Toute la différence entre ces deux mots n’est pas tant dans l’accent aigu que dans le sens grave que leur donne l’Histoire qui s’écrit sous nos yeux.
1 Indignés ? Depuis deux ans il y a eu les « émeutes de la faim », honte pour les dirigeants des pays d’Afrique noire et du Maghreb où elles se sont produites. Puis il y a eu le « printemps arabe » (et juif ?), les manifestations des indignés à Athènes, Madrid, Barcelone, Lisbonne, Paris...Voici à présent les sidérantes émeutes de Londres, Birmingham, Manchester, Liverpool...En réalité, ce sont, désormais, les peuples de la planète, de l’Afrique, de l’Europe du Sud comme de l’Europe du Nord, du Maghreb et du Moyen Orient, qui sont indignés.
Indignés de vivre dans des sociétés qui acceptent que 20 à 50 % de la jeunesse soit déclassée, sans emploi, sans perspective de vie, sans espoir de fonder une famille, d’avoir un logement, une place digne dans la communauté nationale.
Indignés, pour ceux qui ont un emploi, par la flambée des prix de l’énergie, des produits alimentaires, simultanément avec l’appauvrissement des agriculteurs. Pour ceux qui touchent des retraites, en voie de réduction, après avoir, une vie durant, apporté leur travail à la collectivité.
Indignés par l’augmentation des impôts locaux qui les obligent à vendre la maison de leur vie. Pour tous ceux-là, c’est leur vie physiologique même qui est, désormais remise en cause.
Indignés, par la vie indigne, le sort indigne, qu’on leur fait subir. Indigne est la société qui fabrique des « indignés », angoissés, humiliés.
Indignés, enfin, car, du fond de leur détresse et de leur stress quotidien, ces femmes et ces hommes, jeunes ou moins jeunes, nos parents, nos amis, nos voisins, sont contraints de contempler un spectacle indigne : la gabegie et la jouissance indécentes d’une caste politico-médiatico-financière arrogante, avide, indifférente, et, plus que tout, incompétente. C’est l’irresponsabilité qui rend incompétent.
2 Indignes ? Sans l’accent de la détresse aiguë, avec le « e »de l’indifférence muette. Indignes ceux qui traitent avec si peu de respect leurs congénères, semblables, compatriotes, concitoyens. Qui tuent en eux l’espoir du lendemain, l’amour de la vie chez les plus petits d’entre nous.
Indignes en tolérant – ou plutôt en favorisant – toutes les activités de spéculation bancaires, monétaires, financières, sociales, foncières, commerciales, alimentaires ...au détriment des activités productives, socialement utiles, du travail, du service public.
Indignes moralement, certes, mais indignes, aussi et surtout peut-être, intellectuellement et politiquement. Car, enfin, combien de temps encore nous faudra-t-il supporter tous les faux-semblants, les artefacts économiques et politiques dont nous abusent notre oligarchie politique et nos économistes officiels, soigneusement sélectionnés par les médias en raison de leur connivence ? Et indignes ceux qui, dans le confort des classes moyennes, éduquées, mais corticalement captives, subjuguées par l’apparente complexité de sujets qu’elles apprennent dans les hebdomadaires, et restituent dans les dîners en ville sans le moindre esprit critique.
Mais combien il a été téméraire, face à ces gens indignes, d’oser s’écarter de la pensée unique et de donner un motif de lynchage mondain à la meute indigne.
3 Mais le temps est venu, enfin, où la témérité sera perçue comme du courage ou de la vision d’avenir, et la puissance comme la prébende de l’incompétence.
L’immense Maurice Allais, prix Nobel français d’économie, récemment décédé, a été complètement exclu des plateaux de télévision pendant les 25 dernières années de sa vie. Et son nom est inconnu du grand public, au profit d’économistes volubiles de seconde ou même troisième zone. Sans compter l’indicible et « patelloïde » A. Minc....qui est le seul à penser qu’il est un économiste ; comme J. Attali.
Tout ce petit monde, aujourd’hui, mouline des paroles à vide : ils n’avaient rien compris. Maurice Allais fut téméraire d’avoir raison trop tôt et trop seul : il dérangeait les jeux de la finance qu’il avait percés à jour ; et il est parti avant d’avoir pu torcher ces « xylophones » carriéristes (ne parlent-ils pas la langue de bois ?).
Il leur suffit, à tous ces falsificateurs, de rester dans la ligne, comme le firent avant eux les économistes de l’URSS. L’internationale capitaliste produit des dérives scientifiques inverses mais tout aussi fausses de celles de l’internationale socialiste. Comprendra-t-on, un jour, comment, par quelle inversion, l’erreur économique, de la mondialisation à l’Euro, a pris le pouvoir ? Au rebours des principes cardinaux et expérimentés de l’économie et des acquis des travaux des plus grands économistes ?
Les évènements, à présent, se précipitent : en quelques jours le monde occidental découvre la vérité sur lui-même et sur la sottise effarante des dirigeants qui se sont succédé depuis 30 ans à sa tête. On repense, alors, au mot du grand économiste français J-B. Say, disant des thèses aberrantes de Ricardo (qui ont pourtant servi de trame idéologique aux accords de Bretton Woods, dont le FMI et l’OMC sont issus) : « M. Ricardo pousse l’économie dans le vide ». Le vide, nous y sommes désormais, tant au plan social, que politique ou économique. Ce vide ne sera comblé que par un retour aux objectifs fondamentaux de l’économie : une « inversion des pôles ».
