Les instituts de sondages le donnent plus haut qu’en 2002 à la même époque. Et, dans l’entourage de Le Pen, la tentation de réorienter sa stratégie politique vers la gauche et l’électorat populaire existe. Mais le président du Front national ira-t-il jusqu’au bout de cette stratégie ?
21 avril 2002 au soir. Jean-Marie Le Pen accède au second tour de l’élection présidentielle, à la surprise des médias et du personnel politique. Jean-Claude Martinez, proche conseiller du président du Front national, lui rédige alors les grandes lignes de son intervention télévisée. Devant les caméras de télévision, Jean-Marie Le Pen proclame :
" N’ayez pas peur de rêver, vous les petits, les sans-grade, les exclus. Ne vous laissez pas enfermer dans les vieilles divisions de la gauche et de la droite. Vous, qui avez supporté depuis 20 ans toutes les erreurs et les malversations des politiciens. Vous, les mineurs, les métallos, les ouvrières et les ouvriers de toutes ces industries ruinées par l’euro-mondialisme de Maastricht. Vous, les agriculteurs aux retraites de misère et acculés à la ruine et à la disparition. Vous, qui êtes les premières victimes de l’insécurité, dans les banlieues, les villes et les villages. "
Il poursuit :
" J’appelle les Françaises et les Français, quelles que soient leur race, leur religion ou leur condition sociale, à rallier à cette chance historique de redressement national. ".
Jean-Claude Martinez le défend déjà en 2002 : l’espace politique de son patron est à gauche, les catégories populaires ayant déserté pour une bonne part le vote socialiste et communiste. Contre l’essentiel des proches et conseillers de Le Pen, il préconise de s’adresser prioritairement aux laissés pour compte de la mondialisation libérale. Entendu au soir du premier tour, ce conseil sera pourtant abandonné par Le Pen entre les deux tours, rattrapé par les tropismes traditionnels du Front national (immigration, insécurité, etc.).
Mais la situation politique a évolué. Depuis 2002, bien des choses se sont passées. L’appareil du FN a pu mesurer l’importance du vote frontiste dans d’anciennes régions industrielles ou communistes comme le Nord-Pas de Calais ou le Sud-Est. Et le 29 mai 2005, Le Pen a fait partie d’une majorité politique pour la première fois de sa carrière au sein du Front national : celle du non au référendum sur le traité constitutionnel européen. Les candidats à l’élection présidentielle des deux principales formations politiques, Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy, ont tous deux été de fervents partisans du oui. Dans cette hypothèse, une part significative des 54% des électeurs du 29 mai pourrait ainsi vouloir faire " turbuler " à nouveau le système le 22 avril 2007, le jour du premier tour de l’élection présidentielle.
L’exemple de Chavez
Depuis la première guerre du Golfe à laquelle il s’était opposé, Jean-Marie Le Pen a envoyé des signaux aux icônes de la gauche dans le monde. Après 2002, des contacts sérieux ont été pris par Jean-Claude Martinez afin de lui faire rencontrer le symbole de l’" anti-impérialisme ", Fidel Castro. Accueilli favorablement par le président cubain d’après Martinez, l’initiative aurait capoté du fait de l’opposition des anticommunistes du Front, au premier rang desquels Bernard Antony, qui a quitté la direction du FN depuis. Il a également signé un article favorable au président vénézuelien Hugo Chavez dans National Hebdo, l’organe de presse du Front national. Chavez exerce un puissant effet de fascination sur des publics très divers, des milieux marxistes à ceux de la droite nationale antiaméricaine. Il est regardé avec attention pour sa capacité à avoir fait voler en éclat les anciennes alliances politiques au Vénézuela, balayant la gauche et la droite dites " classiques ". Un modèle que Martinez reformule en un slogan politique : le " Front Alternational ".
