Entretien de Jean-Pierre Chevènement à la revue Charles, propos recueillis par Loris Boichot, octobre 2017.
Revue Charles : Vous naissez le 9 mars 1939 à Belfort, six mois avant l’invasion de la Pologne par l’Allemagne qui marque le début de la Seconde Guerre mondiale. Vous effectuez ensuite votre service militaire en Algérie à la fin de la guerre d’indépendance. Diriez-vous que la guerre, la conscience du tragique qui résulte de l’expérience d’un conflit, est ce qui sépare votre génération de celle d’un Emmanuel Macron ?
Jean-Pierre Chevènement : Devenir Président de la République à trente-neuf ans, c’est une expérience qui vaut mieux que l’expérience de la guerre. La guerre change profondément les hommes. En bien ou en mal. Quelquefois les deux.
Et vous, comment vous a-t-elle changé ?
Oh, elle a fait de moi un homme. Je n’étais pas un homme quand je suis parti en Algérie. J’étais un grand adolescent à peine sorti de la belle bibliothèque de Sciences Po. L’essentiel de mon temps, je l’avais consacré à la rédaction d’un mémoire sur « La droite nationaliste française et l’Allemagne de 1870 à 1960 ». C’était pour moi, petit provincial sociologiquement « de gauche » un moyen de connaître la droite et ses différentes familles de pensée. Mais je n’avais que 21 ans. Quand je suis rentré deux ans et demi plus tard d’Algérie, j’avais été façonné par une expérience qui m’avait mis au cœur d’évènements où j’avais vu des gens tués près de moi et une société basculer. J’avais vu le massacre de Saint-Denis-du-Sig (un massacre de harkis le 19 mars 1962 suivi d’une « reprise en mains » sanglante, NDLR). Pendant l’insurrection de l’Organisation de l’armée secrète (OAS), j’avais vu des femmes de ménage algériennes assassinées dans la rue, le port d’Oran bombardé puis incendié. J’avais vu des officiers français assassinés par l’OAS : le général Ginestet et le colonel Randon. J’avais vu beaucoup de choses de très près… Quand on a fait la guerre, on est moins manichéen et en même temps on acquiert un certain sens de l’Histoire. On relativise et en même temps on anticipe mieux les choses … C’est ce que j’ai voulu faire à mon retour d’Algérie en 1963 en préparant « l’après de Gaulle », tout en essayant de conserver de son héritage ce qui méritait de l’être...
Avant de rencontrer les militaires français et algériens, les premiers militaires que vous avez connus, pendant la Seconde Guerre mondiale, furent des occupants allemands…
Oui, j’ai gardé le souvenir de l’occupation du premier étage de la maison-école où nous habitions ma mère et moi, dans un petit village du Haut-Doubs, Le Luhier. Cela devait être au début de 1943. Les soldats allemands s’étaient installés au premier étage. Ma mère m’interdisait d’y monter, au prétexte que les bonbons que les soldats allemands me donneraient seraient empoisonnés, selon l’habitude qu’ils avaient déjà, selon elle, dans les régions occupées pendant la Première Guerre mondiale. Mais j’ai enfreint la consigne maternelle et je mangeais les oranges que m’offraient les soldats allemands, constatant ainsi à l’âge de quatre ans qu’ils ne méritaient pas tout à fait leur réputation ...
[...]
Après vos études à Sciences Po, vous sortez en 1961 d’une école militaire, en Algérie, comme jeune officier de réserve. Vous êtes à l’aube de votre service militaire. [...] Vous avez répondu à l’appel, alors que vous aviez auparavant milité à l’UNEF en faveur de l’indépendance ?
