Alors que Nicolas Sarkozy plie devant Angela Merkel et que les socialistes s’agitent sans cohérence, la bourse de Paris a à nouveau dévissé jeudi, puis vendredi. A trop attendre, juge Jacques Sapir, directeur d’études à l’EHESS, l’austérité va casser la croissance et faire plonger l’Europe dans une récession profonde. Pourtant, une solution existe : la sortie de l’euro…
Il n’a donc pas fallu longtemps, exactement 48h, pour que la réponse des marchés financiers à la triste pantalonnade donnée par Nicolas Sarkozy en recevant Angela Merkel ne se fasse sentir (1). L’effondrement de la Bourse de Paris du jeudi 18 août en est la preuve (2).
Car c’est bien à une pantalonnade que nous avons assistée. Nicolas Sarkozy a capitulé certes dans les formes mais sans condition au diktat de Mme Merkel. Les dirigeants allemands, on le sait depuis longtemps, ne veulent plus payer pour le sauvetage de la zone euro. Ils ont enterré toute idée d’augmentation du Fonds Européen de Stabilisation Financière, mais par contre ils ont imposé une austérité sans précédent.
Cela signifie que la zone euro sera sans ressources ni munitions quand l’Espagne viendra frapper à la porte et quand l’incendie mal éteint se réveillera sur le Portugal et la Grèce. Mais cela signifie aussi que l’austérité va casser la croissance et plonger notre continent dans une récession profonde et de longue durée.
C’est cette combinaison contradictoire, à laquelle les gouvernements sont incapables de proposer une solution, qui affole les marchés. Les comportements les plus spéculatifs viennent alors s’additionner à des attitudes plus rationnelles concernant la préservation de la valeur patrimoniale de certains actifs.
On peut, bien sûr, chercher à se consoler avec les mesurettes issues de ce sommet qui aura pourtant vu une capitulation totale de la part de la France.
La « taxe Tobin » est en effet inadaptée pour traiter de la spéculation actuelle. Ce sont des contrôles sur les mouvements de capitaux qu’il faudrait instaurer si l’on veut véritablement s’opposer à la spéculation. Et l’on sait que l’Allemagne y est opposée. L’harmonisation de la fiscalité sur les entreprises entre la France et l’Allemagne est une idée tout aussi ridicule.
Le problème de la concurrence fiscale ne se pose pas avec l’Allemagne, mais avec l’Irlande et le Luxembourg (entre autres). Il faudrait de plus que cette harmonisation s’accompagne de menaces de droits de douanes sur les produits des compagnies qui, alors, seraient tentées de délocaliser leurs sièges sociaux. Ici encore, on sait que l’Allemagne ne veut pas entendre parler de ce genre de mesure.
Reste l’idée d’un gouvernement économique de l’Europe, dont on voit bien qu’il ne servira qu’à imposer encore plus d’austérité, et l’idée de généraliser la fameuse « règle d’or » constitutionnelle sur l’équilibre des finances publiques, règle dont j’ai eu l’occasion de dire dans ces colonnes qu’elle est à la fois illusoire, dangereuse et anti-démocratique.
Face à ce désastre politique, dont les marchés ont bien pris acte, le Parti Socialiste se déchaîne. Mais il le fait sans aucune cohérence. En fait, ayant pris le parti de vouloir sauver l’Euro à tout prix, il ne peut plus cacher vers quoi l’entraîne la logique de ses positions.
Manuel Valls est ainsi plus cohérent quand il se dit prêt à discuter de cette « règle d’or », même si on ne sait plus trop ce qu’un tel individu fait dans un parti dit « socialiste ». Mais, ni Martine Aubry ni François Hollande ne sont en reste avec lui sur le fond. Ils anticipent l’un et l’autre un tournant vers l’austérité devront faire avaler à leurs électeurs si jamais ils devaient triompher en mai 2012, comme l’ont fait avant eux les « socialistes » grecs, portugais et espagnols. J’avais dénoncé l’engagement dans cette logique dès septembre 2009 dans ma polémique (dans ces colonnes) avec Benoît Hamon.
La dernière illusion à laquelle s’accroche les européistes, et en particulier ceux de gauche, concerne l’émission d’euro-obligations. L’idée n’est ingénieuse qu’en apparence. En mutualisant la dette et en faisant émettre des titres aux noms d’une entité unique (la zone euro), on espère alors que les taux se rapprocheraient de ceux des pays les mieux notés, ce qui apporterait alors une bouffée d’oxygène aux pays les plus mal notés. Mais, ce mécanisme ne peut fonctionner.