Premiers signaux
Le discours de Le Pen à Valmy le 20 septembre 2006, rédigé par Alain Soral, l’essayiste qui a annoncé son ralliement au candidat du Front national et qui est devenu l’un des conseillers du président du FN, a surpris les observateurs du parti. Fin du droit du sang, préférence du droit du sol, défense de l’assimilation contre le communautarisme, acceptation des " Français issus de l’immigration " : le discours fleurait davantage la gauche républicaine que l’ancien langage frontiste.
Citons Jean-Marie Le Pen dans le texte :
" Oui tous, non pas Français de souche ou de papier mais Français de coeur et d’esprit, nous pouvons constituer demain, dans un grand élan d’union nationale, cette armée hétéroclite des soldats de Valmy rassemblée autour d’une même idée - de cette France, qui est d’abord une idée - celle de la République, une et indivisible, fière de son histoire et assimilatrice, respectueuse de la liberté et soucieuse des humbles, et plus que tout éprise de justice et d’égalité , celle de la République, selon notre Constitution : Laïque, Démocratique et Sociale. "
Que décidera Le Pen et son premier cercle ?
Jean-Marie Le Pen privilégiera-t-il une stratégie " de second tour " comme le préconise Jean-Claude Martinez, qui a publié en début d’année A tous les Français qui ont déjà voté une fois Le Pen (Editions du Monde) ? C’est la stratégie que défend aussi Alain Soral, qui affirme que " beaucoup d’intellectuels, artistes, entrepreneurs avouent déjà en privé qu’ils vont voter Le Pen ".
Mais les pesanteurs idéologiques du Front national ne neutraliseront-elles pas les vélléités de ces conseillers de l’ombre d’infléchir la ligne de Jean-Marie Le Pen ? Soral prétend pour sa part que Le Pen est " convaincu " de la nécessité de se repositionner.
Du côté des candidats Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal et François Bayrou, rien ne semble indiquer, pour le moment, la construction d’une stratégie qui serait suceptible de concurrencer Jean-Marie Le Pen, s’il optait pour un positionnement " à gauche ".
Ces médias qui ne lui sont pas défavorables
On parle beaucoup des invitations plus régulières du président du Front national dans les grands médias (Ripostes, RMC, etc.). Mais Jean-Marie Le Pen peut aussi compter sur le retour du magazine Le Choc du mois, classé dans la " droite nationale ", qui avait dû cesser de paraître en 1993 après une série de condamnations judiciaires. Relancé en avril 2006, le magazine a déjà publié six numéros et accueilli de nombreuses personnalités : Dieudonné, Denis Tillinac, Philippe de Saint-Robert, Dominique Jamet, Charles Saint-Prot, Jean Sévillia, le père Michel Lelong, Sylvain Attal, Dominique Jamet, Michel Maffesoli, Jürgen Elsässer, etc. Interrogé par Marianne2007.info, son rédacteur en chef Bruno Larebière ambitionne de réunir " people et intellos ". Son casting rappelle un peu celui de feu l’émission " Tout le monde en parle " de Thierry Ardisson. Bruno Larebière déclare ne pas vouloir " jouer les rabatteurs pour Le Pen " et affirme n’avoir " aucun lien organique ou capitalistique avec le Front national ". Il faut noter que c’est dans Le Choc du mois que Dieudonné avait fait les premiers pas en direction de Jean-Marie Le Pen.
Sur Internet, le site Novopress et ses déclinaisons régionales ont réussi à atteindre un lectorat important. A l’inverse du site France-echos qui lorgne parfois du côté de Philippe de Villiers par anti-islamisme, les rédacteurs de Novopress voient d’un bon oeil Le Pen en 2007.
Le site Salut Public travaille quant à lui à la mise en acceptation idéologique des passerelles entre républicains de gauche et lepénistes.
Enfin, les partisans de Dieudonné donnent la parole à Jean-Marie Le Pen sur leur site labanlieuesexprime.org comme sur cet entretien-vidéo.