Oui, j’étais tout à fait conscient que l’Algérie allait devenir indépendante, mais je ne voulais pas déserter. Comme le disait le général de Gaulle, si l’Algérie devait devenir indépendante, il valait mieux que ce soit avec la France que contre elle. Je n’étais pas du tout antigaulliste, au contraire. Je considérais que De Gaulle avait raison, que lui seul pouvait trancher le nœud gordien qu’était l’indépendance de l’Algérie dans l’intérêt de la France. Je me suis donc déterminé en patriote, mais en patriote éclairé, pas en patriote borné. Parce qu’il y avait aussi des patriotes, certainement, parmi les gens de l’OAS. Je ne le nie pas. Mais c’étaient vraiment, en dehors des pieds-noirs que je pouvais comprendre, des sacrés connards. Je leur en voulais de leur myopie et de leur violence à l’égard des populations algériennes. Le bombardement de la ville musulmane qu’on appelait aimablement « le village nègre » d’Oran, ou bien encore l’assassinat des dockers sur le port, tous ces meurtres gratuits avaient pour but de créer la guerre civile. La folie de l’OAS n’a malheureusement que trop bien réussi …
[...]
À défaut d’être devenu colonel, vous êtes resté attaché aux questions de défense pendant toute votre vie politique. Pourquoi ?
Parce que je sais que la défense est la condition de toute politique étrangère. Il n’y a pas de politique étrangère indépendante sans une défense elle-même indépendante. C’est ce que le général de Gaulle nous avait appris.
Que vous ont appris vos expériences militaires dans l’exercice du pouvoir ? Cela m’a appris à la fois la nécessité et le bon usage de la force. On ne peut pas simplement rester dans la réflexion. Je croyais, étant jeune, qu’il y avait des « sciences politiques ». J’ai vérifié qu’elles n’existaient pas. La politique n’a rien de scientifique, parce qu’il y a trop de facteurs aléatoires et par conséquent trop d’incertitude. Il faut beaucoup d’intuition et un peu de génie finalement, pour traduire une idée dans l’action, et pour la traduire heureusement. Quand ils sont dignes de ce nom, les hommes politiques n’ont pas seulement une pensée, ils ont un savoir-faire. Il y a un art politique. À cet égard et malgré des désaccords, j’ai beaucoup appris de François Mitterrand. En matière militaire, il faut savoir doser la force. Elle est nécessaire mais doit être maîtrisée.
[...]
Pourtant, après avoir adhéré en 1964 à la SFIO, puis avoir été le principal rédacteur du programme « Changer la vie » du tout jeune PS, vous devenez l’un des négociateurs du programme commun avec le PCF de juin 1972, qui demande la « renonciation à la force de frappe nucléaire stratégique sous quelque forme que ce soit ». N’est-ce pas renier votre conviction profonde que la France a besoin d’une force de dissuasion pour mener une politique étrangère indépendante ?
Il y avait quatre groupes de travail. J’ai négocié la partie économique du programme commun. Les socialistes chargés du chapitre « Défense » étaient Robert Pontillon et Gérard Jaquet, qui étaient des atlantistes, des anciens de la SFIO. Mitterrand savait qu’il devait faire de concessions au PCF. Il raisonnait en dynamique. Il voyait dans le programme commun l’outil de mobilisation des masses électorales. Il savait très bien que l’armement atomique de la France n’était pas au cœur des préoccupations des milieux populaires, qui s’intéressaient essentiellement aux dispositions pratiques concernant le pouvoir d’achat, la cinquième semaine de congés payés, la retraite à 60 ans, etc. Par conséquent, Mitterrand a accepté cette rédaction. À cette époque, il n’avait pas encore les idées claires sur la question. Mais il était évident, à mes yeux, qu’en tant que candidat à la Présidence de la République, il finirait par se rallier à la dissuasion. Aussi bien, le programme commun a été dénoncé en 1977 et dès 1978 le parti socialiste s’est rallié à la dissuasion.
[...]
La rupture s’est cristallisée sur ce point-là ? Oui, mais le fond de l’affaire était que le parti communiste avait le sentiment de se faire rouler … À l’intérieur du PCF, des gens avec lesquels il m’arrivait de travailler, comme Jean Kanapa, avaient très bien compris que la dissuasion était le gage d’une politique indépendante de la France au sein de l’Alliance Atlantique. Adversaires de la dissuasion nucléaire au début des années 70, les communistes en étaient devenus de chauds partisans à la fin des années 70. Le prétexte de la rupture était moins le fait du dialogue qu’ils entretenaient avec leur grand frère soviétique que le simple résultat de ce qu’ils avaient constaté que la dynamique de l’union de la gauche s’exerçait au profit du parti socialiste et donc à leur détriment.
