Entre le président de la République et les Français, la rupture semble consommée. Affaire Cahuzac, déplacement de deux jours en province, intervention télévisée : moins d’un an après l’élection présidentielle un ressort semble profondément cassé. Une issue pas vraiment surprenante.
Du décalage entre le discours et les actes
Les Français n’ont sans doute jamais eu une très haute opinion de François Hollande. Il a été élu parce qu’il affrontait un Nicolas Sarkozy très impopulaire, dont la manière d’être et le décalage colossal entre les discours et les actes avaient profondément démonétisé l’action. Seule une campagne très droitière, qui avait hystérisé le débat, lui avait permis de conjurer des sondages désastreux en provoquant une remobilisation de l’électorat de droite, mais sans lui permettre d’espérer gagner.
Lors de son intervention télévisée, le président, comme depuis son élection, a parlé de croissance. Mais les Français ont bien conscience qu’il s’agit d’un vœu pieu, et qu’en réalité, le gouvernement a donné la priorité à la baisse des déficits (l’un n’allant pas avec l’autre, contrairement à ce que quelques analphabètes osent encore affirmer). Il avait promis de ne ratifier le TSCG que si un plan de croissance européen était lancé. Les chiffres pour 2012 et 2013 démontrent bien qu’il ne s’agissait que d’un « pistolet à eau contre un rhinocéros qui charge » pour reprendre l’expression de Paul Krugman.
Et le coup de grâce est arrivé mardi avec les aveux de Jérôme Cahuzac, l’ancien ministre du budget, qui pratiquait la désertion fiscale en Suisse et à Singapour. Quel symbole désastreux pour la première année du mandat de François Hollande ! Faites ce que je dis, pas ce que je fais… Le discours sur la croissance de jeudi dernier sonne tout aussi faux. Car l’immense majorité des mesures du gouvernement la freineront au lieu de la pousser. Il y a fort à parier qu’en fin d’année, il nous refera le coup de la crise plus dure que prévu alors qu’il est le seul responsable de la croissance en 2013.
Des dirigeants et des gestionnaires
Mais en réalité, c’est surtout parce qu’il n’y a pas de véritable politique économique. Ce n’est pas que le gouvernement ne fasse pas des choix, mais il agit comme un gestionnaire ou un comptable au lieu d’agir comme un dirigeant politique. Je n’ai rien contre les comptables, une profession utile. Mais le comptable, s’il peut proposer des décisions, raisonne en général dans le cadre qu’on lui donne, mettant en place des ajustements ça et là que ses dirigeants ont tranchés.
Et c’est un peu cela que fait ce gouvernement (comme le précédent, d’ailleurs). Il ne dirige pas, il gère dans un cadre étroit qu’il refuse de remettre en question (libre-circulation des capitaux, libre-échange, banques centrales indépendantes, pas de monétisation, normes européennes diverses et variées). Ce faisant, économiquement, François Hollande n’est pas un président mais bien plus un administrateur de notre pays qui se fixe des marges de manœuvre extrêmement limitées.
Notre régime de protection sociale est en déficit ? Le gouvernement augmente les taxes et baisse quelques prestations (baisse des allocations familiales, désindexation des retraites). Pas une seconde il n’imaginerait une réforme en profondeur de son mode de financement (ce qui permettrait pourtant de rester dans le cadre actuel) et encore moins de remettre en cause cette anarchie commerciale qui pousse au moins-disant social. Bref, le changement, ce n’est pas pour maintenant.
Ce faisant, François Hollande et son gouvernement ne sont pas les dirigeants de la France, ils n’en sont que des petits comptables, qui essaient péniblement de restaurer l’équilibre des comptes, comme si l’équipage du Titanic refaisait la décoration du pont alors que le bateau coulait…