L’économie militaire égyptienne s’est développée bien au-delà des besoins strictement militaires pour englober toutes sortes de produits et de services
Le 14 mars, la Banque centrale d’Égypte a dévalué la monnaie d’environ 15 %, braquant les projecteurs sur les difficultés économiques du pays.
Alors que certaines de ces difficultés sont le fruit des troubles et de l’instabilité (comme par exemple la baisse du nombre de touristes), une grande partie de la responsabilité réside dans le fait que les forces armées égyptiennes ont développé une profonde implication dans l’économie du pays, qui s’est intensifiée depuis la révolution de 2011 et qui a de profondes répercussions sur l’avenir politique et économique de l’Égypte.
Les racines de l’empire commercial de l’armée remontent aux années 1980, lorsque l’association d’un dividende de paix consécutif au traité de paix signé par l’Égypte avec Israël en 1979 et d’une crise financière a poussé le pays à réduire de nouveau son budget de défense. Les dépenses de défense sont passées de 6,5 % du PIB en 1988 à 1,8 % du PIB en 2012, selon les indicateurs de la Banque mondiale. Les forces armées ont dû trouver de nouvelles sources de revenus.
L’économie militaire égyptienne s’est développée bien au-delà des besoins strictement militaires pour englober toutes sortes de produits et de services. Compte tenu de l’opacité qui entoure l’armée, il est presque impossible de trouver des chiffres précis. Toutefois, les personnes interrogées par Middle East Eye au sujet de la taille du complexe militaro-économique s’accordent sur le fait que les forces armées égyptiennes touchent pratiquement à tous les secteurs économiques, des produits alimentaires tels que le concentré de tomates et l’huile d’olive à l’électronique grand public, en passant par l’immobilier, le bâtiment, les transports et les services.
Les entreprises contrôlées par l’armée sont très dispersées. Certaines peuvent relever d’un certain nombre d’organisations-cadres, telles que l’Organisation arabe pour l’industrialisation, la National Services Projects Organisation (NSPO) et le ministère de la Production militaire. En outre, les forces armées égyptiennes détiennent des parts majoritaires ou minoritaires dans de nombreuses autres sociétés semi-publiques ou privées, en particulier dans les domaines de l’infrastructure et de la sous-traitance. Leur influence s’étend également aux infrastructures « sensibles », mais nominalement civiles. Des postes haut placés dans un certain nombre d’aéroports sont réservés depuis quelques années à des officiers de l’armée à la retraite, dans le cadre d’une sorte de « programme de retraite » officieux.
Transparency International
Selon un porte-parole de Transparency International, « des preuves indiquent que des officiers de l’armée de tous rangs possèdent leurs propres entreprises et bénéficient considérablement de l’utilisation d’infrastructures publiques et d’installations pour accroître leurs profits. En outre, il existe un réseau de retraités militaires qui préside ou supervise des entreprises et installations commerciales du gouvernement, ou qui participe à des contrats de conseil. Cette pratique peut s’étendre jusqu’à la formation de sociétés privées dans le but de remporter des contrats de sous-traitance. »
Comme si cela ne suffisait pas, par le biais de désignations foncières ou par d’autres moyens, les forces armées égyptiennes sont également en mesure de contrôler une grande partie des terres publiques (désertiques, agricoles et urbaines) qui constituent 94 % de la superficie de l’Égypte, les désignations foncières leur permettant de mettre ces terres aux enchères et de recevoir une compensation du trésor public lorsque des zones militaires sont converties en zones civiles. L’armée contrôle également le littoral (officiellement classé territoire frontalier) et peut donc tirer profit du développement touristique. Ainsi, les forces armées égyptiennes exercent une énorme influence sur le marché de l’immobilier et sur la structure de développement du pays.
Les estimations quant à la part de l’économie totale contrôlée par les forces armées égyptiennes vont de 40 %, selon le milliardaire des télécoms Naguib Sawiris (dans des propos adressés aux médias locaux en mars dernier) à un chiffre situé entre 45 % et 60 %, selon Transparency International. Il existe également des preuves que l’éviction du président Hosni Moubarak en 2011 et les procès pour corruption qui ont suivi contre un certain nombre de ses acolytes ont permis aux forces armées égyptiennes de s’octroyer une part du gâteau qui leur était autrefois réservé et de se développer encore plus. Selon le professeur Robert Springborg, de l’Istituto Affari Internazionali, depuis 2013, les forces armées égyptiennes sont passées du statut d’acteur substantiel dans l’économie égyptienne à celui d’acteur dominant.