Président du Venezuela depuis décembre 1998, Hugo Chavez, est décédé des suites d’un cancer le 5 mars 2013. Les Vénézuéliens parlent d’un assassinat des États-Unis…
Dans ses discours publics, l’homme d’État avait défini de manière implicite comme une « épidémie » et un « phénomène étrange et alarmant » les cas de cancer qui frappent plusieurs présidents d’Amérique latine : le Paraguayen Fernando Lugo, Dilma Rouseff et Lula da Silva, actuel et ancien chefs d’État brésiliens, ainsi que leur homologue argentin Crisitina Fernandez. Ces présidents, qui appartiennent au centre-gauche, luttent pour accélérer le processus d’intégration de l’Amérique latine et sa libération de la tutelle des États-Unis. Chavez parlait même d’empires prêts à tout pour parvenir à cet objectif.
La réponse de Washington ne se fit pas attendre. Victoria Nuland, porte-parole du département d’État américain, définit les propos de Chavez comme « horribles et répréhensibles ». Est-ce que l’administration Obama aurait pour autant utilisé des technologies biologiques pour provoquer un cancer chez les représentants politiques d’Amérique latine, coupables de ne pas poursuivre une politique pro-américaine ? Jean-Paul Picaper, ancien professeur de sciences politiques à Berlin-Ouest, explique que déjà à l’époque de l’Allemagne de l’Est, les dissidents mouraient précocement d’un cancer et qu’à la prison de Hohenschönhausen fut trouvé à cet effet un manuel sur l’irradiation aux rayons X [1].
Alors, pour justifier cette étrange série de cancers touchant les adversaires des États-Unis, le Dr Salomon Yakubowicz, médecin populaire du Venezuela, spécialiste en diététique et fréquentant l’ambassade des États-Unis de Caracas, avait de manière énigmatique déclaré en 2012 que ces présidents menaient « une politique à s’attirer de tels problèmes » de santé. Il assura avec bien peu de sensibilité que Lula da Silva avait trop fumé, Christina Fernandez s’était soumise à des procédures de rajeunissement excessives du visage et du cou et le Paraguayen Lugo n’avait utilisé aucune protection durant ses nombreux rapports sexuels. Il ajouta que le lymphome de ce dernier était une infection commune ayant trait à cette pratique et qu’il devait rendre grâce à Dieu car sa maladie ne s’était pas développée en sida. Quant à Chavez, selon Yakubowicz, il ne pouvait que s’en prendre à lui-même, car travaillant la nuit et mangeant mal, il n’avait pas ménagé son biorythme. Étrangement, les cercles de l’opposition et les médias à la solde des États-Unis faisaient caisse de résonance concernant le rythme de vie de Chavez, soulignant qu’il était sujet au stress, à la peur de l’avenir et souffrait de manies de persécution voyant des conspirations de l’empire.
La suspicion de l’épidémie de cancer ventilée par Chavez est aussi prise au sérieux par son propre camp. Les proches de Chavez pensent que les services secrets américains auraient conduit une opération sur une vaste échelle pour neutraliser les chefs rebelles d’Amérique latine. Pour ce faire, le Pentagone et la CIA auraient utilisé des substances radioactives, biologiques et des armes chimiques. Le clan de l’ancien président vénézuélien se rappelle aussi d’évènements monstrueux dans lesquels des hommes furent utilisés comme cobayes dans le silence des médias américains. La majeure partie des archives auraient alors été classifiées et les fichiers les plus secrets détruits par la CIA.
En 1947, les agents de la CIA (année de sa création) et du FBI protègent les médecins des États-Unis qui avaient contaminé deux mille Guatémaltèques avec la bactérie de la syphilis et de la gonorrhée. Le président du Guatemala Alvaro Colom qualifiera ces expériences de crimes contre l’humanité, et Barack Obama présentera des excuses, affirmant que ces procédés étaient en contradiction avec les valeurs des États-Unis.
Toujours en 1947, la CIA met au point des programmes de tests sur le conditionnement de cerveau humain et le contrôle mental à partir du LSD (diéthylamide de l’acide lysergique). Dans ce même domaine de recherches, en 1953, la CIA lance le projet MK-Ultra, qui a eu pour objet l’étude des moyens d’influence du comportement humain et le mode de pensée à l’aide de médicaments et de microorganismes. Les études de la CIA et des laboratoires militaires incluent alors la dispersion des bactéries pathogènes. Les expérimentateurs n’épargnent pas leurs propres compatriotes : des phases de contamination sont réalisées dans 240 villes américaines, s’abattant en particulier sur les quartiers pauvres de Washington, San Francisco et du Minnesota. D’autres expériences sont effectuées dans les tropiques, et notamment dans la petite ville de Panama City, en Floride.
En 1970, la CIA et le Pentagone mettent sur pied une batterie de tests relatifs aux armes génétiques ultrasecrètes. Une mission stratégique est assignée à des scientifiques ayant pour but d’obtenir une réduction massive de la population dans les pays potentiellement hostiles à la bannière étoilée. La Chine, l’Iran et le Pakistan figurent dans la ligne de visée des généticiens américains, qui dépassent les succès du médecin de l’Allemagne national-socialiste Mengele.