Contrairement aux mesures du programme commun de 1972, François Mitterrand propose, dans ses 110 propositions de 1981, le « développement d’une stratégie autonome de dissuasion »… Le meilleur service que j’ai rendu à la défense de la France – enfin, j’en ai rendu beaucoup d’autres (rires) -, c’est quand j’ai contribué à rallier le PS à la dissuasion nucléaire, en 1978. Avec mes amis du CERES (Centre d’études, de recherches et d’éducation socialiste, courant de la SFIO fondé en 1966 et animé par Jean-Pierre Chevènement, NDLR), nous avons apporté l’appoint décisif qui a permis au PS de ne pas rester sur la position absurde : « Nous allons périmer la force de dissuasion que le général De Gaulle a entrepris de construire et que poursuivent ses successeurs ». François Mitterrand, pour devenir président de la République, avait besoin de rester le maître de la dissuasion et le garant de l’indépendance de la France, et donc de ne pas apparaître comme le président qui allait la liquider. Il a demandé à un de ses proches, Charles Hernu, qu’il a spécialisé dans les questions de défense au sein du Parti socialiste, avec pour mission de combattre la ligne anti-nucléaire traditionnelle de la gauche, et à moi-même qui fournissait les bataillons de jeunes militants, de l’aider à renverser le courant. Comme le désir profond de Mitterrand était compris par un certain nombre de hiérarques socialistes comme Defferre et Mauroy, nous avons pu remettre en cause la position historique du PS et de la gauche : « Non à la bombinette ! ». C’est de ce renversement que date le fameux « consensus sur la défense » …
[...]
Une fois ministre de la Défense, quelles relations avez-vous tissées avec les dirigeants d’industrie d’armement ?
Cela passait par le directeur général de l’armement de l’époque. J’avais nommé à ce poste Yves Sillard, un grand ingénieur qui était l’ancien patron du Centre national d’études spatiales. J’ai le plus grand respect pour la Direction générale de l’armement (DGA), qui est un vrai ministère de l’Industrie bis. Bien sûr, j’étais en contact direct avec les patrons de Thomson, Dassault, Lagardère… C’est moi qui ai fait homologuer le Rafale, contre l’avis du Premier ministre de l’époque, Michel Rocard. Donc Serge Dassault m’a quand même passé un coup de fil pour me remercier. C’est la seule fois où il m’a remercié. Et c’est très bien ainsi car tout ce que j’ai fait, je l’ai fait pour servir les intérêts de la France.
[...]
Quel événement vous a confronté, en tant que ministre de la Défense, à la raison d’État, à cet intérêt supérieur de l’État qui exige de transgresser les règles courantes ? La guerre du Golfe à l’évidence. Cette guerre parfaitement évitable, si on avait eu recours aux ressources de la diplomatie, était, à mes yeux, une catastrophe épouvantable, qui allait ouvrir la voie à une expansion du fondamentalisme, de l’islam radical et du terrorisme, qui allait déséquilibrer complètement le Moyen-Orient et nous aliéner une partie de l’opinion arabe. J’ai eu des discussions très dures avec François Mitterrand sur ce sujet.
La raison d’État commandait François Mitterrand d’engager la France dans ce conflit, selon vous ?
Je ne crois pas, je ne connais pas les motivations de François Mitterrand. Il ne me les a jamais véritablement données. Ou alors il m’a dit des choses que je ne veux même pas vous rapporter.
C’est-à-dire ?
Je ne veux pas vous les rapporter. Il m’a dit des choses qui m’ont choqué. Et moi, personnellement, je me suis déterminé en fonction de la raison d’État. De la raison d’Etat de la France. Je considérais, comme ministre de la Défense, qu’il valait mieux que je me défasse de mon sabre et que je n’apparaisse pas complice d’une guerre qui porterait un grave préjudice à nos intérêts nationaux, aux intérêts des pays musulmans eux-mêmes, mais aussi à l’intérêt du monde entier, de l’Humanité, et des États-Unis eux-mêmes. Les Twin Towers c’est en 2001, c’est dix ans après.
