La victoire de Donald Trump aux élections américaines, la décision de la Grande-Bretagne de sortir de l’UE, ainsi que la crise politique en cours dans de nombreux pays européens démontrent clairement un sérieux déclin des idées (néo)-libérales. Ces idées (y compris leurs divers dérivés) ont été à l’origine de nombre des problèmes actuels qui ont conduit à la croissance du populisme, à la déconvenue envers la mondialisation et aux premières tentatives de changer le cours actuel des relations internationales.
Pour nous, conservateurs, les événements qui se déroulent actuellement sont un processus logique, dans la mesure où le libéralisme lui-même est un phénomène destructeur. Tôt ou tard, l’effondrement du libéralisme est inévitable. La question est de savoir à quel niveau ou combien de temps les institutions libérales de base dans le monde peuvent être répressives, non transparentes et inexplicables, et comment les gens dans différents pays – principalement ceux de l’Ouest – pourront changer le statu quo et développer une voie alternative qui correspond à leurs propres aspirations, fondées sur leurs propres cultures, traditions et identités.
Il devient d’autant plus important de suivre les actions à venir du lobby libéral, en particulier ses idéologues, afin de comprendre leurs intentions et les actions possibles. Très probablement, ils parieront non seulement sur la réorganisation de leurs structures, mais aussi sur un libéralisme reformulé. De même que les libéraux ont déjà une fois déformé (et continuent de déformer) les idées économiques d’Adam Smith, tout en continuant à l’appeler leur gourou et l’un des pères fondateurs du libéralisme, les globalistes feront tout leur possible pour maintenir leur influence, leur pouvoir et leurs outils pour des interventions internationales.
« L’ordre [néo-liberal, NdT], en bref, fait face à ses plus grands défis depuis des générations. Peut-il survivre, et le fera-t-il ? », Joseph Samuel Nye, Jr. a posé la question dans son récent article L’ordre libéral survivra-t-il ?
Nye suggère que seuls les États-Unis peuvent être le chef de l’ordre international. Même la croissance de la puissance chinoise ne peut pas remplacer les États-Unis, selon Joseph Nye.
« La Chine est peu susceptible de surpasser les États-Unis et prendre le pouvoir de sitôt et aussi car elle comprend et apprécie l’ordre actuel, plus que ce qui est généralement réalisé. Contrairement à la sagesse conventionnelle actuelle, la Chine n’est pas sur le point de remplacer les États-Unis en tant que pays dominant dans le monde. Le pouvoir implique la capacité d’obtenir ce que vous voulez des autres, et cela peut impliquer le paiement, la coercition ou l’attraction », explique Nye.
Plus tôt, Stephen G. Brooks et William C. Wohlforth ont déclaré dans Foreign Policy que la Chine ne deviendrait pas une superpuissance, malgré la modernisation de ses forces armées, sa croissance économique et la défense agressive de ses intérêts nationaux dans sa périphérie. À leur avis, la Chine a le potentiel brut de devenir le seul rival mondial des États-Unis, mais le pays a des défis plus graves que les pays précédemment devenus puissants. Même si le pic économique des États-Unis est passé, personne ne doute de la supériorité militaire du pays, ni de la structure de l’ordre libéral existant dans lequel Washington est le centre de l’alliance mondiale.
Elizabeth C. Economy a également noté : « Cependant, quel que soit le chemin sur lequel Washington choisisse d’avancer, l’onction de la Chine comme champion du monde de la globalisation serait une erreur. »
Mais dans ce cas, ce qui est intéressant, ce n’est pas que la Chine se voie refuser le statut de future superpuissance, mais que ces mots rassurants concernant la Chine viennent des lèvres des globalistes libéraux. La rhétorique de Donald Trump, d’autre part, a un caractère différent.
Joseph Nye Jr. dit généralement que la globalisation a été bénéfique pour la Chine (et il y a beaucoup de vérité là dedans, voilà pourquoi Pékin vise à maintenir son rythme préalablement spécifié), mais maintenant les États-Unis ont besoin d’une approche différente des processus mondiaux.
« Il est crucial de maintenir les réseaux, de collaborer avec d’autres pays et institutions internationales et de contribuer à établir des normes pour faire face aux nouvelles questions transnationales. C’est une erreur d’assimiler la globalisation aux accords commerciaux. Même si la globalisation économique ralentit, la technologie crée une globalisation écologique, politique et sociale qui exigera des réponses coopératives », écrit Joseph Nye.
Cet « apologiste » du soft et du smart power se concentre sur l’approche en réseau des relations internationales. Ce mécanisme a été utilisé par les États-Unis à un degré ou à un autre depuis les années 1970 avec l’avènement de la théorie des réseaux. Cependant, cet outil pourrait aussi être utilisé contre le lobby libéral. Qu’est-ce qui pourrait empêcher les conservateurs de divers pays d’appliquer des technologies appropriées au profit de leurs idées ?
Richard Nathan Haass, président du CFR, entreprend une opération pour encadrer le discours politique. Il commence même par une sorte de « flirt » avec la notion de souveraineté dans son article Ordre mondial 2.0 – Le cas de l’obligation souveraine, dans lequel il tente de mettre à jour une partie de la doctrine libérale de l’hégémonie, en lui donnant une nouvelle dimension :
Mais une approche de l’ordre international fondée uniquement sur le respect de la souveraineté, avec le maintien de l’équilibre du pouvoir nécessaire pour le sécuriser, ne suffit plus. Le système d’exploitation traditionnel du globe, appelé Ordre mondial 1.0, a été construit autour de la protection et des prérogatives des États. C’est de plus en plus inadéquat, dans le monde globalisé d’aujourd’hui. Peu de choses maintenant reste locales ; n’importe qui et n’importe quoi, des touristes aux terroristes, des réfugiés aux courriels, aux maladies, aux dollars et aux gaz à effet de serre, tout peut atteindre presque n’importe quel endroit. Il en résulte que ce qui se passe à l’intérieur d’un pays ne peut plus être considéré comme la seule préoccupation de ce pays. Les circonstances actuelles exigent un système d’exploitation mis à jour – appelez-le Ordre mondial 2.0 – qui inclut non seulement les droits des États souverains, mais aussi les obligations de ces États envers les autres. Une telle notion d’obligation souveraine, il convient de le souligner, diffère de la notion de « souveraineté en tant que responsabilité », qui est au cœur de la doctrine juridique appelée « la responsabilité de protéger » ou « R2P ».
Ce qui est significatif, c’est que Haass reconnaît l’échec des États-Unis à offrir au monde un programme qui aurait été acceptable pour d’autres acteurs et capable d’inciter d’autres pays à travailler ensemble pour développer de nouvelles solutions.