La Bourse de Francfort met sur le marché le 16 avril un contrat à terme sur la dette française. L’administration du Trésor, consultée, a donné son feu vert. Pire : l’Autorité des marchés financiers est écartée du contrôle de ces opérations.
Comme si l’on voulait mettre sous tutelle de Berlin le prochain président. Les marchés financiers ont déjà bousculé la démocratie à Rome, à Madrid et à Athènes. Ils empoisonnent déjà la campagne électorale française, et ce n’est qu’un début. Marianne est en mesure de révéler que ces pressions s’organisent avec la passivité, si ce n’est la complicité, si ce n’est du pouvoir politique, du moins de l’administration du Trésor.
L’histoire commence par l’ouverture lundi prochain 16 avril d’un marché à terme sur les emprunts d’Etat français, déjà annoncé par Marianne, qui va mettre de l’huile sur le feu. Créé par Eurex, une filiale de Deutsche Börse (l’homologue allemande de la Bourse de Paris), le contrat à terme permettra à partir de lundi 16 avril de parier à la baisse ou à la baisse sur les Obligations assimilables du Trésor (OAT) 10 ans, l’emprunt phare de la France.
Concrètement, n’importe qui pourra, moyennant environ 10 000 euros, miser sur une hausse ou une baisse du taux d’emprunt de la France, alors qu’avant la création de ce contrat, le ticket d’entrée s’élevait à 10 millions d’euros, la valeur d’une OAT. Grâce à l’effet-levier, on met 10 000 euros sur la table, mais on joue sur 100 000 euros, soit un levier de 10. Ce qui signifie que, par exemple, si la dette française varie d’un point, le joueur gagnera ou perdra 250 euros.
Bien sûr, les partisans du marché développent toutes sortes d’arguments rationnels pour défendre ce type d’opération : les « futures », qui existent déjà pour les emprunts allemands ou italiens, devraient permettre une meilleure liquidité (possibilité d’acheter et de vendre plus facilement) des emprunts. Actuellement les échanges sur les OAT 10 ans sont de l’ordre du milliard par jour. Cela pourrait même faire baisser les taux d’intérêts pour l’Etat français, plaident-ils. Voire, s’écrie Pascal Canfin, député européen EELV : « c’est plutôt une possibilité supplémentaire et redoutable de spéculer sur la dette, sans payer trop cher, et avec un peu de sécurité ».
Jean-Luc Mélenchon, qui prédit un assaut des marchés contre la France dès le 7 mai, dénonce, lui, à raison, « un instrument financier de chantage contre la dette de l’Etat français ».
Car le calendrier pose problème. Même si Eurex avait publié un communiqué le 24 mars pour annoncer son innovation, l’apparition de cet outil sept jours seulement avant le premier tour de la présidentielle est une vraie atteinte à la souveraineté nationale.
L’information que Marianne est en mesure de révéler est que cette opération qui pourrait mettre en danger les finances publiques a été réalisée avec l’approbation des autorités françaises !
Selon nos informations en effet, l’Agence France Trésor qui gère les émissions de dettes a été informée à la mi-mars des intentions d’Eurex. Si l’administration française ne peut légalement s’opposer à une initiative entièrement privée, comme l’a souligné François Baroin le ministre des finances dans un communiqué, il ne semble pas qu’elle ait demandé à Eurex de différer l’ouverture de son « future sur OAT 10 ans » au lendemain des échéances politiques. Elle n’a pas non plus essayé de convaincre les banques spécialistes en valeur du Trésor (SVT) dont fait partie la puissante Deutsche Bank, et qui seront les premières utilisatrices du contrat OAT, d’agir dans ce sens.
On ne peut rien imposer à ces grands établissements mais il est d’usage dans ce monde là de se parler et en général les banquiers évitent d d’embarrasser la puissance publique. Pourquoi le gouvernement français n’a-t-il pas agi discrètement dans ce sens ? Serait-ce pour que vérifier les prophéties catastrophistes comme celles de Denis Kessler, le patron de la Scor, de Marc Fiorentino qui annonce que « le 7 mai, les marchés attaqueront la France « , et même celles de François Fillon et Alain Juppé, surtout si elle est présidée par François Hollande ?
De plus, Marianne est en mesure de révéler l’énorme bourde du gouvernement : il a non seulement laissé se créer un marché dérivé de sa dette, mais il a accepté que le contrôle de ce marché stratégique lui échappe ! Car s’il y a spéculation sur la dette, ou malversation, ou simplement des doutes sur les transactions, ce n’est pas l’Autorité des marchés français (AMF) présidée par Jean-Pierre Jouyet qui sera compétente, mais son homologue allemande, la BaFin, puisque Eurex est une entreprise allemande, basée à Francfort. Il faudra donc, pour se défendre des spéculateurs, que les autorités françaises demandent la collaboration de nos amis allemands !
La mécanique semble agencée comme si on avait voulu faire en sorte que le « prochain » président qui affiche sa volonté de faire en sorte que « la démocratie soit plus forte que les marchés » soit privé de tout pouvoir et placé sous tutelle dès le premier jour. Cette perte de souveraineté explique sans aucun doute les critiques acerbes prononcées par Jean-Pierre Jouyet. « Ce n’est pas le bon signal dans le contexte actuel », a déclaré celui qui est non seulement un ami de François Hollande mais aussi ex-directeur du Trésor à Bercy, donc l’ancien superviseur de l’agence France Trésor. Un expert, en somme.