Il y a une relation de cause à effet entre la guerre du Golfe, en 1991, et les attentats du 11 septembre 2001, selon vous ?
Vous pensez que les évènements tombent du ciel ?
Revenons à la raison d’État. Est-ce que vous avez été confronté à une situation difficile où vous avez dû prendre une décision en conscience, à l’image de François Hollande lorsque qu’il commandite au moins quatre opérations « homo », des assassinats ciblés d’ennemis de la nation, comme il le révèle dans Un Président ne devrait pas dire ça ?
Je ne crois pas que le ministre de la Défense peut ordonner ce genre d’opérations. Seul le président de la République peut sans doute le faire. François Hollande a eu tort d’avoir révélé cela. Ce livre avec deux journalistes du Monde n’aurait d’ailleurs jamais dû paraître. Le pouvoir politique doit rester maître de sa communication. C’est ce qu’essaie de faire Emmanuel Macron dans l’intérêt public.
[...]
Vous démissionnez pourtant en 1991. Vous exprimez votre opposition à l’engagement de la France dans la guerre du Golfe lors du Conseil de défense du 9 août 1990. Vous vous trouvez dans le salon Murat à l’Elysée, avec Roland Dumas, ministre des Affaires étrangères, Pierre Joxe, ministre de l’Intérieur, Jacques Lanxade, chef d’état-major particulier du président de la République, les chefs d’état-major des différents corps d’armée, le secrétaire général de l’Elysée et le conseiller diplomatique. Comment la réunion se passe-t-elle ?
Une analyse est faite. François Mitterrand ne dit pas tout ce qu’il sait. Il ne dit pas qu’il a reçu, le 3 août 1990, une communication téléphonique de Georges Bush père, lui demandant : « Est-ce que la France sera avec nous ou pas dans la guerre ? ». Nous n’étions pas complètement informés. En réalité, la décision était prise au plus haut niveau dès le début.
[...]
Comment avez-vous vécu ce désaccord avec François Mitterrand sur la nécessité d’intervenir face à Saddam Hussein ?
Douloureusement. Pour la première fois, on a assisté à une opposition entre un président de la Ve République et son ministre de la Défense sur une question qui touchait à la guerre et à la paix. J’étais pour l’évacuation du Koweït par les moyens de la diplomatie que je savais possible. J’ai toujours pensé que l’avenir du monde arabe était dans le soutien aux éléments les plus progressistes. Je considérais que faire la guerre à l’Irak revenait à briser le pays qui permettait de maintenir un équilibre au Moyen-Orient et de contenir le fondamentalisme. François Mitterrand, lui, s’est rallié à la guerre, qui avait été décidée par George Bush père dès le premier jour, c’est-à-dire dès le 3 août 1990. J’ai tous les éléments qui me permettent de le démontrer. Mitterrand considérait, pour des raisons qui lui appartiennent, qu’il ne pouvait pas être en dehors de la guerre, c’est-à-dire donner à la France une position de médiation, bien qu’il ait fait, en septembre, un discours à l’ONU qui allait apparemment dans ce sens, mais qui n’a été suivi d’aucune action de notre diplomatie (« Que l’Irak affirme son intention de retirer ses troupes, qu’il libère les otages, et tout devient possible », affirme Mitterrand à l’ONU le 24 septembre 1990, NDLR).
[...]
« Notre situation est intenable, c’est impossible d’avoir un ministre de la Défense réticent à une intervention armée contre l’avis de tous, ce n’est plus gérable », aurait confié le chef d’état-major particulier du président de la République, M. Lanxade, à François Mitterrand, un jour de 1990, d’après des propos rapportés par Alexandra Schwartzbrod dans Un président qui n’aimait pas la guerre. Si vous n’aviez pas présenté votre démission, vous auriez quand même été poussé vers la sortie ?
