Sommes-nous à la veille d’une nouvelle « guerre froide » entre la Russie et l’Occident à la suite des événements récents survenus en Géorgie ? La très grave crise commencée le 8 août 2008 braque l’attention du monde sur cette région instable qu’est le Caucase. Or, fidèles à leurs mauvaises habitudes de paresse intellectuelle, de priorité « olymfric » (les ratées d’une nageuse française ou le déchaînement chauviniste cocardier convulsif autour de médailles d’or obtenues par l’équipe de France reléguant au second plan toute véritable compréhension de la querelle entre Moscou et Tbilissi) et de parti pris russophobe (une variante du racisme anti-blanc qui se décline au gré de l’actualité contre les Corses, les Serbes ou, maintenant, les Russes), radios et télévisions françaises versent dans l’information approximative ou dans la désinformation (1).
Région montagneuse servant de limite imprécise entre l’Europe et l’Asie, le Caucase est une mosaïque de peuples à l’intersection des aires d’influence des mondes turcophone, chrétien (russe, géorgien, arménien) et persan. Voisin de l’Asie centrale, à proximité des Proche- et Moyen-Orients et situé entre les mers Noire et Caspienne, le territoire caucasien dispose d’atouts stratégiques majeurs dans le « Grand Jeu » qui opposent les États-Unis, la Russie, l’Iran et la Turquie. Lieu de passage pour les oléoducs (le B.-T.-C. : Bakou - Tbilissi - Ceyhan) et les gazoducs (projet Nabucco) qui partent des rives de la Caspienne pour arriver dans les ports méditerranéens ou de la mer Noire, c’est, avec les Balkans, un autre point névralgique de l’Europe.
Espace longtemps disputé entre les empires ottoman, perse et russe, le Caucase devient russe au XIXe siècle sans toutefois que cette domination impériale soit complète, sûre et définitive. Des peuples caucasiens ne cessent de contester l’autorité de Saint-Pétersbourg. Les révolutions de 1917, l’effondrement de l’autocratie et le décret de Lénine sur les nationalités facilitent les indépendantismes locaux (2). Toutefois, au cours de la guerre civile (1917 - 1921), les bolcheviks en héritiers paradoxaux des tsars brisent ces tentatives séparatistes et rétablissent l’emprise du centre russe sur ses périphéries ethniquement hétérogènes. Pis, Lénine et surtout Staline, un Géorgien de mère ossète très au fait de ces problèmes et auteur d’un des rares ouvrages marxistes-léninistes qui évoquent la question nationale, retracent les frontières intérieures de la future U.R.S.S. Il s’agit d’établir des ferments de rivalités futures entre peuples afin de rendre le Parti communiste soviétique seul apte à juger d’une manière impartiale les conflits possibles. Les Soviétiques reprennent donc l’antique principe du « Diviser pour régner ». Ainsi, en 1922, les Ossètes (peuple bien connu des lecteurs de Georges Dumézil, car issu des Alains) se retrouvent partagés entre une Ossétie du Nord (ou Alanie depuis 1994) intégrée à la République fédérative socialiste soviétique de Russie et une Ossétie du Sud d’abord incluse dans la république soviétique de Transcaucasie, puis à sa dissolution en 1937 à la Géorgie.
Le réveil douloureux des peuples
Du temps de l’U.R.S.S., les revendications nationalistes sont durement réprimées et le régime soviétique ne tolère qu’une médiocre expression culturelle assez vite réduite en folklore (dans son acception péjorative). L’ère Gorbatchev (1985 - 1991) avec la Perestroïka et la Glasnost développe les réveils nationalitaires en Union soviétique, mais ne les crée point. Les premiers soubresauts des peuples se font sentir dès la fin des années 1960. En 1978, dans L’Empire éclaté, Hélène Carrère d’Encausse envisage que la contestation anti-soviétique viendrait des républiques musulmanes centre-asiatiques. Elle se trompe puisque ce sont les peuples baltes qui ébranlent l’autorité de Moscou. On ignore cependant que dès la fin des années 1980, les peuples du Caucase secouent eux aussi l’oppression soviétique en relançant des revendications territoriales conflictuelles. Dès 1988, Arméniens et Azéris s’affrontent au sujet du Haut-Karabakh. Cette république autonome de l’Azerbaïdjan à majorité arménienne veut son indépendance ou son rattachement à l’Arménie. En dépit de l’interposition de l’Armée rouge, une terrible guerre oppose Érévan à Bakou qui se solde en 1994 par la victoire provisoire des Arméniens. Depuis, l’Arménie soutient le Karabakh et occupe 20 % du territoire azéri. En 1989, sur d’autres versants, des heurts opposent Géorgiens et Ossètes du Sud, les premiers défendant l’idée d’une Géorgie unitaire et centralisée, les seconds leur union avec l’Ossétie du Nord russe. L’Armée rouge intervient en médiateur. Hors du Caucase, en 1990, face à la montée en puissance du sentiment moldave de se rattacher à la Roumanie, les populations slavophones de la rive gauche du Dniestr se séparent de la Moldavie et fondent la Transnistrie. Il en découle une guerre civile brutalement arrêtée par l’Armée rouge…
La fin de l’U.R.S.S., le 25 décembre 1991, accélère les revendications nationales et favorise la fragmentation de l’espace post-soviétique. Voulant à la fois assurer la pérennité de son pouvoir et « désoviétiser » la Russie, Boris Eltsine autorise les pouvoirs locaux à « prendre le plus de souveraineté qu’ils le peuvent ». Le Tatarstan devient par exemple quasi-indépendant en plein cœur du pays et à 500 km à l’Est de Moscou !… Dans le Caucase septentrional, les Tchétchènes proclament leur indépendance dès 1992 et font imploser leur république de Tchétchénie - Ingouchie puisque les Ingouches se séparent d’eux et constituent la république autonome d’Ingouchie dans la Fédération russe. Le radicalisme séparatiste tchétchène entraîne dès lors la Russie dans des conflits sanglants en 1994 - 1996 et en 1999 - 2005.
En 1990, dans cet intense bouillonnement des nationalités, les Ossètes du Sud, toujours officiellement sous la tutelle de Tbilissi, choisissent un parlement autonome dont les premières décisions sont de quitter la Géorgie et de réclamer la « Velikaia Osetia » (la Grande Ossétie), c’est-à-dire la réunification dans le cadre russe des deux territoires ossètes. Immédiatement, la Géorgie supprime le statut d’autonomie de l’Ossétie du Sud et y envoie son armée écraser les « rebelles ». Il s’en suit une nouvelle guerre marquée par l’intervention militaire russe et la défaite des Géorgiens. Le 28 décembre 1991, le parlement ossète du Sud réaffirme l’indépendance de son territoire vis-à-vis de Tbilissi. Dans le même temps, la Géorgie est confrontée à d’autres soulèvements indépendantistes abkhaze au Nord-Ouest et adjare au Sud-Ouest. Appuyés par Moscou, ils profitent aussi du désordre politique intérieur géorgien. En janvier 1992, la Géorgie sombre dans la guerre civile entre les partisans du premier président élu, le nationaliste grand-géorgien Zviad Gamsakhourdia, un homme de lettres et ancien dissident soviétique, et les responsables du coup d’État rassemblés autour d’Édouard Chevardnadzé, l’ancien ministre soviétique des Affaires étrangères. La résistance zviadiste écrasée en décembre 1993, Chevardnadzé se rapproche de la Russie, fait adhérer la Géorgie à la C.E.I. (Communauté des États indépendants) et, tout en réaffirmant l’intégrité territoriale de son pays, suspend les questions adjare, abkhaze et ossète du sud, faisant en réalité de ces trois territoires des « États fantômes » (3).