Cuba n’est pas en reste et subit les attaques biologiques américaines. 300 000 habitants de l’État insulaire souffrent de fièvre hémorragique, et 150 d’entre eux, dont 50 bébés, décèdent. Des moustiques provenant des laboratoires des États de Géorgie et de Floride ont été mis à contribution. Les militaires soviétiques en garnison à Cuba succombent aussi à la fièvre hémorragique.
En décembre 2011, Persy Francisko Alvarado Godoy, qui a travaillé pendant vingt ans pour les services de renseignement cubain aux États-Unis, publie un article intitulé « Cáncer inducido, ¿un arma de la CIA ? » (L’utilisation du cancer, une arme de la CIA ?). L’écrivain guatémaltèque établit que la CIA se sert du cancer comme d’une arme. Il fournit des éléments concrets sur l’existence de dizaines de laboratoires de guerre biologique implantés sur le sol américain, dont Fort Detrick, un service militaire américain de virologie, situé au nord de la ville de Frederick, dans le Maryland. Il s’agirait d’armes émettant des radiations électromagnétiques. La victime ne meurt pas subitement, mais après quelques temps.
Le Venezuela, le Brésil, l’Argentine et le Paraguay constituent une fronde contre la politique de Washington. Au quatrième sommet des Amériques qui se déroula à Mar del Plata, en Argentine, les 4 et 5 novembre 2005, l’équipe des États-Unis échoua dans sa tentative d’imposer ses directives à la Zone de libre-échange des Amériques (ZLÉA). Lors de la cérémonie d’ouverture, Nestor Kirchner, alors président argentin, déclara que l’intégration se réaliserait dans le cas où des mesures appropriées seraient prises pour éliminer les disproportions de développement. S’adressant à Bush, il affirma que la politique imposée par les États-Unis avait aggravé la pauvreté du continent, engendrant l’instabilité et la chute des gouvernements démocratiquement élus. Kirchner invita les participants au sommet à rechercher une nouvelle stratégie de développement régional, qui rencontrerait la ferveur des latino-américains. Ce projet – qui prévoit la suppression des droits de douanes entre autres sur des produits manufacturés et agroalimentaires – est vivement critiqué, essentiellement au Brésil, Uruguay, Argentine, Paraguay et Venezuela, par des associations, des syndicats et des partis politiques redoutant des conséquences sociales très négatives.
Chavez et les frères Castro dynamisèrent l’Alliance bolivarienne pour l’Amérique latine, fondée en avril 2005. Définie comme une véritable alternative à la ZLÉA, cette organisation politique, sociale et économique ayant pour objectif de promouvoir la coopération entre les pays socialistes, s’appuie sur des principes d’idéologie anti-impérialiste. Elle vise à garantir la sécurité énergétique des pays membres, à savoir l’Antigua-et-Barbuda, la Bolivie, Cuba, La Dominique, l’Équateur, le Nicaragua, Saint-Vincent-et-les Grenadines et le Venezuela.
PetroCaribe, créée deux mois plus tard, en juin 2005, doit aussi son succès à Chavez. Cette alliance entre les pays des Caraïbes et le Venezuela, premier exportateur de brut latino-américain, et qui permet d’acheter le pétrole à Caracas à des conditions de payement préférentielles, regroupe actuellement 18 pays. Elle met fin aux abus des compagnies pétrolifères transnationales.
En mai 2008, à Brasilia, un nouveau modèle d’intégration soutenu par Chavez, l’UNASUR (Union des nations sud-américaines), vit le jour. L’union, qui regroupe douze pays, a empêché la CIA d’implanter, par des putschs, des chefs d’État pro-américains notamment en Bolivie ou en Équateur : pour plus de stabilité, elle a encouragé le dialogue entre voisins en conflit et a facilité la mise en place de la démocratie au Honduras.
Toujours dans cet esprit de politique d’émancipation à l’égard des États-Unis, la Communauté d’États latino-américains et Caraïbes (CELAC), comprenant trente-trois membres dont ne font partie ni les États-Unis, ni le Canada, est fondée le 23 février 2010. Les statuts de l’organisation ont été précisés lors du sommet de Caracas, les 2 et 3 décembre 2011.
Chavez et ses amis considéraient toutes ces alliances comme un contrepoids nécessaire à la « dictature des États-Unis en Amérique du Sud ». Face à cette offensive des nations socialistes d’Amérique du Sud, les États-Unis durent renoncer à leur présence permanente dans cette région du monde. De plus, Hugo Chavez avait largement remporté les élections du 7 octobre 2012 avec 55 % des voix, et un taux de participation de 81 %. Il ne fait aucun doute que son succès en appelait bien d’autres.
Pour les États-Unis, laisser Chavez mener sa révolution bolivarienne revenait à perdre leur reste d’influence sur l’échiquier sud-américain. Or, au vu des enjeux économiques que le continent représente, ce scénario est tout simplement inenvisageable.
Hugo Chavez le 28 décembre 2011 sur la série de cancers ayant frappé les dirigeants sud-américains :
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