La pression s’est accrue dimanche sur le gouvernement libanais au lendemain de la plus grande manifestation jamais organisée par la société civile. Elle lui a donné jusqu’à mardi pour trouver une issue à la crise des ordures.
« Votre heure a sonné », ont annoncé dimanche les organisateurs de la campagne citoyenne « Vous puez » à l’adresse des dirigeants politiques. Ils ont promis une « escalade » si leurs revendications n’étaient pas entendues d’ici à mardi soir, soit le terme de l’ultimatum de 72 heures lancé samedi notamment pour trouver une « solution environnementale durable au dossier des déchets au Liban ». Le gouvernement n’avait pas réagi à cet appel en début de soirée dimanche. Après une semaine de mobilisation importante, « Vous puez » estime avoir réussi son pari en ayant rassemblé samedi plusieurs dizaines de milliers de personnes dans le centre de Beyrouth. « C’est vraiment une grande victoire (...) Le peuple s’est levé et révolté, brandissant le drapeau libanais », s’est félicité Lucien Bourjeily, l’un des organisateurs, interrogé par l’AFP.
Il a précisé que « tous les scénarios » étaient à l’étude pour la suite du mouvement. « Le citoyen d’abord », « Que tombe le pouvoir des corrompus », « On en a marre » : les slogans affichés samedi résumaient l’exaspération de la population pour qui aucune véritable réforme n’a été entreprise depuis la fin de la guerre civile en 1990. Les affaires de corruption et le manque de services de base comme l’électricité et l’eau cristallisent cette colère. « Le samedi du peuple », a titré dimanche le quotidien As-Safir, tandis que An-Nahar notait que la rue s’était « libérée » des divisions entre les deux blocs politiques rivaux : le premier mené par le puissant Hezbollah chiite appuyé par Damas et Téhéran, le second par l’ex-Premier ministre sunnite Saad Hariri, soutenu par Washington et Ryad.
Dialogue de sourds
Ces deux camps, réunis depuis 18 mois dans un « gouvernement d’entente », sont enfermés dans un dialogue de sourds qui empêche les prises de décisions. Le gouvernement conduit par Tammam Salam a tenu un conseil des ministres extraordinaire la semaine dernière, sans annoncer d’initiatives pour résoudre la crise des ordures. « Pour la première fois depuis longtemps, les forces de la société civiles se mobilisent pour des revendications sociales et non à la demande d’un leader politique ou sectaire », selon le quotidien An-Nahar.
Le système libanais est construit sur un partage du pouvoir fondé sur des quotas communautaires. Depuis l’indépendance en 1943, il garantit une parité inédite dans la région entre musulmans et chrétiens. Il est toutefois accusé de tous les maux : corruption, gaspillage, clientélisme, guerre civile destructrice (1975-1990) et crises à répétition, aggravés depuis le début en 2011 de la guerre en Syrie, ex-puissance de tutelle au Liban. Les principaux ténors politique sont d’ex-seigneurs de guerre qui se partagent les responsabilités au gouvernement ou au Parlement.
Nouvelles législatives
En plus du règlement de la question du traitement des déchets, les protestataires réclament l’organisation de nouvelles législatives alors que le Parlement a prolongé à deux reprises son propre mandat depuis les élections en 2009, en raison des divisions politiques. Les députés se montrent également incapables d’élire un président de la République, poste vacant depuis mai 2014. Outre « Vous puez », le mouvement rassemble d’autres collectifs issus de la société civile comme « Nous demandons des comptes », « À la rue » ou encore « Dégagez », qui utilisent surtout les réseaux sociaux pour propager leurs idées. Les protestataires réclament la démission du ministre de l’Environnement Mohammad Machnouk et le jugement des responsables des violences lors des manifestations du week-end dernier, dont le ministre de l’Intérieur Nohad Machnouk.
Ce dernier a salué dimanche les « manifestations civilisées » de la veille, qui n’ont été assorties que de quelques arrestations, affirmant que les résultats de l’enquête concernant les violences du week-end précédent seraient révélés mercredi. La plupart des hommes politiques se sont dit solidaires du mouvement qui les critique, mais sans apporter de réponses aux revendications. « La manifestation d’hier a évoqué les véritables problèmes du citoyen libanais (...) pour lesquels aucun parti (...) n’a de réponses », a réagi dimanche l’influent dirigeant druze Walid Joumblatt, un ex-seigneur de guerre.