Stéphane Audrand développe ici la notion économico-militaire de coût au but. Cette réflexion survient après l’interception par la frégate française Languedoc de deux drones tirés par les Houthis vers Israël. De ce fait, on peut dire que la France a choisi son camp. L’état-major et la présidence, pas les Français, on se comprend.
Stéphane Audrand est consultant en risques internationaux (armements, nucléaire, agriculture), historien et officier de réserve. Pour la petite histoire, sur X, il est pro-ukrainien : il participe à la collecte de Noël pour les troupes de marine ukrainiennes.
Je vous renvoie à mon premier fil sur l'interception de la salve lancée par les Houthis fin octobre : https://t.co/kJsF4bqAHR 2/
— Stéphane Audrand (@AudrandS) December 10, 2023
C'était peut-être des Ababil-T... Déjà utilisés par les Houthis... Ou des Shahed 136 (20 000 dollars). 4/ https://t.co/ISIq5gsF88 pic.twitter.com/dXwuIybG8w
— Stéphane Audrand (@AudrandS) December 10, 2023
Peut-être 50 fois le prix de la cible détruite. Parce qu'encore une fois, toute la défense antiaérienne moderne a été pensée pendant des décennies avec comme cibles des missiles antinavires couteux ou des aéronefs pilotés encore plus couteux. 6/
— Stéphane Audrand (@AudrandS) December 10, 2023
Avoir des systèmes antiaériens couteux n’était pas choquant. On avait quitté le temps de la masse des canons de DCA inefficaces pour se concentrer sur des missiles plus chers, mais qui revenaient moins cher « au coût au but ».
Le problème posé par la prolifération des drones, munitions téléopérées et missiles de croisière bon marché est que cette approche économique est caduque. Attention : il reste toujours des menaces « haut du spectre » qui la justifient.
Il reste des avions de combat modernes et des missiles antinavires modernes. Il ne faut pas renoncer à ces missiles antiaériens. Mais il y a un trou capacitaire : un moyen de défense antiaérienne VRAIMENT bon marché.
Problème français supplémentaire : le nombre ridicule de silos emportés par nos navires. 16 missiles Aster 15 pour le Languedoc. Et un seul canon de 76mm à l’avant du navire. Là ou l’USS Carney avait 96 silos remplis pour l’essentiel de missiles antiaériens.
Sans compter le fait que le navire américain emporte des systèmes Phalax CIWS de défense automatique à courte portée. Il est bien mieux armé pour faire face à une attaque saturante.
Revenons à la menace « drones » : le cahier des charges est simple à déduire : un ASTER 15 à 1 million permet de détruire une cible à 10 millions. Un drone à 20 000 dollars doit pouvoir être détruit pour... Allez : 2000 à 4000 dollars.
Dans cette gamme de prix, difficile de penser « missile ». Il faut penser « obus et canon de DCA ». Je vous renvoie à mon fil de l’autre jour sur les canons de 100mm comme optimum naval moderne.
Les Chinois ont bien compris l’excellence du calibre qui est un judicieux compromis pour le tir vers la terre, d’autres navires ou la défense antiaérienne. 100mm, mécaniquement, sur le plan de la puissance, de l’emport des munitions, de la cadence de tir c’est un optimum.
Or nous ne prenons pas tout tout ce chemin pour l’heure. L’obsolescence des tourelles de 100mm de la Marine nationale approche et dans quelques années cette capacité sera perdue. Alors quand j’entends la possibilité de mettre plusieurs (4 ?) missiles Mica dans un silo ASTER...
Oui, remplacer la moitié des Aster 15 permettrait de passer à « 8 Aster 15 et 32 Mica VL ». 40 missiles. Mais cela reste peu et, en outre, le combat d’attrition serait dans la durée impossible face aux Houthis.
C’est tout le problème de la défense sol-air saoudienne depuis des années : les Houthis sont alimentés par l’Iran en milliers de projectiles qu’il n’est tout simplement pas économiquement possible d’intercepter à longue distance.
Par ailleurs, l’évolution des Houthis vers le segment balistique complique encore la donne, même si pour l’heure la précision antinavire n’est pas là.
Bref : nous ne sommes encore qu’aux prémices d’un gros changement d’ère en matière navale.
Il est urgent de saisir les implications de ce virage, en mer comme à terre. Le retour de la DCA canon est inéluctable. Et des solutions commencent à se dessiner, comme des obus de 57mm "intelligents". 19/ https://t.co/FbAudqouf4
— Stéphane Audrand (@AudrandS) December 10, 2023
Actuellement les affrontements (à coups de canons à eau) opposent la marine philippine à plus de 100 (!) navires "garde côtes" chinois.
Dans ces conditions, 8 missiles Exocet ne sont pas une solution au problème et la tourelle de 76mm trouvera vite ses limites. 21/ pic.twitter.com/3kS5hCFOX7— Stéphane Audrand (@AudrandS) December 10, 2023
De même, pour l’action vers la terre, il faut un calibre correct pour frapper à distance batteries antiaériennes ou antinavires et moyens ISR. Bref : du 100mm.
Alors je sais que « faire du canon et de l’obus », sur le plan naval, cela ne fait plus rêver, ni à la DGA ni, il faut le dire, chez ALFAN. On parle des capacités du GAé/GAN, on compte sur les Rafale, les missiles de croisière...
En fait on pense encore à la « grande guerre », sérieuse, contre des adversaires technologiques, haut du spectre, « nobles ». Mais la prise en compte de la menace proliférante de ces « techno-guerillas » est impérative. Et vite.