Téhéran envisagerait l’envoi de dizaines de milliers d’hommes en armes. Le but : protéger le réduit alaouite face à la progression des djihadistes.
L’Iranien Qassem Suleimani (ci-contre, sa photo en "une" du magazine états-unien Newsweek de décembre dernier) n’est pas un plaisantin. Celui qui dirige la force Al-Qods (Jérusalem), l’unité d’élite de la Garde révolutionnaire iranienne, est sans doute, à l’heure qu’il est, l’homme le plus puissant dans le double conflit qui embrase l’Irak et la Syrie. Lorsque Suleimani promet une « surprise », comme il l’a fait cette semaine, chacun est en droit de trembler.
Voilà des mois maintenant que Qassem Suleimani, qui a les galons de major général, le plus haut grade de l’armée iranienne, s’affiche sans gêne en chef de guerre en Irak, face à l’organisation État islamique (Daech) et qu’il coordonne les forces iraniennes qui soutiennent le régime de Bachar el-Assad en Syrie. Ces derniers jours, pourtant, sa visite dans le nord de la Syrie devait officiellement rester « secrète », avant qu’elle ne soit détaillée par des journaux… proches du régime iranien.
Suleimani s’est rendu dans la région de Lattaquié, en plein cœur du « pays alaouite », la confession du président syrien, là où se trouve une partie des principaux soutiens du maître de Damas. Or, des environs de Lattaquié, on pourrait presque apercevoir la présence des rebelles syriens, distants désormais de quelques dizaines de kilomètres, après qu’ils ont multiplié les succès militaires sur le terrain.
La « surprise » promise par Suleimani ? Elle semble claire. D’autres composantes du pouvoir iranien, et notamment un puissant groupe appelé Ansar e-Hezbollah, prônent dans le même temps l’envoi de 50 000 hommes armés afin de contrer l’avancée des rebelles sunnites, menés par le Front Al-Nosra et solidement épaulés par l’Arabie saoudite et le Qatar.
L’Iran est de plus en plus ouvertement présent aux côtés de l’armée syrienne, loyale au régime de Bachar el-Assad. À tel point que, malgré des frictions, c’est en réalité Téhéran qui semble disposer en grande partie de l’avenir du régime alaouite syrien.
Si ces conjectures sont fondées, l’Iran s’apprêterait donc à « verrouiller » le pays alaouite et, plus important encore, à garantir la connexion entre cette côte syrienne alaouite et la capitale Damas, à présent menacée par les rebelles djihadistes. Le cauchemar de Bachar el-Assad ? L’éventuelle prise par Al-Nosra de l’aéroport de la capitale, qui reviendrait à tenir assiégée la ville.
Dans son combat contre la progression de la rébellion, le régime syrien peut d’ores et déjà compter sur la présence du Hezbollah chiite libanais, qui a lui aussi lancé ses troupes à l’offensive dans les montagnes du Qalamoun toutes proches du réduit alaouite. Jusqu’ici, officiellement, l’Iran assure n’avoir offert qu’un « soutien logistique » à son allié syrien.
Les troupes du major général Suleimani, en revanche, ne minimisent pas leur rôle en Irak, qu’ils tiennent en parallèle. Leurs effectifs, en réalité, sont bien plus nombreux dans ce pays que ceux de l’armée irakienne. Aux forces d’élite des brigades Al-Qods se mêlent des fantassins recrutés par l’Iran, dont des Afghans chiites.
Avant d’annoncer sa future « surprise », Qassem Suleimani s’en était pris vertement aux États-Unis, qui venaient de dénoncer le manque de combativité de l’armée irakienne. « Monsieur (Barack) Obama, quelle est la distance qui sépare Ramadi (la ville d’Irak dont s’est emparé l’État islamique) et la base où sont stationnés vos avions ? Comment pouvez-vous être présent dans ce pays au prétexte de défendre les Irakiens, et ne rien faire du tout ? » s’emportait l’Iranien en suggérant l’existence d’un « complot » entre les Américains et les djihadistes de Daech.
Pour les États-Unis et la coalition qui s’est formée derrière eux afin de combattre les djihadistes, les milices chiites dirigées par Suleimani n’ont aucune existence. Dans le communiqué final qui a conclu leur réunion, mardi à Paris, ils n’en faisaient pas mention mais émettaient le souhait que toutes les forces présentes en Irak « répondent à la chaîne de commandement de l’armée irakienne ».
Un vœu pieu qui aura de la peine à se traduire sur le terrain, tandis que le sort de l’armée irakienne (comme en Syrie) semble aujourd’hui entre les mains de l’Iran.
Il y a quelques semaines, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU décrivait à Genève la « traînée de mort et de destruction » que représentait l’avancée de ces milices chiites sur le terrain, dans les régions sunnites. C’est à cette aune qu’il faut peut-être juger la « surprise » promise par Suleimani en Syrie.