Bernard-Henri Lévy, finalement, a choisi : il sera, il deviendra ce qu’on lui a souvent reproché d’être : juif. Il ne se subit pas, il ne se trahit pas ; mais il se rejoint. Il se confond avec lui-même, il se fond en lui comme le texte fond dans la bouche, au moment où se transmet la Torah.
L’esprit du judaïsme n’est pas le dernier livre de Bernard-Henri Lévy : il sera désormais son premier. Non le livre qui conclue les précédents, mais celui qui, loin des chronologies, les annonce, les contient, les veut. Nous ne savons pas qui sont les êtres que nous connaissons le mieux. Ils possèdent un mystère que leur apparence, souvent, épouse : et c’est cette coïncidence, précisément, qui permet les malentendus. Trop officiellement juif, Bernard-Henri Lévy l’était moins que ce qu’on pensait. Mieux (ou pire) : il ne l’était pas, il ne l’était pas encore.
Voilà qu’à présent, défait des tortures du « paraître-juif », il est enfin un juif comme un autre, c’est-à-dire un juif comme lui-même. Le livre qui paraît, aujourd’hui, n’est pas un essai : mais une transformation. Bernard-Henri Lévy s’est métamorphosé en ce qu’il a toujours déjà été : juif. Juif dans un rapport au monde, cela ne suffisait pas ; juif dans un rapport au texte, cela ne pouvait totalement le définir, le combler.
Alors, Bernard-Henri Lévy est parti à la recherche de sa judéité sur mesure, et en chemin il a compris, lisant et relisant le livre de Jonas, qu’il lui fallait les deux : le monde et le texte, l’aventure et les grimoires, la sueur et les mots. Être juif, pour Bernard-Henri Lévy, c’est non seulement endosser les responsabilités pour tous, mais c’est assumer les devoirs de l’humanité.
C’est faire la guerre lorsque la lâcheté des nations hésite, c’est faire la paix lorsque la violence des pays s’emballe. C’est être au cœur de cette machine à broyer qu’on appelle l’événement, et d’où, à ses yeux, les juifs, sans doute terrorisés par l’Histoire, ont trop tendance à démissionner. Replacer le juif à l’intérieur du processus, l’inscrire dans la politique, dans les mouvements et les chaos du temps, non plus comme victime de quoi que ce soit, de qui que ce soit, mais comme acteur.
La passivité n’est pas juive, ici. La passivité est justement ce contre quoi se bat celui qui, pour le meilleur et pour le pire, ne craint pas d’être juif jusqu’au bout – fût-ce au bout du monde, de ce monde qui hait encore et toujours ce peuple inconnu parfois de lui-même. Dans ce livre, son meilleur peut-être, son plus beau sans doute, Bernard-Henri Lévy se déshabille en même temps qu’il se vêt.
D’abord, il nous clame ceci, que l’antisémitisme ne veut pas mourir, et que tant qu’il y aura des juifs, il sera là, et sans doute serait-il là quand bien même Hitler fût parvenu à les détruire absolument. L’antisémitisme qu’on a trop tendance à comparer au racisme.