Pendant les nombreuses années où j’ai travaillé à Belgrade, je me suis lié d’amitié avec la merveilleuse famille de Zoran Mladenovic. Il a une épouse extraordinaire, Snezhana, une fille, Yovana, et un fils, Vuk. Durant la période où l’OTAN bombardait la Serbie et le Monténégro, Zoran a aidé les équipes des chaînes de télévision russes.
Il s’est rendu avec les journalistes et les techniciens sur tous les « points chauds » et a vu tout ce qui s’est passé pendant ces journées non seulement à Belgrade, mais aussi dans le reste du pays. Il a, comme des millions de Serbes, dû surmonter nombre de moments à la fois sinistres et tragiques. Ses souvenirs sont restés inscrits dans mon journal :
« Quand, le 24 mars 1999, ils ont commencé à bombarder notre capitale, la première bombe est tombée près de l’immeuble où je fais habituellement du sport. Les gens sont sortis en courant et en criant : “L’OTAN bombarde Belgrade !” Mais nous n’avons pas eu peur et avons continuer à vivre plus ou moins normalement. La plupart des missiles et des bombes ont été largués dans le quartier de Strazhavitsa. Il y avait dans cette zone des divisions de notre armée. Elles étaient installées sous terre, c’est pourquoi l’OTAN a bombardé le périmètre sans interruption, jour et nuit. Mais ils n’ont tout de même pas réussi à endommager les souterrains.
Ma femme était alors enceinte, et je me suis fait beaucoup de souci pour elle. Je l’avais emmenée chez des proches à la campagne. Mais les avions de l’OTAN ont bombardé cette région aussi. J’ai donc dû envoyer Snezhana à Budapest. Elle ne voulait pas quitter Belgrade, mais j’ai fini par réussir à a convaincre. Mon épouse est partie à Budapest avec notre fille de 8 ans.
De mon côté, je suis retourné à Belgrade et j’ai commencé à travailler avec des journalistes de Russie. Il s’agissait surtout de journalistes télé travaillant pour la Première Chaîne, NTV, et RTR. Je les ai conduits à travers tout le pays. Nous sommes allés plusieurs fois au Kosovo, au Monténégro, et avons parcouru la Serbie. J’ai donc vu de mes propres yeux ce que l’OTAN a fait à mon pays. Après la fin des bombardements, j’ai ramené ma femme et ma fille en Serbie. Et quelques mois plus tard, est né mon fils Vuk.
Nous avons sauvé notre vie et notre santé, mais nous avons perdu notre terrain. J’avais dans le passé acheté une parcelle de terre de 25 ares sur la côte adriatique au Monténégro. Mais c’est exactement là, dans le village de Lješnica au Monténégro, que de l’uranium appauvri a été déversé. À présent, l’ensemble des sols et de l’eau a été contaminé et cela représente une menace pour les habitants, et ce pour plusieurs générations. D’autant plus que les avions de l’OTAN sont passés plusieurs fois au dessus de la zone qui a été entièrement recouverte d’uranium appauvri. Craignant pour la santé de nos enfants, nous avons décidé de vendre notre terrain.
Je sais que certains de mes voisins qui n’ont pas réussi à vendre leurs terres après 1999 sont tombés malades. Mon voisin, un Serbe, réfugié de Croatie a commencé à souffrir de différents symptômes dès 1995. Lui, comme 300 000 autres Serbes, a été simplement chassé de Croatie et dépouillé de tout. Ce malheureux a également un jeune fils qui s’est retrouvé atteint d’une leucémie en 2000. Et les médecins n’ont pas pu le sauver. L’enfant est mort. Certaines personnes sont tombées malades après avoir rapporté chez elles des débris de missiles. Ceux-ci contenaient une grande quantité d’uranium. Quand ces personnes se sont rendu compte de la situation, il était déjà trop tard pour éviter la maladie et la mort. Il y a aussi des victimes parmi les militaires qui ont participé à la désinfection de la zone. Certains d’entre eux sont décédés. »
Quand j’ai demandé à Zoran pourquoi les avions de l’OTAN ont si impitoyablement bombardé la côte adriatique du Monténégro, et s’il y avait des cibles militaires qui devaient y être détruites, il a répondu avec simplicité, mais sa réponse n’en est pas moins terrible :
« Dans cette région, il n’y avait que la forêt, les montagnes, la mer et une petite plage très propre. Rien d’autre. Deux avions A-2 y ont largué toute leur cargaison : des bombes à sous-munitions. C’est incompréhensible, peut-être, ont-ils pensé qu’aller plus loin été dangereux. Ils ont alors décidé de se débarrasser de leurs munitions et de retourner ensuite sur leurs porte-avions. »
Konstantine Katchaline