Le nombre d’illogismes et d’âneries proférés en l’espace de 139 secondes n’est pas loin de hisser nos deux protagonistes à un niveau quasi mondial. Pourtant, Mouloud et Édouard ne sont pas des imbéciles, et c’est là que l’on comprend toute l’importance étymologique du format, c’est-à-dire de l’obligation de se soumettre au catéchisme dominant (les sept tentacules du mondialisme, à savoir – par cœur – pour demain : féminisme, antiracisme, sionisme, antichristianisme, homosexualisme, mercantilisme, égalitarisme), un septyque qui pèse sur l’intelligence, l’honnêteté, la droiture.
À l’arrivée, autant par souci de conformisme (complaire à l’autorité) que par recherche du confort (la paix à tout prix), ces 7 injonctions deviennent une seconde nature, forgent une seconde nature qui peut éventuellement devenir la première. On ne dira donc pas que ces deux énergumènes sont des imbéciles, mais des êtres plus malhonnêtes qu’intelligents. En revanche, s’ils pensent vraiment ce qu’ils disent (on ne sait jamais), alors ils sont honnêtes, mais idiots.
Mouloud : « Le pouvoir de la parole, la libération de la parole, le pouvoir cathartique, la parole à travers cette écriture, aujourd’hui quand on entend “libération de la parole” c’est souvent des mots qu’on prend dans la fachosphère. »
La fachosphère aurait ses propres mots. Non, la fachosphère a ses concepts, discutables ou indiscutables, mais elle utilise les mêmes mots que les socialo-sionistes à la Mouloud, ou les mouloudistes. Sauf qu’elle les monte autrement. Le puzzle est différent, voilà tout. Et si la parole se libère chez les adversaires du socialo-sionisme, c’est qu’elle a été longtemps interdite et qu’aujourd’hui tout craque, barrières et barrages sont emportés. De quoi angoisser pour les propriétaires de la parole publique.
Mouloud : « C’est souvent une parole extrême en fait qui se libère, cette parole-là on l’entend très très peu. »
Édouard : « Oui, ben c’est-à-dire que la question c’est jamais la parole, la question c’est quelle parole. »
Là on ne peut se départir de l’impression assez tenace qu’Édouard dit n’importe quoi juste pour réfléchir à la question, qui en plus n’en est pas une. On est entré dans un débat surréaliste entre deux enfants qui utilisent des mots qu’ils comprennent à peine – ou qu’ils n’osent définir – et on ne va pas en sortir facilement. Pour les amateurs de théâtre, on dirait du Ionesco. Ne ratez pas l’étonnement qui fige subrepticement le visage de Mouloud.
Édouard : « Et la question, la question de la liberté d’expression par exemple, la question de la démocratie, c’est la possibilité pour les minorités de pouvoir parler de ce qu’elles ou de ce qu’ils vivent, c’est la possibilité d’avoir enfin une place dans l’espace public... »
« Enfin » ? Édouard doit nous expliquer où il voit écrit « interdit aux femmes », « interdit aux homos », « interdit aux trans » dans l’espace public. Et si par « espace public » il pense à l’espace symbolique de la parole, alors dans ce cas toutes ces catégories soi-disant opprimées occupent au contraire, et contre toute logique démographique ou démocratique, la quasi-totalité de l’espace public.
En ce moment, le vent dominant en serait plutôt à un « interdit aux Blancs » (parce que racistes), « interdit aux hommes » (parce que sexistes), « interdit aux Français » (parce que xénophobes), comme Delphine Ersotte de France Télévisions le prône dans une boîte qui n’est pas la sienne et qui, sous prétexte de lutte contre les « discriminations », produit une nouvelle discrimination... Un nettoyage ethnique qui ne dit pas son nom.
Édouard : « ...En tant que femme, en tant que pauvre, en tant que, qu’on a vu les manifestations des Gilets jaunes, c’est des gens qu’on n’entendait jamais dans l’espace public avant parce qu’on leur donnait pas la place dans l’espace public, et ils se sont manifestés, mais en même temps la démocratie c’est aussi la capacité à clore des sujets. »
- Ce profil nous dit quelque chose...
Il parle comme Macron, qui décide que le débat sur la paupérisation néolibérale est terminé, rentrez chez vous les Français, bossez, pour ceux qui ont un boulot, les autres chômez, mais fermez votre gueule. Édouard va faire encore plus fort, encouragé qu’il est par le mutisme de Mouloud, l’intervieweur de MJC.