Voici venir le temps des roses…
L’instabilité politique incessante, la crise économique persistante, l’incurie gouvernementale flagrante et la corruption généralisée fragilisent progressivement l’assise de Chevardnadzé perçu par les plus nationalistes des Géorgiens comme le bradeur de l’unité nationale et un pion de Moscou. En novembre 2003, à la suite d’élections estimées truquées, Chevardnadzé est chassé de la présidence par une « révolution de couleur » inspirée de la révolution anti-Milosevic d’octobre 2000 en Yougoslavie. Fomentée par des O.N.G. proches du milliardaire Soros et par la C.I.A., cette révolution téléguidée - « la Révolution des Roses » - porte à la présidence Mikhaïl Saakachvili, un jeune avocat polyglotte acquis aux thèses occidentales, euro-atlantistes et libérales.
La stupeur de Moscou bien incapable de défendre Chevardnadzé permet ensuite une floraison de « révolutions colorées » orchestrées par des organisations para-gouvernementales au financement occidental tant dans l’aire ex-soviétique (« Révolution Orange » en Ukraine en décembre 2004 et « Révolution des Tulipes » au Kirghizistan en mars 2005) qu’au Liban avec la « Révolution du Cèdre » (février - juillet 2005). Il ne fait guère de doute que la prochaine cible de ces révolutions sera la Russie. Or leurs instigateurs commettent l’erreur de s’en prendre d’abord à la Biélorussie en provoquant, à la suite de la présidentielle de mars 2006, une « Révolution du Jean’s » contre le président Alexandre Loukachenko. Homme énergique et volontaire, celui-ci réagit avec détermination et déjoue l’intrigue. Désormais conscient du péril « coloré », le Kremlin promeut des mouvements de masse (les Nachi, la Jeune Garde, le Mouvement eurasien de la Jeunesse, etc.) aptes à s’opposer à une quelconque tentative de déstabilisation.
Entre-temps, fort du soutien de Washington et de Bruxelles, Saakachvili entreprend de sortir de l’orbite russe pour intégrer l’ensemble occidental. Il pose la candidature de la Géorgie à l’O.T.A.N. et demande à rejoindre l’Union européenne. Cet occidentalisme militant rassure les capitales euratlantiques qui oublient le caractère de plus en plus autoritaire et démagogique du régime à Tbilissi. Saakachvili n’hésite pas à décréter l’état d’urgence, à disperser par la force des manifestations d’opposition et à arrêter ses adversaires politiques. Par ailleurs, usant d’un chauvinisme brutal et jacobin, le bouillant et présomptueux président géorgien en appelle à la réunification de toute la Géorgie, bref mettre au pas les régions irrédentistes d’Ossétie du Sud, d’Abkhazie et d’Adjarie. La reconquête du territoire géorgien commence par la reprise pacifique de l’Adjarie. Après des tractations âpres et subtiles, Tbilissi arrive à restaurer son autorité sur la région en mai 2004. C’est un succès personnel pour le jeune président géorgien.
Le frelon géorgien contre l’ours russe
La réussite en Adjarie rend le gouvernement géorgien très sûr de lui et optimiste dans la reprise des territoires ossète et abkhaze. Or la situation dans ces deux territoires est plus compliquée qu’en Adjarie seulement autonome. En effet, l’indépendance de l’Ossétie du Sud a été approuvée par référendum avec 99,75 % de oui en janvier 1992. En outre, les gouvernements abkhaze et ossète se placent très tôt sous la protection de la Russie qui en profite pour en contrôler les économies. En 2002, ce rapprochement vire à l’intégration déguisée puisque de nombreux Ossètes du Sud et Abkhazes reçoivent la citoyenneté russe. En novembre 2006, un nouveau référendum exprime massivement le souhait des Ossètes du Sud à être officiellement annexés à la Fédération de Russie.
Dès août 2004, Saakachvili avait lancé une offensive militaire contre l’Ossétie du Sud qui échoua devant la réaction mesurée des troupes russes présentes. Les relations entre Moscou et Tbilissi entrent alors dans une période agitée ponctuée par la « crises des espions » en septembre 2006, le tir d’un missile russe sur le territoire géorgien (avril 2007) ou la destruction par les Russes dans le ciel abkhaze d’un drone géorgien (mai 2008). En octobre 2006, Moscou rompt ses relations diplomatiques avec la Géorgie et lui impose un embargo commercial, maritime et aérien. L’embargo n’est levé qu’au printemps 2008. Sur le terrain, on assiste à une multiplication des incidents entre Géorgiens et « séparatistes », ossètes surtout, au cours du mois de juillet 2008. Les 1er et 2 août 2008 ont lieu de véritables affrontements frontaliers. Dans la nuit du 7 au 8 août, l’armée géorgienne, encadrée par des soudards issus de firmes de mercenariat anglo-saxonnes, envahit l’Ossétie du Sud, y fait régner la terreur et opère un début d’épuration ethnique (4).
Le moment n’est pas fortuit. Le chef de guerre géorgien « Saccagevilénie » pensait avoir une liberté totale sur le plan médiatique le jour de l’ouverture des Jeux Olympiques à Pékin. Voulant répéter le précédent adjare d’une façon plus violente, il est probable qu’il s’inspira aussi des coups militaires victorieux du président Tudjman en 1995 quand, aidés et armés par des conseillers étatsuniens, les Croates reprirent aux Serbes en quelques jours la Slavonie occidentale (« Opération Éclair » en mai), la Krajina (« Opération Tempête », du 4 au 7 août) et la Bosnie occidentale (« Opération Mistral », du 13 au 17 septembre). À l’époque, Franjo Tudjman avait parié sur l’impuissance des troupes serbo-yougoslaves de Slobodan Milosevic ; il gagna son pari. « Saakyan » a-t-il cru que la Russie demeurerait inactive, tablant sur une hypothétique discorde au sommet du pouvoir entre le président Medvedev et son Premier ministre Poutine ? Ne comprit-il pas que, passablement irritée par le projet de bouclier anti-missile U.S. en Europe centrale et orientale et par les menées subversives d’agences para-gouvernementales d’émanation étatsunienne, la Russie ne laisserait pas la Géorgie s’emparer de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie ? Le géostratège polonais Roman Kuzniar estime que Saakachvili « a fait un mauvais calcul. Il a sous-estimé la réaction des Russes et surestimé ses liens avec les pays occidentaux en s’imaginant, à tort, que ces derniers allaient le soutenir (5) ». Allant à contre-courant de l’interprétation majoritaire qui fait de la riposte russe le premier acte d’une politique d’expansion impérialiste, Roman Kuzniar ajoute que la Russie « connaît aussi ses limites. [Elle] est sur la défensive. Elle est sous la pression des États-Unis et de l’O.T.A.N. Elle se sent menacée dans son étranger proche (6). Ce qu’elle veut pour le moment, c’est maintenir le statu quo et elle est prête, comme on le voit, à utiliser pour cela la manière forte (7) ». C’est aussi un signal fort adressé à tous ceux qui pensent encore la Russie comme un État-continent en voie de dislocation. Plus grand pays au monde par la superficie, grand producteur d’hydrocarbures, la Russie ne serait plus être considérée comme un Bélize eurasiatique !
