que le régime se défend contre un complot international visant à le renverser et qu’il combat des forces militaires commettant des exactions souvent insoutenables, avec l’appui de la majorité de son peuple, toutes confessions et ethnies confondues.
La « paix des braves » a été déjà proposée aux rebelles syriens et, comme je viens de le dire, a été acceptée par certains ; mais reste à régler le sort des milliers de combattants islamistes étrangers qui pourraient transporter ailleurs dans le monde leur soif de sang et de massacres odieux, au nom d’un dévoiement pervers des principes de l’Islam, alimentant dramatiquement les haines pour la noble religion des fidèles du Coran.