L’héroïne, spécialité du pays, emprunte diverses routes d’exportation. Vers les Balkans, vers la Russie... Mais la grande nouveauté tient à la place prise par l’Afrique, devenue une plaque tournante du trafic.
Les narcotrafiquants détestent les frontières mais sont experts en géographie. Ainsi, les filières qui orchestrent le commerce de l’héroïne afghane ont l’art de diversifier les voies et les moyens d’exportation. Actuellement, elles empruntent trois routes principales, révélatrices de l’ampleur planétaire de ce business.
La route de l’Ouest
C’est la plus ancienne, celle qui épouse en partie le tracé de la mythique route de la Soie en direction de l’Occident. En chemin, l’héroïne passe d’abord par l’Iran. Ce pays est un lieu de consommation important (1,3 million de toxicomanes, selon les autorités locales) où les petites mains du trafic risquent gros : parmi elles, 2000 Afghans y seraient actuellement emprisonnés. L’héroïne non consommée sur le territoire iranien peut ensuite être acheminée vers l’Egypte ou les pays d’Afrique du Nord. Mais l’essentiel des cargaisons pénètre en Europe via la Turquie puis les Balkans (Grèce et Bulgarie).
Si les trafiquants turcs ont longtemps orchestré cette phase européenne du "business", ils ont cédé du terrain, ces dix dernières années, aux mafias albanophones (Kosovo et Albanie). D’après le commissaire français Matthieu Pittaco, de l’Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (OCRTIS), ces organisations jouent un rôle déterminant dans la diffusion des chargements destinés à l’Europe du Nord (Allemagne, Belgique, Pays-Bas). Leurs réseaux s’appuient notamment sur la présence d’une importante diaspora albanophone dans ces pays. L’enjeu commercial est alléchant pour les trafiquants : l’Europe compterait actuellement 1,3 million de consommateurs.
La route du Nord
Cette route-là, plus récente que la première, permet d’acheminer la drogue afghane à travers l’Asie centrale (Ouzbékistan, Kirghizistan, Kazakhstan...). Sa principale destination : la Russie, où l’héroïne est un fléau national. Plus de 2 millions de personnes en sont dépendantes, 30 000 en meurent chaque année. Parmi elles, beaucoup d’anciens soldats revenus d’Afghanistan dans les années 1980. Les mesures prises par Vladimir Poutine lui-même n’ont pas permis de briser les filières. Les dernières informations en provenance d’Afghanistan n’incitent pas à l’optimisme : les talibans font le siège de la ville de Kunduz (300 000 habitants), zone clef du trafic et verrou d’accès au Tadjikistan [On peut dès lors se poser des questions sur la "bavure" américaine qui a touché la présence de MSF dans cette ville, NDLR].
La route du Sud
La moitié de la production afghane transiterait par le Pakistan voisin. Une partie est consommée sur place – à moins de 1 euro le shoot –, le reste poursuit son chemin par des circuits complexes en direction de l’est (Inde, Extrême-Orient) ou de l’Afrique. Depuis quelques années, d’importantes saisies effectuées dans l’océan Indien, à proximité des côtes orientales du continent africain, ont démontré l’émergence de cette "route du sud". Ainsi, en mai et juin derniers, les forces navales de la coalition internationale Task Force 150 ont récupéré 1,5 tonne d’héroïne à bord de sept bateaux au large de la Tanzanie. Valeur estimée à la revente en Europe : 400 millions d’euros.
Les anglophones surnomment cette voie d’exportation "the smack track" en argot américain, "la piste de l’héro". En fait, il s’agit d’un ensemble de routes aériennes et maritimes reliant le Pakistan et l’Iran, d’un côté, aux pays du Golfe et à l’Afrique de l’Est, de l’autre. Seule une partie de la drogue est destinée à la consommation régionale, estimée à quelque 2,6 tonnes d’héroïne pure. "Les zones de transit finissent toujours par devenir des lieux de consommation, explique Olivier Maguet, de Médecins du monde. Les narcos ont besoin d’intermédiaires locaux, qui peuvent être rémunérés en nature. Ces derniers cherchent alors à attirer de nouveaux consommateurs et à créer un marché sur place."