L’Élysée a utilisé l’incendie de Notre-Dame de Paris pour mener à bien un projet qui dormait dans les cartons. Il a fixé des règles inédites, hors des procédures d’appel d’offres et de respect du patrimoine non pas pour restaurer la cathédrale, mais pour transformer l’île de la Cité en premier lieu touristique d’Europe à la veille des Jeux olympiques de 2024 et de l’Exposition universelle de 2025. Pour éviter les contraintes judiciaires, il a arbitrairement imposé l’hypothèse d’un sinistre de chantier.
L’incendie de la cathédrale Notre-Dame
Lorsque l’incendie de Notre-Dame a débuté, le 15 avril 2019 au soir, tous les médias français et beaucoup d’étrangers, se sont tournés vers la cathédrale en feu. De nombreuses télévisions étrangères ont débuté leur journal par cette nouvelle, mais pas France 2.
La chaîne publique avait prévu de le consacrer au discours annoncé du président Macron concluant le « Grand débat national ». La rédaction, complétement sonnée par l’émoi provoqué par ce drame imprévu, y consacra son journal, non sans avoir au préalable regretté que le président reporte son discours sine die ; un discours à ses yeux beaucoup plus important.
La froideur de la plupart des journalistes et la stupidité des commentaires à chaud des politiques ont soudainement montré le gouffre béant qui sépare leur univers mental de celui des Français. Pour la classe dirigeante, la beauté de Notre-Dame ne saurait faire oublier que c’est un monument de la superstition chrétienne. Au contraire, pour le public, c’est le lieu où les Français se réunissent en tant que peuple pour se recueillir ou rendre grâce à Dieu.
En termes de communication, il y aura probablement un avant et un après cet incendie : une majorité de Français a été sidérée par ce sinistre, et révoltée par l’indifférence arrogante de sa classe dirigeante.
L’île de la Cité et l’industrie du tourisme
Immédiatement, le président de la République, Emmanuel Macron décidait non pas de reconstruire Notre-Dame, mais de réaliser un projet difficile qui attendait dans des tiroirs depuis deux ans et demi.
En décembre 2015, une mission avait été commanditée par le président de la République de l’époque, François Hollande, et la maire de Paris, Anne Hidalgo. Elle dura une année entière alors qu’Emmanuel Macron était ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique.
De nombreuses personnalités y ont participé, dont Audrey Azoulay, alors ministre de la Culture et aujourd’hui directrice de l’UNESCO [1], ou le préfet Patrick Strzoda, alors directeur de cabinet du ministre de l’Intérieur et aujourd’hui d’Emmanuel Macron.
Elle était dirigée par le président du Centre des monuments nationaux, Philippe Bélaval, et l’architecte Dominique Perrault.
Constatant que l’île de la Cité est, depuis son remodelage par le Baron Haussmann au XIXème siècle, un complexe administratif fermé au public, hébergeant la Sainte-Chapelle et la cathédrale Notre-Dame de Paris, la mission proposa de la transformer en une « île-monument ». L’opportunité en est fournie par le déménagement du Palais de Justice, la réorganisation de la Préfecture de Police et de l’hôpital de l’Hôtel Dieu. Il sera en effet possible de tout réorganiser.
La mission a ainsi listé 35 chantiers coordonnés, dont la création de voies de circulation souterraines et la mise sous verrière de nombreuses cours intérieures, pour faire de l’île la promenade obligée de 14 millions de touristes annuels et, éventuellement, des Français.
Le rapport de la mission [2] évoque l’incroyable valeur commerciale de ce projet, mais ne dit pas un mot de la valeur patrimoniale, particulièrement spirituelle, de la Sainte-Chapelle et de Notre-Dame qu’elle aborde exclusivement comme des sites touristiques, sources potentielles de revenus.