La magistrale raclée donnée à l’armée géorgienne marque la fin de l’hibernation pour l’ours russe. Se dessine par ailleurs un nouveau rapport de force entre les principales puissances géopolitiques de la planète à un moment où, embourbés dans les conflits afghan et irakien, les États-Unis sont à la veille d’une très grave crise économique. Quant à l’Union européenne actuellement présidée par la France, elle a montré une très grande efficacité dans le seul domaine qui lui tient vraiment à cœur : l’humanitaire. Puissance économique sans aucune volonté politique (la démonie des droits de l’homme ne relève que de l’impolitique la plus nette), l’U.E. excelle en merveilleuse infirmière et en fantastique cellule d’aide psychologique collective. En attendant d’être une excellente fille de joie !…
Est-ce la fin du nouvel ordre mondial comme l’affirme le spécialiste en géopolitique Alexandre Latsa (8) ? Remarquons déjà que la Pologne vient de signer avec les États-Unis l’accord d’installation du bouclier anti-missile officiellement destiné à contrer les futures têtes nucléaires de l’Iran et en réalité tourné contre la Russie. En représailles, Moscou et Minsk signeront cet automne un accord bilatéral sur la création d’un système commun de défense anti-missile dans le cadre de l’Union Russie-Biélorussie ainsi réactivée. On peut désormais envisager que la Russie installera des têtes balistiques dans son enclave de Kaliningrad et en Biélorussie… Grande irresponsable, le chancelier allemand Angela Merkel soutient maintenant la venue rapide de la Géorgie dans l’O.T.A.N. au risque de mécontenter encore plus la Russie qui devrait répliquer en faisant atterrir ses bombardiers stratégiques à Cuba et en installant des bases militaires sur cette île et au Venezuela.
La défaite géorgienne redistribue la donne dans l’« étranger proche ». Dans le Caucase, l’armée azérie qui se modernise en équipements militaires grâce à l’argent du pétrole a-t-elle encore envie de reprendre le Karabakh à l’Arménie alliée fidèle de la Russie et de l’Iran (9) ? L’Ukraine s’inquiète dès à présent pour l’intégrité de son territoire. Si on n’ignore pas que le pays est partagé entre l’Ouest ukrainophone et l’Est russophone, on sait moins que parmi les divers contentieux russo-ukrainiens se trouve le sort de la Crimée avec son port militaire de Sébastopol. Jusqu’en 1954, la presqu’île était russe. Cette année-là, pour célébrer le tricentenaire de l’union entre l’Ukraine et la Russie, Khrouchtchev donna la Crimée à l’Ukraine. Kyiv pourrait craindre que l’avancée russe dans le Caucase donne des idées aux habitants de Crimée russophiles (10)… Les États baltes qui comptent une importante minorité russophone comme la Lettonie et l’Estonie pourraient avoir la crainte justifiée que la victoire des Ossètes et des Abkhazes ravive l’irrédentisme russe des « non-citoyens » (11).
Quel parapluie étatsunien ?
Mikhaïl Saakachvili tablait sur le soutien unanime et immédiat de l’Occident, voire sur une réaction militaire de l’O.T.A.N. La curieuse apathie étatsunienne rend les observateurs perplexes. Certes, les États-Unis sont en plein cirque électoral et l’administration Ubush fils entame ses derniers mois d’existence, mais quand même… Des hypothèses tentent d’expliquer cette passivité. Les commentateurs envisagent que la Géorgie a lancé son attaque sans daigner prévenir Washington, d’où un flottement mâtiné d’agacement. Ou bien les États-Unis étaient informés de ce que tramait « Saakyan », mais la riposte russe les a tétanisés alors qu’ils comptent beaucoup sur Moscou pour renforcer les sanctions contre l’Iran, d’où la sous-traitance de la crise gérée par l’U.E. et la France. Ou bien l’inertie U.S. démontre que le roi est nu, que les États-Unis sont militairement et économiquement affaiblis et qu’ils rechignent de plus en plus à s’occuper d’un « Reste du monde » toujours plus déroutant et imprévisible.
Si cette dernière hypothèse se révélait exacte, le « parapluie étatsunien » censé protéger les États européens n’existerait de facto plus, rendant de cette manière l’O.T.A.N. totalement inutile. Cette perspective terrorise une classe politicienne atlantiste effrayée à l’idée de devoir augmenter le budget de la défense aux dépens de subventions gaspillées pour procurer une paix civile précaire à leurs sociétés multiculturelles décadentes. Une seconde preuve de la faiblesse yankie concernerait la proposition de loi déposée à la Chambre des représentants demandant au Comité international olympique de retirer à la Russie les jeux d’hiver prévus à Sotchi en 2014 ! On a connu les États-Unis bien plus vindicatifs.
Moralité, plutôt que de réintégrer une structure transatlantique aujourd’hui inadéquate, la France devrait au contraire exiger au nom des intérêts européens la dissolution de l’Alliance atlantique, la fermeture immédiate de toutes les bases U.S. d’Europe et le retrait rapide de leurs troupes. Plus de soixante ans d’occupation étatsunienne, ça suffit ! Paris pourrait ensuite proposer soit la neutralisation - au sens helvétique du terme - du continent, soit la création avec les États volontaires d’un Pacte européen de défense adossé à un partenariat stratégique avec la Russie. On construit déjà à Kourou en Guyane un pas de tir pour les fusées russes ; l’État russe pourrait en plus entrer largement dans le capital d’Airbus et d’E.A.D.S. En échange, la Russie ouvrirait son marché intérieur aux produits européens à forte valeur ajoutée et autoriserait les entreprises européennes à exploiter ses ressources naturelles. Les échanges entre la Russie et l’Europe seraient bien plus fructueux que les flux transatlantiques soumis à l’égoïsme pathologique des Yankees.
Mikhaïl Saakachvili pensait bénéficier du soutien inconditionnel de la Maison Blanche et les États-Unis lui ont donné un bon coup de poignard dans le dos ! Les atlantistes devraient méditer la leçon : Superman est lessivé et l’Oncle Sam grabataire !
L’hypocrisie schizophrénique des Occidentaux
Inconscientes du lourd silence étatsunien, les diplomaties occidentales, européennes de l’Ouest en particulier, s’activent pour régler le conflit russo-géorgien. Et à quoi assiste-t-on nous ? À l’application claire et précise du « Deux poids, deux mesures » puisque l’inénarrable porteur de riz Kouchner, le plus-que-médiocre David Miliband (mou ?) et la très narcissique « Condoléance » Rice veulent que la Russie respecte l’intangibilité des frontières et l’intégrité territoriale de la Géorgie alors que six mois auparavant le même trio insipide justifiait l’indépendance du Lupanarstan (le Kossovo) ! Avis donc à tous les séparatismes du monde entier : si vous souhaitez obtenir gain de cause, alignez-vous sur des positions atlantistes et vous vous assurerez de la bienveillance de la Maison Blanche ! Un processus semblable à celui du Kossovo se passe actuellement en Bolivie. L’Est bolivien, sa partie amazonienne (les départements de Tanja, de Santa Cruz, de Beni et de Pando) dont le sous-sol regorge de gaz naturel et à la population majoritairement composée de descendants de colons européens, conteste le gouvernement du syndicaliste socialiste indien Evo Morales, grand allié du Vénézuélien Hugo Chavez, et veut une large autonomie interne. Par un étrange hasard, Washington relaie leur appel « autonomiste » libéral-conservateur.
Au fait, un vote populaire a-t-il au moins sanctionné la soi-disant indépendance kossovare ? Aucunement tandis que Abkhazes et Ossètes du Sud ont eux réaffirmé à plusieurs reprises leur choix. L’Occident va donc à l’encontre de la décision des peuples, mais est-ce si surprenant que cela ? Il est en outre piquant (et navrant) d’entendre les suppliques étatsuniennes envers la Russie pour qu’elle tienne sa promesse de se retirer du territoire géorgien alors qu’au XIXe siècle aucun traité de paix signé entre les États-Unis et les nations amérindiennes n’a été respecté…
Probablement amnésique, l’Occident aurait dû comprendre que Moscou ne fait que l’imiter. En 1999, un État souverain - la Yougoslavie - réprima militairement une province rebelle à l’autonomie suspendue - le Kossovo - afin de rétablir son ordre constitutionnel. L’O.T.A.N. prétexta un prétendu nettoyage ethnique pour intervenir militairement et bombarder les principales villes serbes. Aujourd’hui, la Russie défend l’existence du peuple ossète avec cette nuance d’importance que son aviation n’a pas rasé Tbilissi, ni lâché sur l’ensemble du territoire géorgien des bombes à uranium appauvri.