Soyons, comme Maurice Allais, téméraires : l’obstacle, d’ailleurs, vient singulièrement de perdre de sa hauteur et les opinions publiques tendent l’oreille. Disons, clairement et fortement, que de Paris à Bruxelles, de Francfort à Washington, en passant par Genève (OMC), nos destins ont été placés entre les mains de personnages incompétents, stipendiés, douteux, ou dangereux : Delors, Barroso, Trichet, Lamy, Strauss-Kahn (pardon : Lagarde, mais jusqu’à quand ?).
Étant puissants, riches et célèbres, il était facile, pour les médias de leur prêter aussi l’aura de la compétence, quand ils n’ont jamais été que de falots exécutants, là où il fallait des esprits sages, vertueux et courageux. Seraient-ils plus compétents, tous ces chambellans, que les prix Nobel d’économie qui, depuis des années, conseillent, dans le désert, le contraire des politiques mises en œuvre ?
Voici venue l’urgence de la raison, de la compétence, mais aussi du sentiment d’humanité qui n’en est pas si différent. Et ce sera alors le temps de la France, car qui détient, sinon elle, le souvenir des Lumières et qui, aux yeux du Monde, en apparait comme la messagère ?
Incompétents ? Les « indignes » ne veulent pas l’admettre : ils persistent et tentent de garder leur pouvoir sur nous, contre toute logique et toute raison, par une fuite en avant idéologique, sur fond de sur-dramatisation prédictrice.
Complètement ignares ou falsificateurs de l’histoire monétaire et politique des années 1920-1933, les « indignes » pronostiquent qu’un « repli national » (c’est le terme qu’ils emploient, aux antipodes de notre projet) pourrait déboucher sur la guerre ! Ignares et incompétents : Lorsque l’économiste allemand Von Mises écrivit, en 1930, la célèbre phrase, qui sera reprise à contre emploi par Aristide Briand devant la SDN, « Le protectionnisme c’est la guerre ! » il voulait dire qu’un pays devient protectionniste quand il se prépare à faire la guerre à ses voisins. Et non pas que le protectionnisme est la cause de la guerre ! Car cela n’est jamais arrivé.
Incompétents ou falsificateurs, obéissants à leurs maîtres, les « indignes » nous expliquent que tous nos malheurs viennent du fait que nous ne serions pas allés assez loin. Que signifie « pas assez loin », quand c’est dans la mauvaise direction que l’on nous emmène ? Cette direction où nous avons eu les mauvais résultats que nous payons aujourd’hui ? Les « incompétents » ne nous proposent qu’une fuite en avant, pour nous enterrer dans leur réduit dogmatique fédéraliste.
Leurs « solutions » ?
créer une « dette européenne »fédérale pour mettre dans le même panier la dette française et les dettes italiennes, espagnoles, grecques, etc. Dette ainsi supposée plus facile à « vendre », à moindre taux (Eurobonds).
mettre en place un « plan d’austérité européen »fédéral. En somme, il suffirait de mettre le mot magique « fédéral » (Hocus Pocus Federalus !) partout pour accomplir des miracles dont les effets se feraient sentir (peut-être), dans 15 ou 20 ans. Indignes et incompétents, ils aimeraient bien, en plus, nous prendre pour des imbéciles.
Les « fédérolâtres »pontifiants voudraient ainsi profiter des désarrois qu’ils ont enfantés pour réaliser un nouveau coup d’état bureaucratique qui prendrait le nom de « amélioration de la gouvernance », consistant à diminuer toujours plus la liberté des nations pour les soumettre, cette fois-ci définitivement, à des fonctionnaires non élus et grassement payés, qui décideraient de tout : impôts, budgets, privatisations, services publics, éducation, retraites, mariage, immigration...
Incompétents, totalement irresponsables, désormais dans l’affolement qui est le leur, les « fédérolâtres », tels des avions suicides, foncent vers l’Utopie. Car personne ne saurait soutenir, comme ils le font, que la disparition des démocraties nationales pourra être tolérée par les peuples, ni même mise en place rapidement, du fond de leur Bunker assiégé par les foules indignées, et par les menaces du monde extérieur auxquelles ils nous ont délibérément exposés.
Incompétents et indignes ceux qui ne voient de l’économie que les chiffres, les taux, la dette, le budget, les agences de notation, la finance, la bourse, la spéculation amorale. Ces forts en chiffres ne comprennent pas la vie, surtout celle des autres, la vraie vie économique, celle de l’emploi digne, de l’investissement productif, la production de richesses à partager équitablement, le maintien de l’activité nationale...Et leurs retombées humaines, vitales : emploi, salaires, pouvoir d’achat, retraites, soins, éducation, justice, sécurité...
Incompétents et indignes, ces « invertisseurs » des valeurs voudraient soumettre l’économie réelle aux questions financières alors que, c’est, bien sûr, le contraire qu’il s’agit à présent, de toute urgence, de faire : protéger l’économie pour pouvoir assainir les finances. Car il ne suffit pas de réduire les dépenses publiques, ce qui, comme en 1930, pourrait tuer le malade ; il faut avant tout, de toute urgence, sauver le tissu économique par un protectionnisme raisonné (celui dont parlent les Prix Nobel) de nos filières stratégiques ; appelons cela la légitime défense économique qui, comme la légitime défense ordinaire, sera « proportionnée »pour justifier de sa légitimité.
Les « indignés » veulent reprendre, à ceux qui en ont été indignes, le Droit de décider de leur propre destin.
Henri Temple, Délégué national DLR à la politique extérieure et à l’Enseignement supérieur, Professeur de Droit économique