Malheureusement cet ambitieux projet ne pouvait, selon ses auteurs, être réalisé rapidement non pas tant du fait de l’absence de financement que des lourdes habitudes administratives et des énormes contraintes juridiques. Bien qu’il n’y ait que peu d’habitants sur l’île, la moindre expropriation peut durer des décennies. Plus étonnant, le directeur du Centre des monuments nationaux semblait regretter l’impossibilité de détruire une partie du patrimoine pour mettre en valeur une autre partie. Etc.
Les choix de l’Élysée
Dans les heures qui suivirent, il fut évident que des fonds très importants seraient offerts par des donateurs allant du simple citoyen à de grandes fortunes. L’objectif de l’Élysée fut donc de mettre en place une autorité capable de mener à fois la reconstruction de Notre-Dame et la transformation de l’île de la Cité.
Le lendemain, 16 avril, au cours d’une intervention télévisée, le président Macron déclarait : « Alors oui, nous rebâtirons la cathédrale Notre-Dame plus belle encore, et je veux que cela soit achevé d’ici 5 années » [3]. Oublions le « je veux » caractéristique non d’un élu républicain, mais d’un chef d’entreprise. Cinq ans, c’est extrêmement court, surtout au regard du siècle et demi de la construction de la cathédrale. Cependant c’est le temps nécessaire pour que les travaux soient terminés à temps pour les touristes des Jeux olympiques de 2024 et de l’Exposition universelle de 2025. C’était la date prévue par la mission Bélaval-Perrault.
Le surlendemain, 17 avril, le Conseil des ministres fut entièrement consacré aux conséquences de l’incendie. Trois décisions importantes furent actées :
Nommer l’ancien chef d’État-Major des armées, le général Jean-Louis Georgelin, pour conduire depuis l’Élysée une mission de représentation spéciale « afin de veiller à l’avancement des procédures et des travaux qui seront engagés » ;
Faire adopter par le parlement un projet de loi [4] régissant la collecte de fonds, régularisant la nomination du général Georgelin qui a atteint la limite d’âge et surtout exemptant sa mission de toutes les procédures d’appel d’offres, des lois de protection du patrimoine, et de toutes les contraintes qui pourraient survenir ;
Lancer un concours international d’architecture pour reconstruire Notre-Dame.
Une autre décision était prise : étouffer tout débat sur les causes de l’incendie afin d’éviter qu’une enquête judiciaire ne vienne perturber ce bel agencement.
Le mensonge d’État
Immédiatement, le nouveau procureur de la République de Paris, Rémy Heitz, nommé sur intervention personnelle d’Emmanuel Macron, assure que la piste criminelle n’est pas privilégiée et que l’incendie est lié à un accident de chantier.
Cette assurance provoque une levée de bouclier chez les experts du site, pompiers, artisans et architectes, pour qui aucun élément de chantier n’était capable de provoquer un tel incendie, à cet endroit et à cette vitesse.
L’insistance du Procureur et celle du préfet de Police, Didier Lallement, à prendre position à un moment où aucun enquêteur n’avait été en mesure de se rendre sur le lieu de l’incendie atteste de l’élaboration d’une version officielle qui ne contraigne pas à de longues investigations bloquant le site. Elle alimente aussi les interrogations sur la piste arbitrairement écartée, celle d’un acte anti-chrétien ou anti-religieux, notamment dans le contexte du vandalisme contre les églises (878 profanations en 2017), de l’incendie volontaire de l’église Saint-Sulpice le 17 mars, voire de l’incendie de la mosquée Al-Marwani sur l’esplanade d’Al-Aqsa à Jérusalem.
En outre, sachant que la majorité des grands incendies intervient dans le cadre de projets immobiliers, l’hypothèse d’un acte volontaire pour permettre la transformation de l’île de la Cité doit être examinée.
Ces questions sont toutes légitimes, mais en absence d’enquête aucune réponse définitive ne l’est.
Certes, l’objectif du président Macron est louable, mais sa méthode est bien étrange. Certes, il n’est pas possible de lancer un tel chantier sans changer les règles de droit, mais si la nomination d’un officier général de premier plan est une garantie d’efficacité, ce n’en est pas une de respect du droit.