Les dirigeants occidentaux sont par conséquent ou irresponsables, incompétents et incohérents (et ils méritent l’asile) ou bourrés de mauvaise foi et imbus d’un sentiment de supériorité morale désormais bien dévalué. En tout cas, cette attitude aux relents droit-de-l’hommistes nauséabonds est plus que jamais insupportable. En effet, pourquoi les mêmes Occidentaux se préoccupent-ils de la condition tragique des Tibétains, mais se fichent du destin des Ouïgours et se détournent des aspirations légitimes des Abkhazes et des Ossètes ? Pourquoi aucune mairie ne pose-t-elle pas à son fronton le drapeau ossète ou abkhaze ? Pourquoi n’y a-t-il aucun engouement, aucune solidarité envers ces minorités opprimées du Caucase ? Dans l’échelle médiatique de l’émotivité de masse télévisée, l’enfant tibétain aurait-il donc une plus grande valeur d’attendrissement que le jeune Ossète, le gamin du Darfour étant bien entendu hors compétition ? La russophobie instillée par nos grands médias et l’inculture gigantesque de nos contemporains éclairent bien des choses.
L’Occident, les États-Unis et l’U.E. doivent comprendre que la crise caucasienne marque maintenant la fin de leur fantasme d’hégémonie planétaire. Dans le concert mondial des puissances émergent ou reviennent en force la Russie, la Chine, l’Inde, le Brésil, entrevoyant un nouveau monde multipolaire. Serait-ce enfin le trépas de l’Occident ? Il faut l’espérer.
Quelques oiseaux de mauvais augure craignent qu’après la Géorgie, l’Europe orientale soit ensuite la prochaine victime de la Russie. Les pays baltes et la Pologne redouteraient de retomber dans le giron russe (12). Cela n’a pas de sens, car la Russie n’est plus dans une logique d’expansion impérialiste de type soviétique (au contraire des États-Unis), mais c’est ce que veulent faire croire les Géorgiens et les médias occidentaux. Leti Gobedjichvili lance : « Vous, les Européens, il faut que vous sachiez que les Russes viendront jusqu’à vous. Poutine a déclaré un jour que la situation géopolitique était déséquilibrée après l’effondrement de l’U.R.S.S. Les Russes ne vont jamais accepter l’écroulement de leur Union, et ils vont toujours vouloir la restaurer. Et pour cela, ils sont capables de détruire jusqu’à l’Europe (13) ». Que la Russie nous débarrasse enfin de l’eurocratie débile, poussive et dégénérée, quelle merveilleuse intention hélas guère réalisable ! Néanmoins, si Léon Bloy fulminait jadis contre les affres de son temps en disant vouloir attendre les cosaques ou le Saint-Esprit, pour notre part, attendons quand même avec une fébrilité certaine l’hypothétique surgissement des cosaques !
Georges Feltin-Tracol
Source : http://www.europemaxima.com
Notes :
1 : Malgré des couvertures de magazines incitant à la haine contre la Russie (L’Express, Le Nouvel Observateur), la presse écrite quotidienne française a parfois donné un avis plus pondéré de la situation. Observons aussi que des « faiseurs d’opinion », d’habitude fort américanolâtres, comme Alain Minc (Libération, 18 août 2008) ou Marek Halter (Le Figaro, 15 août 2008) ont écrit des tribunes libres très critiques envers l’attitude de Saakachvili, idem pour la chronique de fin de semaine d’Alexandre Adler (Le Figaro, 16 et 17 août 2008). Soulignons enfin l’éditorial de La Montagne (Clermont-Ferrand) du 14 août 2008 intitulé « Bonnes vieilles méthodes » qui n’est pas dupe de la désinformation occidentale pro-géorgienne en cours sur les ondes.
2 : Dans son Dictionnaire des États éphémères ou disparus de 1900 à nos jours (Dualpha, 2005), Jean-Claude Rolinat relève l’existence de l’État des Adyghés (1917 - 1918), le Daghestan libre (janvier - mai 1918), la république des Montagnards du Caucase (mai - novembre 1918), la Fédération de Transcaucasie (septembre 1917 - mai 1918)…
3 : Sur le concept d’« État fantôme », cf. Georges Feltin-Tracol, « Géopolitique des États fantômes », L’Unité normande, n° 295, janvier 2007.
4 : Des O.N.G. proches du Pentagone ou de Londres telles que Human Rights Watch ou Amnesty International pratiquent un véritable négationnisme en minimisant les exactions réelles de la soldatesque géorgienne en Ossétie.
5 : in Le Figaro, 11 août 2008.
6 : On appelle « étranger proche » les États issus de l’U.R.S.S. qui ont conservé des liens économiques et les infrastructures de l’ère soviétique.
7 : in Le Figaro, 11 août 2008.
8 : Il faut lire Dissonance, l’excellent blog d’Alexandre Latsa (http://alexandrelatsa.blogspot.com), en particulier ses articles du 8 août 2008, « Nous sommes tous des Ossètes du Sud » et du 12 août 2008, « Vers la fin du nouvel ordre mondial ».
9 : Appliquer aux événements actuels dans le Caucase la grille de lecture du « choc des civilisations » serait d’une rare bêtise puisque Russes, Géorgiens et Ossètes sont orthodoxes. En outre, face au blocus de la Turquie, le seul débouché économique de l’Arménie chrétienne est l’Iran chiite qui, nonobstant le chiisme des Azéris, se méfie des rêves pan-azéries de Bakou, Téhéran possédant une importante minorité azérie qui fut indépendante en 1944 - 1945 avec le soutien de Staline. Ajoutons par ailleurs que le Hezbollah libanais a salué l’intervention militaire russe. Enfin, la Géorgie a abrité dans la vallée du Pankissi à la frontière avec la Tchétchénie des cellules tchétchènes liées à Al-Qaïda.
10 : Le Monde (16 août 2008) rapporte une manifestation en faveur de la Russie et des Ossètes à Sébastopol, le 14 août dernier. On vient d’apprendre que des proches du président ukrainien, Viktor Iouchtchenko, accusent le Premier ministre, Ioulia Timochenko, de corruption, de haute trahison et de sympathie pour la Russie. La crise caucasienne aurait-elles des répercussions à Kyiv ?
11 : Depuis l’indépendance de la Lettonie existent dans le pays des « non-citoyens » adultes à bien distinguer des étrangers. Inscrit sur le passeport letton, ce terme désigne la minorité russophone arrivée dans ce pays balte à l’époque soviétique et leurs descendants. Refusant de passer les examens de langue, d’histoire et de civilisation lettones (ou en étant incapables), ces résidents permanents n’ont ni la citoyenneté lettone, ni la citoyenneté russe. Ce sont des apatrides dont le destin est à rapprocher des centaines de milliers de Russes, Juifs, Grecs, Turcs et Arméniens, fuyant l’effondrement des empires russe et ottoman, titulaires du fameux passeport Nansen.
12 : L’appréhension des États baltes et de la Pologne est légitime et compréhensible. Baltes et Polonais firent partie de l’Empire russe entre le XVIIIe siècle et 1917. En 1939 pour la Pologne et en 1940 pour les Baltes, en application des clauses secrètes du pacte germano-soviétique, l’U.R.S.S. occupa la Lituanie, la Lettonie, l’Estonie et la Pologne orientale. La mainmise communiste soviétique sur ces pays (et d’autres) fut totale à partir de 1945 et jusqu’en 1989 - 1991 avec l’acceptation tacite de l’Occident en général et des États-Unis en particulier.
