Le Fondateur est un film américain de 2016 qui narre la success story (« succès histoire » d’après le traducteur Google) des fondateurs des restaurants taylorisés d’ingestion rapide de nourriture industrielle McDonald’s. Le Français râleur de race méfiante pourrait se dire « pff, encore un film à la gloire de l’Amérique et du fast food, non à la propagande d’Hollywood ». C’est vrai et faux à la fois.
Il est indéniable qu’on a affaire, au milieu de l’histoire des deux frères McDonald’s et du génie du marketing Ray Croc, à des spots de pub pour la marque. Mais l’essentiel n’est pas là : ce film, derrière la promotion de marque (il y a les pubs produits et les pubs image de marque) est l’illustration parfaite du triomphe de la volonté, en l’occurrence celle d’un seul homme, seul contre tous ou presque. Et cette volonté va tout emporter.
Ray Croc, comme Adolf Hitler – on prend cet exemple au hasard –, sont de ces hommes qui bousculent l’Histoire déjà écrite et qui la réécrivent avec leur volonté propre. On en pense ce qu’on veut, génie de la manipulation ou du mal, mais ils font l’Histoire.
Les Américains sont tellement forts en narration cinématographique, ce langage pour enfants devenu le vecteur le plus puissant de l’imprégnation cérébrale profonde, qu’ils sont capables de nous faire regarder, puis apprécier, un film à la gloire de Google ou de McDonald’s.
Pour cela, il faut les idées (on appelle ça le scénario), la réalisation (le type qui agence les scènes et les séquences) et les acteurs (les humains qui se mettent dans la peau des autres, de leur personnage). Hollywood est bien cette machine à faire passer les messages, même chez les plus récalcitrants, c’est-à-dire les Français.
Dans Les Stagiaires, sorti en juin 2013, on apprend que quelle que soit son extraction, sa couleur de peau, son âge, son look et sa gueule, on peut développer un talent personnel et y croire. Ça fait très rêve américain couplé à l’idéologie antiraciste mais ce n’est pas que ça : là aussi, on illustre le triomphe de la volonté. Aller jusqu’au bout avec son idée, et renaître ou mourir avec. Quitte à être ridiculisé, raillé, dénoncé. C’est pourquoi ces films nous parlent !
Dans Le Fondateur, au milieu de la glorification du « produit » (le hamburger fabriqué à la chaîne sans attente pour le client, ne ratez pas la scène de création du speedy system sur le terrain de basket, en VO mais c’est pas grave), ceux qui font des choses très personnelles dans leur vie vont retrouver exactement ce que Ray Croc a vécu : la honte, la mise à l’écart, la femme qui enfonce le mari et puis, au bout du tunnel de souffrances, parfois, pas toujours, la libération. La lumière, le cercle vicieux qui devient vertueux, une nouvelle femme qui aime et qui soutient, les banquiers qui ne vous écrasent plus, et le succès populaire.
À propos de banquiers, nous parlions de triomphe de la volonté. Il s’agit bien sûr du film de propagande sur le IIIe Reich (l’empire du Mal) réalisé par Leni Riefenstahl en 1935 en Allemagne. Dailymotion le diffuse encore, mais en morceaux et dans une qualité médiocre :
YouTube a rejeté ce film, qui était depuis toujours en ligne, le 5 juin 2019. On se demande bien sous quelle pression. Commentaire du site du mensuel Première :
« Même si certains considèrent cette œuvre comme un morceau d’Histoire, la regardant d’un point de vue historique, même si d’autres y voient d’abord une œuvre cinématographique, Le Triomphe de la volonté entre désormais dans la catégorie des "vidéos faisant la promotion ou la glorification de l’idéologie nazie, ce qui est de, façon inhérente, discriminatoire". Impossible pour YouTube de garder la vidéo sur son site. »
Traduction : c’est un film historique, certes, mais sa charge de propagande est encore trop forte et trop dangereuse pour la dominance actuelle pour la laisser en libre accès. Dans ce cas, doit-on éliminer tous les films ou extraits de films relatifs à la période stalinienne qui faisaient l’éloge du Petit Père des peuples ?
Première rappelle avec humour ceux que Triumph des Willens (« triomphe des vilains » selon Google traductions) a inspirés :
« Commandé par Hitler, Le Triomphe de la volonté est un documentaire connu pour son esthétisme monumental, conçu à la gloire du Führer et devenu au fil des ans la source d’inspiration de nombreuses œuvres. Quelques plans dans “Cendrillon” lui piquent des cadrages ou des dispositifs. La fameuse scène de chanson “Soyez prêtes !” dans “Le Roi Lion” pareil. Des spécialistes affirment que George Lucas se serait aussi inspiré de la composition des cadres de Riefenstahl pour l’iconique scène de remise de médailles dans “Star Wars, Épisode IV : un nouvel espoir”. De son côté, Quentin Tarantino multiplie les références (parodiques) au film dans “Inglourious Basterds”. À la fin du long-métrage, Adolf Hitler organise une séance spéciale pour dévoiler le film de propagande “La fierté de la Nation” dans lequel un soldat SS résiste contre de nombreux ennemis. Ce pastiche faisait également écho au film de Riefenstahl. »