Écrasée sous 320 milliards d’euros de dette, plombée par cinq années de récession économique, de faibles rentrée fiscales, victime d’un taux de chômage de 25% (50% chez les jeunes), la Grèce continue de consacrer, malgré tout, une part très importante de sa richesse nationale à ses dépenses militaires : près de 2% de son PIB.
Ce petit pays (11 millions d’habitants) possède plus de chars (1.300 tanks dont 170 "Leopard 2" allemands) que l’Allemagne ou la Grande-Bretagne, cinq fois plus que la France. Principale raison de cette déraison budgétaire : la peur de la Turquie (72 millions d’habitants) ; la crainte, l’obsession de l’ancien ennemi ottoman qui a occupé la Grèce pendant près de quatre siècles.
Aiguisées par les réserves sous-marines de pétrole, les tensions en mer Égée entre Athènes et Ankara sont persistantes. "Depuis début janvier et jusqu’à aujourd’hui, la Turquie a violé pas moins de 475 fois l’espace aérien grec, soit 4 à 5 fois par jour", assure Kostas Isichos, vice-ministre de la défense jusqu’en juillet. "Et lors d’exercices navals, les bateaux de guerre turcs ont encerclé 22 îles grecques", ajoute-t-il.
Athènes et Ankara sont aussi en conflit virtuel et indirect à Chypre. Tandis que la Grèce soutient le gouvernement chypriote grec au sud, le nord est occupé depuis 1974 par les militaires turcs, qui soutiennent une République turque de Chypre du Nord. La Grèce se sent aussi menacée au nord par l’Albanie et la Macédoine. Car à Tirana comme à Skopje, certains n’ont pas renoncé au rêve de "Grande Albanie" ou de "Grande Macédoine", empiétant sur le territoire grec.
La menace turque dans toutes les pensées
Malgré ces tensions récurrentes, Syriza, la coalition de la gauche radicale arrivée au pouvoir en janvier 2015 sur un programme social, avait promis de réduire les dépenses militaires. "Mais, regrette, amer, Kostas Isichos, l’ex-responsable de la défense, on en est resté aux paroles sans passer aux actes".
Première raison de cet engagement électoral oublié : Syriza a confié le ministère de la Défense à Panos Kammenos, le chef d’un petit parti souverainiste, nationaliste de droite, dont la gauche radicale avait besoin pour avoir la majorité au Parlement. Panos Kammenos a exigé non seulement un portefeuille mais le maintien de son budget, d’autant plus que les militaires font partie de sa clientèle électorale. Mais il y a une autre raison, plus profonde, au retournement de Syriza.
"Face à la menace turque, le maintien des dépenses militaires fait l’objet d’un large consensus dans la population et dans la classe politique, de droite comme de gauche", analyse Thanos Dokos, expert en question de défense à la Fondation hellénique pour la politique étrangère et européenne.