Des médias font un parallèle entre l’intervention soviétique d’août 1968 en Tchécoslovaquie et l’actuel conflit russo-géorgien. Faut-il leur rappeler que la Russie fut elle aussi victime (la première !) du communisme et que soixante-dix ans de système soviétique a transformé le peuple russe en homo sovieticus bien décrit par Alexandre Zinoviev ?
13 : in Libération, 11 août 2008.
Région montagneuse servant de limite imprécise entre l’Europe et l’Asie, le Caucase est une mosaïque de peuples à l’intersection des aires d’influence des mondes turcophone, chrétien (russe, géorgien, arménien) et persan. Voisin de l’Asie centrale, à proximité des Proche- et Moyen-Orients et situé entre les mers Noire et Caspienne, le territoire caucasien dispose d’atouts stratégiques majeurs dans le « Grand Jeu » qui opposent les États-Unis, la Russie, l’Iran et la Turquie. Lieu de passage pour les oléoducs (le B.-T.-C. : Bakou - Tbilissi - Ceyhan) et les gazoducs (projet Nabucco) qui partent des rives de la Caspienne pour arriver dans les ports méditerranéens ou de la mer Noire, c’est, avec les Balkans, un autre point névralgique de l’Europe.
Espace longtemps disputé entre les empires ottoman, perse et russe, le Caucase devient russe au XIXe siècle sans toutefois que cette domination impériale soit complète, sûre et définitive. Des peuples caucasiens ne cessent de contester l’autorité de Saint-Pétersbourg. Les révolutions de 1917, l’effondrement de l’autocratie et le décret de Lénine sur les nationalités facilitent les indépendantismes locaux (2). Toutefois, au cours de la guerre civile (1917 - 1921), les bolcheviks en héritiers paradoxaux des tsars brisent ces tentatives séparatistes et rétablissent l’emprise du centre russe sur ses périphéries ethniquement hétérogènes. Pis, Lénine et surtout Staline, un Géorgien de mère ossète très au fait de ces problèmes et auteur d’un des rares ouvrages marxistes-léninistes qui évoquent la question nationale, retracent les frontières intérieures de la future U.R.S.S. Il s’agit d’établir des ferments de rivalités futures entre peuples afin de rendre le Parti communiste soviétique seul apte à juger d’une manière impartiale les conflits possibles. Les Soviétiques reprennent donc l’antique principe du « Diviser pour régner ». Ainsi, en 1922, les Ossètes (peuple bien connu des lecteurs de Georges Dumézil, car issu des Alains) se retrouvent partagés entre une Ossétie du Nord (ou Alanie depuis 1994) intégrée à la République fédérative socialiste soviétique de Russie et une Ossétie du Sud d’abord incluse dans la république soviétique de Transcaucasie, puis à sa dissolution en 1937 à la Géorgie.
Le réveil douloureux des peuples
Du temps de l’U.R.S.S., les revendications nationalistes sont durement réprimées et le régime soviétique ne tolère qu’une médiocre expression culturelle assez vite réduite en folklore (dans son acception péjorative). L’ère Gorbatchev (1985 - 1991) avec la Perestroïka et la Glasnost développe les réveils nationalitaires en Union soviétique, mais ne les crée point. Les premiers soubresauts des peuples se font sentir dès la fin des années 1960. En 1978, dans L’Empire éclaté, Hélène Carrère d’Encausse envisage que la contestation anti-soviétique viendrait des républiques musulmanes centre-asiatiques. Elle se trompe puisque ce sont les peuples baltes qui ébranlent l’autorité de Moscou. On ignore cependant que dès la fin des années 1980, les peuples du Caucase secouent eux aussi l’oppression soviétique en relançant des revendications territoriales conflictuelles. Dès 1988, Arméniens et Azéris s’affrontent au sujet du Haut-Karabakh. Cette république autonome de l’Azerbaïdjan à majorité arménienne veut son indépendance ou son rattachement à l’Arménie. En dépit de l’interposition de l’Armée rouge, une terrible guerre oppose Érévan à Bakou qui se solde en 1994 par la victoire provisoire des Arméniens. Depuis, l’Arménie soutient le Karabakh et occupe 20 % du territoire azéri. En 1989, sur d’autres versants, des heurts opposent Géorgiens et Ossètes du Sud, les premiers défendant l’idée d’une Géorgie unitaire et centralisée, les seconds leur union avec l’Ossétie du Nord russe. L’Armée rouge intervient en médiateur. Hors du Caucase, en 1990, face à la montée en puissance du sentiment moldave de se rattacher à la Roumanie, les populations slavophones de la rive gauche du Dniestr se séparent de la Moldavie et fondent la Transnistrie. Il en découle une guerre civile brutalement arrêtée par l’Armée rouge…
La fin de l’U.R.S.S., le 25 décembre 1991, accélère les revendications nationales et favorise la fragmentation de l’espace post-soviétique. Voulant à la fois assurer la pérennité de son pouvoir et « désoviétiser » la Russie, Boris Eltsine autorise les pouvoirs locaux à « prendre le plus de souveraineté qu’ils le peuvent ». Le Tatarstan devient par exemple quasi-indépendant en plein cœur du pays et à 500 km à l’Est de Moscou !… Dans le Caucase septentrional, les Tchétchènes proclament leur indépendance dès 1992 et font imploser leur république de Tchétchénie - Ingouchie puisque les Ingouches se séparent d’eux et constituent la république autonome d’Ingouchie dans la Fédération russe. Le radicalisme séparatiste tchétchène entraîne dès lors la Russie dans des conflits sanglants en 1994 - 1996 et en 1999 - 2005.
En 1990, dans cet intense bouillonnement des nationalités, les Ossètes du Sud, toujours officiellement sous la tutelle de Tbilissi, choisissent un parlement autonome dont les premières décisions sont de quitter la Géorgie et de réclamer la « Velikaia Osetia » (la Grande Ossétie), c’est-à-dire la réunification dans le cadre russe des deux territoires ossètes. Immédiatement, la Géorgie supprime le statut d’autonomie de l’Ossétie du Sud et y envoie son armée écraser les « rebelles ». Il s’en suit une nouvelle guerre marquée par l’intervention militaire russe et la défaite des Géorgiens. Le 28 décembre 1991, le parlement ossète du Sud réaffirme l’indépendance de son territoire vis-à-vis de Tbilissi. Dans le même temps, la Géorgie est confrontée à d’autres soulèvements indépendantistes abkhaze au Nord-Ouest et adjare au Sud-Ouest. Appuyés par Moscou, ils profitent aussi du désordre politique intérieur géorgien. En janvier 1992, la Géorgie sombre dans la guerre civile entre les partisans du premier président élu, le nationaliste grand-géorgien Zviad Gamsakhourdia, un homme de lettres et ancien dissident soviétique, et les responsables du coup d’État rassemblés autour d’Édouard Chevardnadzé, l’ancien ministre soviétique des Affaires étrangères. La résistance zviadiste écrasée en décembre 1993, Chevardnadzé se rapproche de la Russie, fait adhérer la Géorgie à la C.E.I. (Communauté des États indépendants) et, tout en réaffirmant l’intégrité territoriale de son pays, suspend les questions adjare, abkhaze et ossète du sud, faisant en réalité de ces trois territoires des « États fantômes » (3).
Voici venir le temps des roses…
L’instabilité politique incessante, la crise économique persistante, l’incurie gouvernementale flagrante et la corruption généralisée fragilisent progressivement l’assise de Chevardnadzé perçu par les plus nationalistes des Géorgiens comme le bradeur de l’unité nationale et un pion de Moscou. En novembre 2003, à la suite d’élections estimées truquées, Chevardnadzé est chassé de la présidence par une « révolution de couleur » inspirée de la révolution anti-Milosevic d’octobre 2000 en Yougoslavie. Fomentée par des O.N.G. proches du milliardaire Soros et par la C.I.A., cette révolution téléguidée - « la Révolution des Roses » - porte à la présidence Mikhaïl Saakachvili, un jeune avocat polyglotte acquis aux thèses occidentales, euro-atlantistes et libérales.
