Pendant une décennie, le fils d’un chef d’État africain a pu mener la vie de château à Paris. Il vivait dans un palace de 101 pièces avenue Foch, où l’eau coulait par des robinets en or. Dévalisait les magasins de luxe de l’avenue Montaigne. Commandait les meilleurs Romanée-Conti. Et dissimulait dans son garage l’une des plus incroyables collections de voitures de luxe.
Cet homme s’appelle Teodorin Obiang, 47 ans. Il est l’aîné des enfants de l’actuel président de la Guinée équatoriale, Teodoro Obiang, au pouvoir depuis 1979 (il a été réélu en avril avec 93,7% des voix). Cet homme est jugé à partir de ce lundi 2 janvier par le tribunal correctionnel de Paris pour « blanchiment de corruption, de détournement de fonds publics, d’abus de biens sociaux et d’abus de confiance ». Absent (il réside aujourd’hui à Malabo en Guinée), le prévenu sera représenté par son avocat français, maître Emmanuel Marsigny.
Ce procès revêt une très haute importance symbolique. Il est le premier aboutissement des procédures concernant les « biens mal acquis », lancées il y a pile dix ans par les associations Sherpa et Transparency International. Peu de monde, alors, croyait en une quelconque chance de succès. En demandant à la justice française de se prononcer sur la légalité des biens acquis en France par des roitelets africains et leur famille, c’est toute la Françafrique qu’on a ébranlée, cette diplomatie du post-colonialisme préférant fermer les yeux sur les fortunes détournées dans l’unique objectif de conserver son influence en Afrique. William Bourdon, président de Sherpa et avocat de Transparency International, souligne :
« Il y avait un océan de scepticisme face à nous. L’activisme du parquet, sous la présidence Sarkozy, a permis de paralyser la procédure jusqu’en 2010. Alors, oui, l’ouverture de ce procès aujourd’hui est pour nous une satisfaction. »
« Alcool, pute, coke »
La lecture de l’ordonnance de renvoi de Teodorin Obiang tient, pour partie, du scénario d’un mauvais film. On y découvre la vie creuse et désœuvrée d’un homme richissime. Quelques jours à Paris, quelques semaines à Malibu (Californie), parfois au Brésil, autant de pays où il possède de magnifiques propriétés (son patrimoine immobilier est estimé à 100 millions d’euros). Quand il pouvait encore sortir de son pays, Teodorin Obiang, aujourd’hui visé par un mandat d’arrêt, ne voyageait pas sans ses mallettes gonflées de plusieurs millions de dollars en liquide.
« Alcool, pute, coke » : voilà comment un ancien majordome a résumé la vie d’Obiang Junior. « L’argent dépensé, il retournait en Guinée-Équatoriale environ trois fois par an pour récupérer deux autres valises », a aussi raconté ce témoin.
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Œuvres d’art, discothèque, hammam
Quand ils ont pénétré son domicile parisien, avenue Foch, les policiers sont tombés sur une inimaginable caverne d’Ali Baba. Cet hôtel particulier de plus 4 000 mètres carrés sur cinq étages tenait plutôt du château. Acquis pour 25 millions d’euros au milieu des années 2000, il avait ensuite été agrémenté, au fil des travaux réalisés par des architectes prestigieux (pour un montant de 11 millions d’euros), d’une discothèque, d’un bar, d’une salle de jeu, d’une salle de cinéma, d’un hammam et d’une salle de sport. Le bâtiment lui-même servait d’écrin à un triplex dont la seule chambre de maître mesurait 100 mètres carrés. L’écran géant de marque Panasonic avait été acheté 100 000 euros.
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Les penderies regorgeaient de tenues achetées chez les meilleurs tailleurs, Gucci, Dolce & Gabbana, Prada, Yves Saint Laurent, Louis Vuitton, Balenciaga, Armani, Burberry, Versace. Quand il était à Paris, Teodorin Obiang allait aussi faire des virées shopping place Vendôme. Il a dépensé des centaines de milliers d’euros en montres, bijoux et broches chez les plus grands joailliers : Cartier, Piaget et Chaumet, entre autres. Les enquêteurs étaient pourtant loin de pouvoir imaginer ce qu’ils allaient découvrir au garage. Teodorin Obiang conservait là une collection de 18 véhicules de très grand luxe dont la valeur a été estimée à 7,4 millions d’euros. Quatre Bentley, deux Rolls Phantom, deux Ferrari, trois Porsche, deux Bugatti, une Maserati.