La CIA forme ses agents à déjouer les contrôles de sécurité aux frontières de l’UE, d’après les manuels de l’Agence de renseignement US publiés par Wikileaks. Comme le note celui-ci, les documents, datés de 2011 et 2012, « prouvent que l’administration Obama et la CIA continuent de vouloir infiltrer les frontières de l’Union européenne, en conduisant des opérations clandestines sur le sol européen ». Sans surprise, ils sont classés « NOFORN » (pour no foreigners), autrement dit à ne pas partager avec les services d’espionnage alliés.
Pour ce qui est du contenu, on est d’abord frappé par l’extrême simplicité des instructions (du genre : avoir une bonne couverture, rester cohérent, répéter beaucoup à l’avance, ne pas transpirer trop, ne pas commencer ses phrases par « je vous le jure », ne pas avoir sur soi des appareils électroniques qui démentirait la fausse identité, éviter de se mordre les lèvres ou la tentation de vouloir fournir trop d’informations). Mais on comprend tout de suite mieux en se rappelant l’amateurisme hallucinant des agents US révélé lors des enquêtes judiciaires en Italie et en Espagne, à la suite des kidnappings en série auxquels s’étaient livrés il y a quelques années, sur le sol européen, les États-Unis.
Les agents de la CIA ont manifestement besoin de toutes les guides pratiques possibles et imaginables. Leur mode opératoire est en fait une accumulation des fautes les plus élémentaires – au point que les enquêteurs européens ont pu reconstruire tous leurs faits et gestes. Et ce jusqu’au moindre détail, presque minute par minute, y compris les amendes non payées pour avoir roulé, de temps à autre, dans les couloirs de bus.
Les espions US ne se sont pas embarrassés non plus d’enlever les batteries de leurs téléphones portables (d’où la facilité des retraçages) et n’ont pas hésité une seconde avant de passer des coups de fil à leurs familles, à leur broker ou encore au quartier général de la CIA en Virginie. Parfois ils appelaient directement depuis leur chambre d’hôtel – après tout, pourquoi pas ? Déjà que certains d’entre eux avaient également pris le soin de donner leur vrai numéro de frequent flyer (programme de fidélisation) à la réception…
Cette nonchalance peut s’expliquer, en partie (quoique cela n’excuse pas le manque de professionnalisme flagrant), par la carte blanche qu’ils auraient reçu de la part de leurs homologues dans le pays hôte (reste à connaître le contenu exact d’une telle entente). En partie aussi par le fait qu’en Europe les agents US ont le sentiment d’être un peu comme chez eux, en quelque sorte. Il suffit de rappeler qu’après avoir enlevé un imam dans les rues de Milan en plein jour, les Américains n’avaient qu’à amener celui-ci directement à la base US la plus proche, à quelques heures de route, à Aviano.
Mais c’est aussi, d’une certaine façon, beaucoup mieux que chez eux. Une fois en Europe, les agents de la CIA savent mener la grande vie. Ils descendent dans les meilleurs palaces d’Italie ou de l’île de Majorque (de l’ordre de 500 dollars la nuit), et dépensent des sommes exorbitantes en notes de frais, sans que leur couverture l’exige. Après avoir terminé leur travail (à savoir le kidnapping de tel ou tel suspect, à des fins de torture extraterritoriale), ils partent en escapade à Venise ou dans les Alpes. Toujours aux frais du contribuable.
Revenant aux récentes révélations de Wikileaks, notamment au fait que les espions US s’activent en Europe et s’y introduisent (aussi) à l’insu des gouvernements alliés, c’est toujours utile de le rappeler. Bien sûr, après l’éclatement de l’affaire Snowden/NSA, Obama a déclaré que les Etats-Unis n’espionneraient plus leurs amis européens, promis-juré. Du moins pas les dirigeants… Sauf si des raisons de sécurité nationale le demandent… Et le président américain d’expliquer que s’il refuse de signer un accord de non-espionnage en bonne et due forme avec les Européens offusqués, c’est parce que son pays n’a jamais conclu de tel accord avec aucun de ses alliés. Y compris le Royaume-Uni, a-t-il tenu à préciser. Les fidèles Britanniques ont sans doute dû l’apprécier.