La stupeur de Moscou bien incapable de défendre Chevardnadzé permet ensuite une floraison de « révolutions colorées » orchestrées par des organisations para-gouvernementales au financement occidental tant dans l’aire ex-soviétique (« Révolution Orange » en Ukraine en décembre 2004 et « Révolution des Tulipes » au Kirghizistan en mars 2005) qu’au Liban avec la « Révolution du Cèdre » (février - juillet 2005). Il ne fait guère de doute que la prochaine cible de ces révolutions sera la Russie. Or leurs instigateurs commettent l’erreur de s’en prendre d’abord à la Biélorussie en provoquant, à la suite de la présidentielle de mars 2006, une « Révolution du Jean’s » contre le président Alexandre Loukachenko. Homme énergique et volontaire, celui-ci réagit avec détermination et déjoue l’intrigue. Désormais conscient du péril « coloré », le Kremlin promeut des mouvements de masse (les Nachi, la Jeune Garde, le Mouvement eurasien de la Jeunesse, etc.) aptes à s’opposer à une quelconque tentative de déstabilisation.
Entre-temps, fort du soutien de Washington et de Bruxelles, Saakachvili entreprend de sortir de l’orbite russe pour intégrer l’ensemble occidental. Il pose la candidature de la Géorgie à l’O.T.A.N. et demande à rejoindre l’Union européenne. Cet occidentalisme militant rassure les capitales euratlantiques qui oublient le caractère de plus en plus autoritaire et démagogique du régime à Tbilissi. Saakachvili n’hésite pas à décréter l’état d’urgence, à disperser par la force des manifestations d’opposition et à arrêter ses adversaires politiques. Par ailleurs, usant d’un chauvinisme brutal et jacobin, le bouillant et présomptueux président géorgien en appelle à la réunification de toute la Géorgie, bref mettre au pas les régions irrédentistes d’Ossétie du Sud, d’Abkhazie et d’Adjarie. La reconquête du territoire géorgien commence par la reprise pacifique de l’Adjarie. Après des tractations âpres et subtiles, Tbilissi arrive à restaurer son autorité sur la région en mai 2004. C’est un succès personnel pour le jeune président géorgien.
Le frelon géorgien contre l’ours russe
La réussite en Adjarie rend le gouvernement géorgien très sûr de lui et optimiste dans la reprise des territoires ossète et abkhaze. Or la situation dans ces deux territoires est plus compliquée qu’en Adjarie seulement autonome. En effet, l’indépendance de l’Ossétie du Sud a été approuvée par référendum avec 99,75 % de oui en janvier 1992. En outre, les gouvernements abkhaze et ossète se placent très tôt sous la protection de la Russie qui en profite pour en contrôler les économies. En 2002, ce rapprochement vire à l’intégration déguisée puisque de nombreux Ossètes du Sud et Abkhazes reçoivent la citoyenneté russe. En novembre 2006, un nouveau référendum exprime massivement le souhait des Ossètes du Sud à être officiellement annexés à la Fédération de Russie.
Dès août 2004, Saakachvili avait lancé une offensive militaire contre l’Ossétie du Sud qui échoua devant la réaction mesurée des troupes russes présentes. Les relations entre Moscou et Tbilissi entrent alors dans une période agitée ponctuée par la « crises des espions » en septembre 2006, le tir d’un missile russe sur le territoire géorgien (avril 2007) ou la destruction par les Russes dans le ciel abkhaze d’un drone géorgien (mai 2008). En octobre 2006, Moscou rompt ses relations diplomatiques avec la Géorgie et lui impose un embargo commercial, maritime et aérien. L’embargo n’est levé qu’au printemps 2008. Sur le terrain, on assiste à une multiplication des incidents entre Géorgiens et « séparatistes », ossètes surtout, au cours du mois de juillet 2008. Les 1er et 2 août 2008 ont lieu de véritables affrontements frontaliers. Dans la nuit du 7 au 8 août, l’armée géorgienne, encadrée par des soudards issus de firmes de mercenariat anglo-saxonnes, envahit l’Ossétie du Sud, y fait régner la terreur et opère un début d’épuration ethnique (4).
Le moment n’est pas fortuit. Le chef de guerre géorgien « Saccagevilénie » pensait avoir une liberté totale sur le plan médiatique le jour de l’ouverture des Jeux Olympiques à Pékin. Voulant répéter le précédent adjare d’une façon plus violente, il est probable qu’il s’inspira aussi des coups militaires victorieux du président Tudjman en 1995 quand, aidés et armés par des conseillers étatsuniens, les Croates reprirent aux Serbes en quelques jours la Slavonie occidentale (« Opération Éclair » en mai), la Krajina (« Opération Tempête », du 4 au 7 août) et la Bosnie occidentale (« Opération Mistral », du 13 au 17 septembre). À l’époque, Franjo Tudjman avait parié sur l’impuissance des troupes serbo-yougoslaves de Slobodan Milosevic ; il gagna son pari. « Saakyan » a-t-il cru que la Russie demeurerait inactive, tablant sur une hypothétique discorde au sommet du pouvoir entre le président Medvedev et son Premier ministre Poutine ? Ne comprit-il pas que, passablement irritée par le projet de bouclier anti-missile U.S. en Europe centrale et orientale et par les menées subversives d’agences para-gouvernementales d’émanation étatsunienne, la Russie ne laisserait pas la Géorgie s’emparer de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie ? Le géostratège polonais Roman Kuzniar estime que Saakachvili « a fait un mauvais calcul. Il a sous-estimé la réaction des Russes et surestimé ses liens avec les pays occidentaux en s’imaginant, à tort, que ces derniers allaient le soutenir (5) ». Allant à contre-courant de l’interprétation majoritaire qui fait de la riposte russe le premier acte d’une politique d’expansion impérialiste, Roman Kuzniar ajoute que la Russie « connaît aussi ses limites. [Elle] est sur la défensive. Elle est sous la pression des États-Unis et de l’O.T.A.N. Elle se sent menacée dans son étranger proche (6). Ce qu’elle veut pour le moment, c’est maintenir le statu quo et elle est prête, comme on le voit, à utiliser pour cela la manière forte (7) ». C’est aussi un signal fort adressé à tous ceux qui pensent encore la Russie comme un État-continent en voie de dislocation. Plus grand pays au monde par la superficie, grand producteur d’hydrocarbures, la Russie ne serait plus être considérée comme un Bélize eurasiatique !
La magistrale raclée donnée à l’armée géorgienne marque la fin de l’hibernation pour l’ours russe. Se dessine par ailleurs un nouveau rapport de force entre les principales puissances géopolitiques de la planète à un moment où, embourbés dans les conflits afghan et irakien, les États-Unis sont à la veille d’une très grave crise économique. Quant à l’Union européenne actuellement présidée par la France, elle a montré une très grande efficacité dans le seul domaine qui lui tient vraiment à cœur : l’humanitaire. Puissance économique sans aucune volonté politique (la démonie des droits de l’homme ne relève que de l’impolitique la plus nette), l’U.E. excelle en merveilleuse infirmière et en fantastique cellule d’aide psychologique collective. En attendant d’être une excellente fille de joie !…
Est-ce la fin du nouvel ordre mondial comme l’affirme le spécialiste en géopolitique Alexandre Latsa (8) ? Remarquons déjà que la Pologne vient de signer avec les États-Unis l’accord d’installation du bouclier anti-missile officiellement destiné à contrer les futures têtes nucléaires de l’Iran et en réalité tourné contre la Russie. En représailles, Moscou et Minsk signeront cet automne un accord bilatéral sur la création d’un système commun de défense anti-missile dans le cadre de l’Union Russie-Biélorussie ainsi réactivée. On peut désormais envisager que la Russie installera des têtes balistiques dans son enclave de Kaliningrad et en Biélorussie… Grande irresponsable, le chancelier allemand Angela Merkel soutient maintenant la venue rapide de la Géorgie dans l’O.T.A.N. au risque de mécontenter encore plus la Russie qui devrait répliquer en faisant atterrir ses bombardiers stratégiques à Cuba et en installant des bases militaires sur cette île et au Venezuela.
