Le débat grandit outre-Manche sous la pression de UKIP [Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni, dont le dirigeant actuel est Nigel Farage, ndlr] et de l’aile eurosceptique des conservateurs, qui n’a pas hésité à défier David Cameron récemment. Sous leur influence, le Premier ministre pourrait bien organiser un référendum sur la sortie de l’UE, dont l’issue est très incertaine.
Entre conflits et liens qui se distendent
La position de la Grande-Bretagne devient de plus en plus délicate au sein de l’Union européenne. Londres a toujours eu une attitude ambivalente à l’égard du projet européen. En effet, dans la colonne des plus se trouve la libéralisation poussée par les traités européens, conforme à la tradition économique du pays. En outre, Londres a réussi depuis le traité de Maastricht a se construire une Europe à la carte, où elle parvient à ne pas rejoindre les politiques auxquelles elle est hostile (euro, Schengen). Mieux, Margaret Thatcher a obtenu une ristourne à la contribution du pays.
Mais la partie positive du bilan est entachée par plusieurs points très négatifs. La Grande-Bretagne est une île, très attachée à sa souveraineté et à ses particularismes, mais aussi à la responsabilité politique de ses dirigeants et par nature plutôt hostile à la bureaucratie. Du coup, le projet européen heurte de plein fouet sa sensibilité, que ce soit par la volonté d’harmonisation ou le fait de confier les pouvoirs à une bureaucratie peu transparente et irresponsable. La Banque Centrale britannique a une tradition de transparence à mille lieues de celle de la BCE, totalement opaque.
Du coup, les conflits ne cessent de s’accumuler. David Cameron a mis son véto au TSCG [Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, ou Pacte budgétaire européen, ndlr], la camisole budgétaire, qui n’a pas pu prendre la forme d’un traité de plein exercice comme prévu. Les négociations sur le budget sont extrêmement tendues puisque la Grande-Bretagne veut réduire l’enveloppe demandée par les instances européennes tout en conservant sa ristourne. La situation se tend de plus en plus et certains, dont The Economist, regrettent la marginalisation du pays en Europe.
Une sortie pour une nouvelle Europe ?
En fait, aujourd’hui, Londres a un pied dans l’UE et un pied dehors (notamment d’un point de vue monétaire, ce qui lui a permis de monétiser 375 milliards de livres de dettes publiques en quatre ans). La sortie du pays aurait un véritable impact sur la direction de la construction européenne puisque Londres est un aiguillon libéral, qui plaide pour toujours plus de libéralisation dans tous les domaines. Son départ permettrait sans doute un agenda un peu plus interventionniste, dans le cadre limité des traités.
On peut notamment penser au cas de la finance, où Londres est vent debout contre le projet de taxation des transactions financières, qui a fini par rassembler une dizaine de pays. Mais si Londres venait à quitter l’UE, les pays européens pourraient alors choisir de recloisonner les marchés financiers pour éviter que tous les capitaux partent à Londres, en Suisse ou au Luxembourg. La France, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne pourraient alors créer une Zone européenne financière coupée de la City, avec des règles beaucoup plus strictes contre la spéculation et une taxation plus élevée.
On peut également penser qu’il serait plus facile de développer des politiques industrielles sur le modèle d’Airbus, pratiques assez étrangères au pays d’Adam Smith, qui préfère la main invisible du marché. Néanmoins, il ne faut pas surestimer l’impact qu’aurait le départ de la Grande-Bretagne car il ne faut pas oublier que les traités européens ont un biais néolibéral extrêmement marqué dont il faudrait se débarrasser pour pouvoir mener des politiques différentes (protectionnisme ciblé, restrictions et taxation des mouvements de capitaux, politiques industrielles ambitieuses).
Il semble aujourd’hui de plus en plus possible que la Grande-Bretagne quitte l’Union européenne. Mais si cela changerait les rapports de force idéologiques, sans nouveaux traités européens, l’évolution serait limitée par le cadre extrêmement contraignant mis en place depuis l’Acte unique.