Édouard : « Et la liberté d’expression ça veut pas dire qu’on vient là et qu’on dit tout ce qu’on veut, la liberté le progrès la démocratie c’est de dire y a des choses qu’on ne peut plus dire. »
Par exemple, on ne peut pas dire : Édouard se contredit lourdement la liberté c’est l’esclavage, la guerre c’est la paix, relire 1984.
Édouard : « Y a des choses qu’on ne peut pas dire. On ne peut pas dire “est-ce qu’il faut tuer les juifs ou pas ?”, on ne peut pas dire “est-ce que le mariage gay est un problème pour notre civilisation et pour nos pays ?”... »
C’est donc Édouard qui fixe les limites du débat (ne parlons même pas de son premier exemple, d’une connerie atomique), car il est la Raison, il est Macron dans le débat sans débat sur les retraites à rallonges. Le penseur discriminé fait alors de la philosophie.
Édouard : « Sachant qu’on ne dit jamais que le mariage entre un homme et une femme est un problème, pourquoi y a des questions qu’on pose et d’autres qu’on pose pas ? Ce que ça veut dire, c’est que y a des questions qui sont pas des questions, y a des questions qui sont des insultes. »
En tant que défenseur du mariage gay, je suis scandalisé que @edouard_louis considère qu’il doit être interdit de parler de ses conséquences négatives
Ceux qui pensent (contrairement à moi) qu’il est néfaste pour la société doivent pouvoir le direpic.twitter.com/KWNJ70zd0I
— Laurent Alexandre (@dr_l_alexandre) February 13, 2020
Mais ne jouons pas les imbéciles, nous comprenons ce qu’Édouard veut dire, même s’il le dit très mal (on essaye de le sortir d’affaire). Pour lui, débattre du problème homo dans la société est insultant car on ne parle pas du problème hétéro. On comprend qu’il cherche à renverser la charge de la preuve, comme on dit. On devrait dire la charge de la faute mais on se ferait accuser d’homophobie.
Ce qui pose problème n’est pas la sexualité des uns et des autres, s’ils ne la foutent pas sous le nez de ceux qui n’ont pas envie de voir ou de savoir, mais l’activisme gay qui cherche à prendre le pouvoir et à imposer sa norme à une majorité écrasante de la population qui n’aurait plus le droit de juger, de penser la question gay, c’est-à-dire le versant politique de l’homosexualité, la version sociale de cette nature intime. Qui n’aurait jamais dû sortir de l’alcôve, soit dit en passant, ou des backrooms.
L’émission entière du 7 février 2020 dans laquelle Édouard revient sur son coup d’un soir qui a failli être le dernier :
« Pourquoi on peut avoir envie de tuer quelqu’un avec qui on vient de faire l’amour plusieurs fois ? »
Édouard : « Même moi, par exemple, comme gay, si un type qui a 50 followers sur Twitter dit “il faut tuer les pédés”, j’ai pas envie que ça se retrouve partout, qu’on en parle, que ça devienne une sorte de sujet parce que c’était 50 fachos comme lui qui auraient dû voir ça et tout à coup ça devient quelque chose de public, on donne une tribune, et c’est vrai aussi que à partir de ce moment-là la politique et la révolte en politique, c’est aussi le silence, la révolte en politique, c’est aussi de dire y a des choses sur lesquelles je veux même pas réagir, depuis toujours dans les petits cafés au village y a des types qui disent “ah les sales Arabes et les sales pédés”, et ça a toujours existé, et il faut pas leur donner la parole, faut pas leur donner de la place dans l’espace public, on en avait déjà un peu parlé, c’est ce qui se passe aujourd’hui avec l’extrême droite, y a le fait que à partir du moment où Marine Le Pen dit quelque chose de raciste, à partir du moment où Donald Trump dit quelque chose de raciste, ça devient la une de tous les journaux, ça devient ce qu’on commente tous les matins dans l’actualité, et on pourrait se dire, à ce moment-là, la résistance ce serait le silence… »
Il faudrait qu’Édouard révise un peu son catéchisme antifasciste, car ce dernier a pas mal évolué ces dernières années : Marine Le Pen s’est à la fois recentrée sur l’échiquier politique et s’est rapprochée du pouvoir profond. C’est pas chez elle mais chez les Zemmour, les Goldnadel, les Finkielkraut et les Haziza qu’on pourra trouver la bonne vieille parole raciste qui fait tremble Édouard dans les troquets. Sauf que là, notre jeune mondialiste bugue, puisque pour lui les juifs sont des victimes au même titre que les gays, les femmes…
Fin de la démonstration.