La défaite géorgienne redistribue la donne dans l’« étranger proche ». Dans le Caucase, l’armée azérie qui se modernise en équipements militaires grâce à l’argent du pétrole a-t-elle encore envie de reprendre le Karabakh à l’Arménie alliée fidèle de la Russie et de l’Iran (9) ? L’Ukraine s’inquiète dès à présent pour l’intégrité de son territoire. Si on n’ignore pas que le pays est partagé entre l’Ouest ukrainophone et l’Est russophone, on sait moins que parmi les divers contentieux russo-ukrainiens se trouve le sort de la Crimée avec son port militaire de Sébastopol. Jusqu’en 1954, la presqu’île était russe. Cette année-là, pour célébrer le tricentenaire de l’union entre l’Ukraine et la Russie, Khrouchtchev donna la Crimée à l’Ukraine. Kyiv pourrait craindre que l’avancée russe dans le Caucase donne des idées aux habitants de Crimée russophiles (10)… Les États baltes qui comptent une importante minorité russophone comme la Lettonie et l’Estonie pourraient avoir la crainte justifiée que la victoire des Ossètes et des Abkhazes ravive l’irrédentisme russe des « non-citoyens » (11).
Quel parapluie étatsunien ?
Mikhaïl Saakachvili tablait sur le soutien unanime et immédiat de l’Occident, voire sur une réaction militaire de l’O.T.A.N. La curieuse apathie étatsunienne rend les observateurs perplexes. Certes, les États-Unis sont en plein cirque électoral et l’administration Ubush fils entame ses derniers mois d’existence, mais quand même… Des hypothèses tentent d’expliquer cette passivité. Les commentateurs envisagent que la Géorgie a lancé son attaque sans daigner prévenir Washington, d’où un flottement mâtiné d’agacement. Ou bien les États-Unis étaient informés de ce que tramait « Saakyan », mais la riposte russe les a tétanisés alors qu’ils comptent beaucoup sur Moscou pour renforcer les sanctions contre l’Iran, d’où la sous-traitance de la crise gérée par l’U.E. et la France. Ou bien l’inertie U.S. démontre que le roi est nu, que les États-Unis sont militairement et économiquement affaiblis et qu’ils rechignent de plus en plus à s’occuper d’un « Reste du monde » toujours plus déroutant et imprévisible.
Si cette dernière hypothèse se révélait exacte, le « parapluie étatsunien » censé protéger les États européens n’existerait de facto plus, rendant de cette manière l’O.T.A.N. totalement inutile. Cette perspective terrorise une classe politicienne atlantiste effrayée à l’idée de devoir augmenter le budget de la défense aux dépens de subventions gaspillées pour procurer une paix civile précaire à leurs sociétés multiculturelles décadentes. Une seconde preuve de la faiblesse yankie concernerait la proposition de loi déposée à la Chambre des représentants demandant au Comité international olympique de retirer à la Russie les jeux d’hiver prévus à Sotchi en 2014 ! On a connu les États-Unis bien plus vindicatifs.
Moralité, plutôt que de réintégrer une structure transatlantique aujourd’hui inadéquate, la France devrait au contraire exiger au nom des intérêts européens la dissolution de l’Alliance atlantique, la fermeture immédiate de toutes les bases U.S. d’Europe et le retrait rapide de leurs troupes. Plus de soixante ans d’occupation étatsunienne, ça suffit ! Paris pourrait ensuite proposer soit la neutralisation - au sens helvétique du terme - du continent, soit la création avec les États volontaires d’un Pacte européen de défense adossé à un partenariat stratégique avec la Russie. On construit déjà à Kourou en Guyane un pas de tir pour les fusées russes ; l’État russe pourrait en plus entrer largement dans le capital d’Airbus et d’E.A.D.S. En échange, la Russie ouvrirait son marché intérieur aux produits européens à forte valeur ajoutée et autoriserait les entreprises européennes à exploiter ses ressources naturelles. Les échanges entre la Russie et l’Europe seraient bien plus fructueux que les flux transatlantiques soumis à l’égoïsme pathologique des Yankees.
Mikhaïl Saakachvili pensait bénéficier du soutien inconditionnel de la Maison Blanche et les États-Unis lui ont donné un bon coup de poignard dans le dos ! Les atlantistes devraient méditer la leçon : Superman est lessivé et l’Oncle Sam grabataire !
L’hypocrisie schizophrénique des Occidentaux
Inconscientes du lourd silence étatsunien, les diplomaties occidentales, européennes de l’Ouest en particulier, s’activent pour régler le conflit russo-géorgien. Et à quoi assiste-t-on nous ? À l’application claire et précise du « Deux poids, deux mesures » puisque l’inénarrable porteur de riz Kouchner, le plus-que-médiocre David Miliband (mou ?) et la très narcissique « Condoléance » Rice veulent que la Russie respecte l’intangibilité des frontières et l’intégrité territoriale de la Géorgie alors que six mois auparavant le même trio insipide justifiait l’indépendance du Lupanarstan (le Kossovo) ! Avis donc à tous les séparatismes du monde entier : si vous souhaitez obtenir gain de cause, alignez-vous sur des positions atlantistes et vous vous assurerez de la bienveillance de la Maison Blanche ! Un processus semblable à celui du Kossovo se passe actuellement en Bolivie. L’Est bolivien, sa partie amazonienne (les départements de Tanja, de Santa Cruz, de Beni et de Pando) dont le sous-sol regorge de gaz naturel et à la population majoritairement composée de descendants de colons européens, conteste le gouvernement du syndicaliste socialiste indien Evo Morales, grand allié du Vénézuélien Hugo Chavez, et veut une large autonomie interne. Par un étrange hasard, Washington relaie leur appel « autonomiste » libéral-conservateur.
Au fait, un vote populaire a-t-il au moins sanctionné la soi-disant indépendance kossovare ? Aucunement tandis que Abkhazes et Ossètes du Sud ont eux réaffirmé à plusieurs reprises leur choix. L’Occident va donc à l’encontre de la décision des peuples, mais est-ce si surprenant que cela ? Il est en outre piquant (et navrant) d’entendre les suppliques étatsuniennes envers la Russie pour qu’elle tienne sa promesse de se retirer du territoire géorgien alors qu’au XIXe siècle aucun traité de paix signé entre les États-Unis et les nations amérindiennes n’a été respecté…
Probablement amnésique, l’Occident aurait dû comprendre que Moscou ne fait que l’imiter. En 1999, un État souverain - la Yougoslavie - réprima militairement une province rebelle à l’autonomie suspendue - le Kossovo - afin de rétablir son ordre constitutionnel. L’O.T.A.N. prétexta un prétendu nettoyage ethnique pour intervenir militairement et bombarder les principales villes serbes. Aujourd’hui, la Russie défend l’existence du peuple ossète avec cette nuance d’importance que son aviation n’a pas rasé Tbilissi, ni lâché sur l’ensemble du territoire géorgien des bombes à uranium appauvri.
