En cas de guerre avec l’Iran, des dizaines de milliers de personnes se rendraient dans le territoire occupé. Pour des raisons budgétaires, certains s’y installent pour une plus longue durée, voire définitivement.
« Tout est prêt. » Face à la frontière jordanienne, dans la partie du désert du Néguev connue sous le nom d’« Arava », au nord d’Eilat, Noam Karmeli, responsable de la commission administrative chapeautant une dizaine de petits villages agricoles, prépare lui aussi la guerre qui pourrait bientôt opposer l’Etat hébreu à l’Iran. Car c’est sur ces terres arides balayées par un vent poussiéreux que sera installé le premier des camps de tentes censés abriter les Israéliens chassés de leur domicile par d’éventuelles frappes iraniennes ainsi que par les roquettes du Hezbollah.
« Nous avons de l’espace et nous sommes prêts à aider, affirme notre interlocuteur. Nous nous préparons à cette éventualité depuis trois ans et l’on pourra compter sur nous le moment venu. Ce sera un grand moment de solidarité nationale. »
Certes, pour l’heure, l’Arava, qui porte également le nom de « vallée du soleil », est encore vide. Cependant, selon les estimations du Ministère chargé de la préparation du front intérieur (la Défense passive), environ 17% des Israéliens se précipiteraient sur les routes en cas de bombardement de leur pays. Pour canaliser ce flux qui ajouterait au chaos notamment provoqué par l’interruption des liaisons aériennes ainsi que par la perturbation des activités commerciales, des plans visant à accueillir ces « déracinés » ont donc été élaborés.
La première phase de ce programme auquel participent les ministères du Front intérieur, du Logement, ainsi que celui des Finances, prévoit l’installation de la vague initiale de réfugiés sur les terres de Noam Karmeli. Puis, dans un deuxième temps, lorsque leur nombre grandira, ils seront dirigés vers les implantations de Cisjordanie où le « Yecha », le lobby des colons, mettra tout en œuvre pour les accueillir.
Environ 560 000 personnes – soit 8% de la population – pourraient ainsi trouver refuge dans les territoires occupés. Dans des chambres chez l’habitant, dans les hôtels et les auberges de jeunesse, des salles municipales réquisitionnées, mais également dans les écoles, ainsi que dans des caravanes et des containers aménagés.
« Pendant la première guerre du Golfe (1991), près de 5000 personnes s’étaient précipitées en « Judée-Samarie » [ndlr : le nom biblique de la Cisjordanie] pour échapper aux missiles Scud tirés sur la région de Tel-Aviv par Saddam Hussein. A l’époque, beaucoup avaient préféré Eilat en raison de la proximité de cette ville avec la Jordanie, et Jérusalem en se disant que ce tyran n’oserait jamais bombarder le troisième lieu saint de l’islam », raconte Gershon Messika, responsable d’un groupe d’implantations du nord de la Cisjordanie. Quinze ans plus tard, durant la deuxième guerre du Liban (été 2006), les habitants du nord de l’Etat hébreu fuyant les frappes du Hezbollah n’avaient pas non plus été nombreux à se réfugier dans les colonies. Ils s’étaient rués dans les hôtels de Tel-Aviv et des grandes villes du sud de leur pays.
Cette fois, tout porte à croire que ce ne sera plus le cas puisque c’est l’ensemble du territoire israélien qui risque d’être touché par des bombardements. « Si cette guerre avec l’Iran éclate, elle sera différente des autres. Le pays ne constituera plus qu’un seul front pareillement exposé. Il n’y aura plus de sanctuaire sauf chez nous, en « Judée-Samarie », parce que nos ennemis ne feront rien qui puisse provoquer des dégâts dans les villages palestiniens », exulte Gershon Messika.
Un raisonnement que semble partager un nombre grandissant d’Israéliens. Ainsi, dans les colonies d’Ariel, d’Oranim et d’Alfeï Menashé, les agents immobiliers constatent une forte demande de renseignements sur les biens à louer à partir du début de l’année scolaire et pour une durée n’excédant pas un an. Idem à Maale Adoumim (grande banlieue de Jérusalem) où les appartements libres trouvent acquéreur plus rapidement que d’habitude.
« Ces « nouveaux colons » sont des gens ordinaires, laïcs et non politisés, explique Svetlana Manukin, gérante d’une agence immobilière franchisée. La plupart de ces familles tentées par une installation de l’autre côté de la « ligne verte » (la séparation entre Israël et la Cisjordanie) y songeaient depuis longtemps, mais pour des raisons économiques. Parce que le coût de la vie dans les Territoires est moins élevé que dans le reste de l’Etat hébreu, parce que les infrastructures y sont neuves, que l’on y trouve facilement des places dans les écoles et dans les crèches, et que les conditions fiscales y sont avantageuses. Cependant, la fébrilité affichée ces dernières semaines à propos d’une offensive éventuelle sur l’Iran a précipité le mouvement. Elle en convainc beaucoup que le moment de déménager est arrivé. Et que leurs proches seront plus en sécurité au milieu des Palestiniens plutôt qu’au centre de Tel-Aviv. »