Ils ont de 15 à 25 ans et vivent cloîtrés. Même si ce phénomène reste marginal, il ne concerne plus seulement le Japon.
« Soulagé », c’est le sentiment qu’a ressenti Andréas lorsqu’il a pu mettre des mots sur ses maux. Voici bientôt trois ans que ce trentenaire ne sort plus – ou si peu – du deux-pièces en bordure du périph’ intérieur parisien qu’il occupe avec sa mère. Trois ans qu’il passe ses journées à dormir, à regarder en boucle des séries à la télé ou à surfer sur Internet. Trois ans qu’il est socialement mort. Comment en est-il arrivé là ? Le jeune homme ne se l’explique pas vraiment. Ni fou ni haineux, il dit juste ne pas avoir la force de se battre pour se faire une place dans la société. Depuis qu’il sait qu’il n’est pas malade, mais que sa conduite le classe, comme d’autres jeunes gens vivant eux aussi reclus dans leur chambre, dans la catégorie des « hikikomori », Andréas s’est délesté d’un poids énorme : celui de la culpabilité.
N’en déplaise à ceux qui, pendant toutes ces années, lui ont rebattu les oreilles avec cette idée, jusqu’à finir par le convaincre, il n’est pas un « feignant ». Cette prise de conscience a poussé ce « zombie malgré lui » à accepter la main tendue de sa voisine de palier. Elle a libéré sa plume et lui a donné le courage d’écrire son histoire en sa compagnie. Car il n’entend pas se planquer tout le reste de son existence.
Combien sont-ils à avoir, comme Andréas, rompu avec le monde extérieur ? Difficile à dire. Né dans le Japon désenchanté du début des années 1990, le phénomène toucherait actuellement entre 500 000 et 1 million d’individus au pays du Soleil-Levant. Selon la définition officielle, un hikikomori est un jeune retranché chez lui et qui ne prend plus part à la société depuis plus de six mois, sans qu’aucune pathologie mentale n’ait pu être identifiée.
Des cas avérés en France
En France, plusieurs milliers de personnes se retrouvent chaque année hors de tous les radars. Ni étudiants, ni salariés, ni stagiaires, ils vivent des minima sociaux ou, plus fréquemment, aux crochets de leurs parents. Certains sont, sans même le savoir peut-être, des hikikomori. Car, chez nous, on ne les nomme pas. On préférera parler de « retrait social », de « décrochage scolaire ».
Dans sa consultation « famille sans patient », à l’hôpital Sainte-Anne, à Paris, le docteur Marie-Jeanne Guedj-Bourdiau voit défiler les proches, souvent à bout de nerfs, de ces ermites des temps modernes. Depuis 2005, la pédopsychiatre a recensé quelque 80 cas. Parmi eux, des adolescents en rupture avec le lycée et, surtout, une majorité de jeunes gens de 25-30 ans qui, après avoir peiné à terminer leurs études supérieures, ont coupé tout lien avec l’extérieur. Fait marquant : les demandes de rendez-vous, tous profils confondus, ont considérablement augmenté au cours des dernières années.
De jeunes hommes, surtout
Qui sont ces hikikomori ? Le problème est qu’ils n’ont pas grand-chose en commun, hormis leur jeune âge (15-25 ans, pour la plupart) et leur sexe : masculin. Les équipes du Dr Guedj-Bourdiau n’ont en effet suivi que deux femmes en treize ans. Mais la prévalence masculine n’est peut-être que l’effet de l’invisibilité de la chose : culturellement parlant, on trouvera toujours plus « normal » qu’une fille reste chez elle. C’est injuste, mais c’est ainsi.