L’amnistie « préventive » que les pouvoirs publics se seraient octroyés en vertu de la loi du 11 mai prorogeant l’état d’urgence suscite aujourd’hui encore la consternation ou la colère de nombreux Français. Et pourtant, cette disposition n’existe pas ! En propageant, de bonne foi, cette contre-vérité, les opposants au gouvernement se sont radicalement trompés de combat.
Le 3 mai 2020, M. Bas, sénateur Les Républicains, introduit une nouvelle disposition dans l’article premier de la loi prorogeant l’état d’urgence, dont il est le rapporteur (amendement COM-51). Au premier abord, l’amendement qu’il propose semble exonérer de sa responsabilité pénale quiconque aurait involontairement provoqué ou contribué à causer la contamination d’autrui par le Covid-19. Marine Le Pen dénonce alors l’« auto-amnistie » scandaleuse du gouvernement et l’opinion publique s’emballe. Pourtant, à l’examiner plus attentivement, cette mesure n’avait rien de contestable !
D’abord, parce que l’exonération de responsabilité proposée ne bénéficiait pas aux autorités de l’État, toujours pénalement responsables des actes adoptés dans l’exercice de leurs pouvoirs de police sanitaire. Ensuite parce qu’elle ne visait que les infractions involontaires. Enfin, parce que le dispositif avait pour objectif de soulager les élus locaux et les chefs d’entreprises de la pression exorbitante que l’actuelle surenchère hygiéniste fait peser sur eux. Dès lors, en allégeant la menace pénale écrasant l’entrepreneur, le maire de la commune rurale ou le petit chef de service – à condition bien entendu qu’ils fussent de bonne foi –, cette proposition entendait enrayer l’emballement sanitaire qui paralyse la reprise économique de notre pays.
C’était trop beau. Mme Belloubet, garde des Sceaux, demande immédiatement à sa majorité à l’Assemblée nationale de vider le mécanisme de sa substance. Le texte finalement adopté se borne ainsi à inviter le juge pénal, lorsqu’il statue sur une négligence ou un défaut de vigilance ayant conduit à une contamination au Covid-19, à tenir compte « des compétences, du pouvoir et des moyens dont disposait l’auteur des faits dans la situation de crise […], ainsi que de la nature de ses missions ou de ses fonctions […] ». C’est évidemment ce qu’il fait déjà ! Le magistrat statuant au pénal est toujours tenu d’« individualiser » la peine qu’il prononce, en l’adaptant aux circonstances personnelles, factuelles et juridiques dans lesquelles l’acte délictueux a pris place. La disposition finalement retenue est creuse, vide, dépourvue d’utilité et de force normative, ce qu’a d’ailleurs relevé le Conseil constitutionnel en notant qu’elle ne différait pas du droit commun – façon d’exprimer en langage fabiusien que l’article ne présente aucun intérêt juridique (déc. n° 2020-800 DC du 11 mai 2020).
Cette affaire confirme ce que les fins observateurs auront déjà compris : l’exécutif, pour des raisons qu’il faudra un jour explorer, poursuit un objectif d’intimidation sanitaire. Une pression maximale doit être maintenue coûte que coûte sur les élus locaux, les fonctionnaires ou les chefs d’entreprises, afin qu’ils soient contraints, par crainte d’éventuelles poursuites, de retenir toujours, parmi les solutions qui s’offrent à eux, les mesures sanitaires les plus exigeantes et les plus strictes. Ce qui est contre-intuitif mais essentiel à comprendre, c’est que cet objectif importe davantage au gouvernement que la tentation qu’il aurait pu avoir par ailleurs d’assurer sa propre amnistie.
D’ailleurs, il ne pouvait poursuivre ces deux buts en même temps : l’application du principe d’égalité devant la loi pénale rendait impossible de n’exonérer que les autorités de l’État, par nature mieux informées que quiconque sur les risques médicaux et sanitaires. Dès lors, soit seuls les élus locaux et entrepreneurs étaient exonérés (solution de l’amendement Bas), soit tout le monde l’était, soit, enfin, personne ne l’était. Et comme il était impensable de relâcher la pression sur les responsables locaux et chefs d’entreprise, le gouvernement a choisi la troisième solution.
L’amnistie fantôme est enfin une leçon pour l’opposition, devenue à son insu l’allié objectif du pouvoir. En critiquant une mesure qui n’existait pas, elle a légitimé le maintien de cette pression pénale démagogique et inhibante qui empêche le peuple français de sortir enfin de réanimation.