Les dirigeants occidentaux sont par conséquent ou irresponsables, incompétents et incohérents (et ils méritent l’asile) ou bourrés de mauvaise foi et imbus d’un sentiment de supériorité morale désormais bien dévalué. En tout cas, cette attitude aux relents droit-de-l’hommistes nauséabonds est plus que jamais insupportable. En effet, pourquoi les mêmes Occidentaux se préoccupent-ils de la condition tragique des Tibétains, mais se fichent du destin des Ouïgours et se détournent des aspirations légitimes des Abkhazes et des Ossètes ? Pourquoi aucune mairie ne pose-t-elle pas à son fronton le drapeau ossète ou abkhaze ? Pourquoi n’y a-t-il aucun engouement, aucune solidarité envers ces minorités opprimées du Caucase ? Dans l’échelle médiatique de l’émotivité de masse télévisée, l’enfant tibétain aurait-il donc une plus grande valeur d’attendrissement que le jeune Ossète, le gamin du Darfour étant bien entendu hors compétition ? La russophobie instillée par nos grands médias et l’inculture gigantesque de nos contemporains éclairent bien des choses.
L’Occident, les États-Unis et l’U.E. doivent comprendre que la crise caucasienne marque maintenant la fin de leur fantasme d’hégémonie planétaire. Dans le concert mondial des puissances émergent ou reviennent en force la Russie, la Chine, l’Inde, le Brésil, entrevoyant un nouveau monde multipolaire. Serait-ce enfin le trépas de l’Occident ? Il faut l’espérer.
Quelques oiseaux de mauvais augure craignent qu’après la Géorgie, l’Europe orientale soit ensuite la prochaine victime de la Russie. Les pays baltes et la Pologne redouteraient de retomber dans le giron russe (12). Cela n’a pas de sens, car la Russie n’est plus dans une logique d’expansion impérialiste de type soviétique (au contraire des États-Unis), mais c’est ce que veulent faire croire les Géorgiens et les médias occidentaux. Leti Gobedjichvili lance : « Vous, les Européens, il faut que vous sachiez que les Russes viendront jusqu’à vous. Poutine a déclaré un jour que la situation géopolitique était déséquilibrée après l’effondrement de l’U.R.S.S. Les Russes ne vont jamais accepter l’écroulement de leur Union, et ils vont toujours vouloir la restaurer. Et pour cela, ils sont capables de détruire jusqu’à l’Europe (13) ». Que la Russie nous débarrasse enfin de l’eurocratie débile, poussive et dégénérée, quelle merveilleuse intention hélas guère réalisable ! Néanmoins, si Léon Bloy fulminait jadis contre les affres de son temps en disant vouloir attendre les cosaques ou le Saint-Esprit, pour notre part, attendons quand même avec une fébrilité certaine l’hypothétique surgissement des cosaques !
Georges Feltin-Tracol
Source : http://www.europemaxima.com
Notes :
1 : Malgré des couvertures de magazines incitant à la haine contre la Russie (L’Express, Le Nouvel Observateur), la presse écrite quotidienne française a parfois donné un avis plus pondéré de la situation. Observons aussi que des « faiseurs d’opinion », d’habitude fort américanolâtres, comme Alain Minc (Libération, 18 août 2008) ou Marek Halter (Le Figaro, 15 août 2008) ont écrit des tribunes libres très critiques envers l’attitude de Saakachvili, idem pour la chronique de fin de semaine d’Alexandre Adler (Le Figaro, 16 et 17 août 2008). Soulignons enfin l’éditorial de La Montagne (Clermont-Ferrand) du 14 août 2008 intitulé « Bonnes vieilles méthodes » qui n’est pas dupe de la désinformation occidentale pro-géorgienne en cours sur les ondes.
2 : Dans son Dictionnaire des États éphémères ou disparus de 1900 à nos jours (Dualpha, 2005), Jean-Claude Rolinat relève l’existence de l’État des Adyghés (1917 - 1918), le Daghestan libre (janvier - mai 1918), la république des Montagnards du Caucase (mai - novembre 1918), la Fédération de Transcaucasie (septembre 1917 - mai 1918)…
3 : Sur le concept d’« État fantôme », cf. Georges Feltin-Tracol, « Géopolitique des États fantômes », L’Unité normande, n° 295, janvier 2007.
4 : Des O.N.G. proches du Pentagone ou de Londres telles que Human Rights Watch ou Amnesty International pratiquent un véritable négationnisme en minimisant les exactions réelles de la soldatesque géorgienne en Ossétie.
5 : in Le Figaro, 11 août 2008.
6 : On appelle « étranger proche » les États issus de l’U.R.S.S. qui ont conservé des liens économiques et les infrastructures de l’ère soviétique.
7 : in Le Figaro, 11 août 2008.
8 : Il faut lire Dissonance, l’excellent blog d’Alexandre Latsa (http://alexandrelatsa.blogspot.com), en particulier ses articles du 8 août 2008, « Nous sommes tous des Ossètes du Sud » et du 12 août 2008, « Vers la fin du nouvel ordre mondial ».
9 : Appliquer aux événements actuels dans le Caucase la grille de lecture du « choc des civilisations » serait d’une rare bêtise puisque Russes, Géorgiens et Ossètes sont orthodoxes. En outre, face au blocus de la Turquie, le seul débouché économique de l’Arménie chrétienne est l’Iran chiite qui, nonobstant le chiisme des Azéris, se méfie des rêves pan-azéries de Bakou, Téhéran possédant une importante minorité azérie qui fut indépendante en 1944 - 1945 avec le soutien de Staline. Ajoutons par ailleurs que le Hezbollah libanais a salué l’intervention militaire russe. Enfin, la Géorgie a abrité dans la vallée du Pankissi à la frontière avec la Tchétchénie des cellules tchétchènes liées à Al-Qaïda.
10 : Le Monde (16 août 2008) rapporte une manifestation en faveur de la Russie et des Ossètes à Sébastopol, le 14 août dernier. On vient d’apprendre que des proches du président ukrainien, Viktor Iouchtchenko, accusent le Premier ministre, Ioulia Timochenko, de corruption, de haute trahison et de sympathie pour la Russie. La crise caucasienne aurait-elles des répercussions à Kyiv ?
11 : Depuis l’indépendance de la Lettonie existent dans le pays des « non-citoyens » adultes à bien distinguer des étrangers. Inscrit sur le passeport letton, ce terme désigne la minorité russophone arrivée dans ce pays balte à l’époque soviétique et leurs descendants. Refusant de passer les examens de langue, d’histoire et de civilisation lettones (ou en étant incapables), ces résidents permanents n’ont ni la citoyenneté lettone, ni la citoyenneté russe. Ce sont des apatrides dont le destin est à rapprocher des centaines de milliers de Russes, Juifs, Grecs, Turcs et Arméniens, fuyant l’effondrement des empires russe et ottoman, titulaires du fameux passeport Nansen.
12 : L’appréhension des États baltes et de la Pologne est légitime et compréhensible. Baltes et Polonais firent partie de l’Empire russe entre le XVIIIe siècle et 1917. En 1939 pour la Pologne et en 1940 pour les Baltes, en application des clauses secrètes du pacte germano-soviétique, l’U.R.S.S. occupa la Lituanie, la Lettonie, l’Estonie et la Pologne orientale. La mainmise communiste soviétique sur ces pays (et d’autres) fut totale à partir de 1945 et jusqu’en 1989 - 1991 avec l’acceptation tacite de l’Occident en général et des États-Unis en particulier.
Des médias font un parallèle entre l’intervention soviétique d’août 1968 en Tchécoslovaquie et l’actuel conflit russo-géorgien. Faut-il leur rappeler que la Russie fut elle aussi victime (la première !) du communisme et que soixante-dix ans de système soviétique a transformé le peuple russe en homo sovieticus bien décrit par Alexandre Zinoviev ?
13 : in Libération, 11 août 2008.