Dans la réalité, si des émissions de titres incluant des dettes grecques, portugaises ou espagnoles étaient faites, les taux en seraient très élevés, et très supérieurs à ceux que payent aujourd’hui les pays qui sont encore bien notés. Dans ce cas aucun pays ayant encore une bonne réputation ne voudra participer à un tel mécanisme, à cause du surcoût que cela entraînerait par rapport à des émissions d’obligations nationales.
Dès lors ces euro-obligations ne concerneraient que les pays dont la solvabilité est douteuse, et il faut s’attendre à ce que les taux soient très proches de ceux aujourd’hui exigés pour le financement de la dette grecque ou portugaise. Si l’on veut obliger les pays encore bien notés sur les marchés financiers à participer à ce mécanisme, le risque est alors important qu’un mécanisme de contagion se mette en place et que la totalité de leur dette (et non simplement l’émission de nouvelles dettes) soit dégradée par les agences de notations. Les euro-obligations, et la mutualisation de la dette, ne peuvent donc pas être la solution.
La solution existe pourtant, évitant à la fois une crise aiguë de la zone Euro et la récession. Elle consisterait dans un premier temps en une monétisation partielle de la dette dans des proportions variant en fonctions des pays (de 60% pour la Grèce à 25% pour la France et l’Allemagne), et dans un deuxième temps à faire évoluer la monnaie unique vers une monnaie commune solidement protégée contre la spéculation par l’interdiction de certaines pratiques et des contrôles de capitaux.
Les financements par la BCE mais aussi par des mécanismes bancaires spécifiques (comme les anciens « planchers minimum d’effets publics ») permettraient aux États de s’émanciper des marchés financiers et des agences de notation. La monétisation de la dette conduirait à une dévaluation de fait de l’Euro, passant d’un taux de change de 1,43 dollar à des taux compris entre 1,15 et 1 Dollar, ce qui aurait bien entendu un effet bénéfique sur l’activité économique dans de nombreux pays.
Mais il faudrait pouvoir imposer une telle solution. La France a donné un exemple de ce qu’il conviendrait de faire en 1965 avec la « politique de la chaise vide » (3) qui devait aboutir au fameux « compromis de Luxembourg ».
Cependant, fors de la menace crédible d’une sortie de la France de la zone Euro, qui est la seule chose qui ait quelque chance d’émouvoir les dirigeants de Berlin, on ne voit pas ce qui les ferait changer de position. Et pour que cette position ait une quelconque chance d’être crédible, elle doit être préparée (4).
L’heure n’est donc plus aux embrassades sur les perrons des palais présidentiels, mais au langage de la fermeté.
Hors de cela, il faudra choisir entre une austérité catastrophique qui plongera l’Europe tout entière dans une récession de longue durée, la rendant odieuse à la grande majorité, et une sortie de l’Euro. Tels sont les choix qui nous restent. Mais prenons-y garde. À trop tergiverser la sortie de l’Euro s’imposera inéluctablement comme la seule solution préservant les acquis sociaux.
Il n’y a d’avenir et de progrès pour les peuples européens que dans une rupture franche et décisive avec ces institutions dépassées. Tant que les divers partis dits de « gauche » n’en auront pas pris conscience, ils resteront empêtrés dans un discours incohérent, qui les conduira inéluctablement à accepter demain ce qu’ils refusent aujourd’hui, que ce soit la « règle d’or » ou l’austérité sociale et économique qu’implique la gestion actuelle de la zone euro.
On le voit aujourd’hui en France comme on l’a vu hier en Grèce, au Portugal et en Espagne. Mais, ce faisant, ils abandonneront le terrain de la défense des acquis sociaux à d’autres. Il sera un peu tard, au soir d’une élection, pour s’en lamenter.
(1) Voir, James G. Neuger et Simon Kennedy, « Merkel-Sarkozy Plan disapoints Investors », Bloomberg, 17 aout 2011.
(2) Lefigaro.fr – « Bourse et Marchés – La Bourse de Paris chute lourdement » (Marchés).
(3) Sur cette crise on consultera les archives de l’ENA ainsi que Alain Peyrefitte, « C’était de Gaulle. Tome II : La France reprend sa place dans le monde ». Paris : Fayard, octobre 1997, p. 288-291.
(4) J’ai détaillé dans une note les mesures qui s’imposeraient si nous devions nous résoudre à cette extrémité. J. Sapir, « S’il faut sortir de l’euro », posté le 23 avril 2011 sur le site de Mémoire des luttes.