Oui, c’était le désir de Lanxade et de Rocard. Et sans doute de beaucoup d’autres. En réalité, j’avais recommandé à Mitterrand l’amiral Lanxade, qui était mon chef de cabinet militaire, pour être son chef d’état-major particulier. C’était un homme intelligent mais ce fut une erreur de ma part, parce que très rapidement l’amiral Lanxade est devenu la courroie de transmission entre Bush père et Mitterrand. Il a fait savoir à Bush que c’était le président de la République qui décidait, et pas le ministre de la Défense. C’était un point que je ne contestais d’ailleurs pas mais j’espérais pouvoir amener Mitterrand à jouer les médiateurs ...
[...]
Après votre rejet de l’intervention française dans le Golfe, certains vous ont qualifié de « pacifiste ». Vous répondez : « Je ne suis pas un pacifiste, je suis un pacifique ». Que voulez-vous dire ?
Naturellement, je suis pacifique parce qu’il est préférable de résoudre les conflits par la voie diplomatique que par la voie de la violence. Mais je ne suis pas pacifiste, sinon je n’aurais pas accepté le ministère de la Défense. Je ne suis pas contre la guerre en général. J’ai par exemple approuvé l’intervention au Mali quand François Hollande l’a décidée, j’aurais été pour l’Union sacrée en 1914 parce que notre pays était l’agressé. Je considère qu’être pacifiste c’est renoncer aux moyens de se défendre. Je me suis donc toujours battu pour les crédits militaires. J’ai préparé le plus haut budget d’équipement que la France ait jamais eu, en 1991.
Quand la guerre est-elle nécessaire ? Quand on ne peut pas l’éviter. Je suis toujours partisan de privilégier la diplomatie, si on peut régler une affaire par cette voie-là. Je me souviens de François Mitterrand, qui a dit à un général qu’il décorait, au mois de juin 1991 : « Est-ce que tout cela, au fond, en valait bien la peine ? » Les deux guerres du Golfe qui ont détruit l’État irakien ont donné Daech.
C’est-à-dire ?
La destruction de l’État irakien a livré le pays à la guerre civile. Elle a d’abord permis aux chiites de devenir majoritaires et de tenir le gouvernement de Bagdad puis d’opprimer les sunnites. L’Irak est devenu plus ou moins le relais de l’Iran. La destruction de l’État irakien a libéré en Irak d’abord, mais aussi dans tout le monde musulman, les forces d’Al-Qaïda, le terrorisme, le fondamentalisme sunnite et enfin Daech. En Irak même, c’est une guerre civile épouvantable, avec des exécutions, des viols, des tortures, peut-être un bilan de plus d’un million de morts depuis 1991. Certes, la dictature de Saddam Hussein était une dictature brutale. Mais si l’on met en rapport les effets de cette dictature avec l’épouvante qui règne aujourd’hui dans la région, on se rend compte que la politique doit se faire avec la morale, au bon sens du terme. Une morale articulée avec la réalité.
[...]
Vous démissionnez un an après la chute du mur de Berlin et quelques mois avant l’effondrement de l’URSS. N’est-ce pas une désertion de quitter ce poste stratégique de ministre de la Défense à un moment où s’opère une recomposition charnière du paysage géopolitique ?
Je vous ai expliqué le contraire. Quand je démissionne, en janvier 1991, l’Allemagne a retrouvé son unité. Personne ne prévoit l’implosion de l’URSS. Mitterrand même n’y croira pas. Mais personne – en dehors de moi – n’a anticipé l’Islam radical dans le monde sunnite et le terrorisme. La désertion, cela aurait été de rester à mon poste, compte tenu de ce que j’étais, de ce que je portais depuis Épinay et de la connaissance que j’avais du monde arabe. Je pense avoir mieux préservé l’avenir, vis-à-vis des peuples arabes et des peuples musulmans, que ceux qui ont ordonné des interventions à courte vue, grosses de catastrophes à venir. Malheureusement la guerre du Golfe n’a pas servi de leçon. Ni pour Nicolas Sarkozy en Libye, ni pour François Hollande en Syrie. Il me semble cependant qu’Emmanuel Macron a entrepris de revoir notre politique en Syrie pour y ramener la paix. La force c’est bien, quand elle est au service d’une politique juste.