Tokyo a vu rouge après les propos d’une responsable de l’ONU dénonçant les lacunes de la lutte contre l’exploitation sexuelle des mineurs et la pédopornographie.
Il n’a fallu qu’un chiffre pour fâcher le gouvernement japonais. Qui a exigé d’une représentante des Nations unies qu’elle retire, mercredi [11 novembre 2015], ses déclarations sur la prostitution infantile dans l’archipel. Au terme d’une mission de huit jours, fin octobre, Maud de Boer-Buquicchio, rapporteure spéciale de l’ONU sur le trafic d’enfants et la pornographie impliquant des mineurs, avait affirmé que 13% des écolières japonaises acceptaient des rendez-vous rémunérés pouvant inclure une relation sexuelle. Une pratique communément appelée « enjo kousai » (« aider et sortir ensemble ») au Japon.
Ces propos ont été jugés « inappropriés et extrêmement regrettables » par le ministère des Affaires étrangères. Pour Tokyo, il est « inacceptable » que la représentante des Nations unies cite des « informations non fiables » et non sourcées. Mardi, le porte-parole du gouvernement, Yoshihide Suga, a affirmé que le Japon « n’accepterait jamais » de telles déclarations susceptibles de « provoquer dans le monde des malentendus » sur les jeunes Japonaises. Quelques heures plus tard, Maud de Boer-Buquicchio a fait marche arrière et s’est rétractée.
« Un pays à part »
Les autorités japonaises n’ont pas mis autant d’énergie à commenter les autres informations de l’enquêtrice de l’ONU, bien plus consistantes. Ce chiffre de 13% est un peu l’arbre qui cache la forêt sur la sexualisation et la marchandisation des enfants dans l’archipel. « Nous ne savons pas d’où sort cette donnée, mais tout ce qu’a dit la rapporteure spéciale durant plus d’une heure de présentation publique est, hélas, correct et avéré, note Aiki Segawa, en charge du plaidoyer à Lighthouse, une ONG luttant contre les trafics humains et l’esclavage moderne. Le gouvernement s’est focalisé sur les 13%, mais il n’a pas opposé d’autres chiffres car il n’en a pas, et ne s’est jamais emparé sérieusement de ce problème d’exploitation sexuelle qui fait du Japon un pays à part. Il n’existe aucune enquête globale sur la pornographie infantile. »
En 2014, la police a comptabilisé 1 828 affaires et identifié 746 jeunes victimes. Soit trois fois plus de cas qu’en 2007. « Cette tendance à la hausse peut être due à un plus grand effort des enquêteurs, plutôt qu’à une réelle augmentation des crimes », tempère Hiromasa Nakai, en charge des relations publiques à l’Unicef-Japon. Il est en tout cas fort probable que ce nombre soit sous-évalué.