Clientélisme et déférence. Lundi, le CRIF a publié le compte-rendu de sa rencontre avec le candidat socialiste à l’élection présidentielle. Décryptage.
Le 8 février, le Conseil représentatif des institutions juives de France organisera à l’occasion d’un dîner son rendez-vous traditionnel avec la classe politique. Le Parti socialiste n’a pas voulu attendre cette date pour donner des gages de bonne volonté à ses représentants.
Mercredi dernier, François Hollande recevait à son Q.G. de campagne une « forte délégation » du Conseil « dans une ambiance chaleureuse, conviviale et franche » selon le communiqué du CRIF.
« Je ne laisserai rien passer »,aurait affirmé le candidat socialiste à propos des actes antisémites « et antisionistes », précise le CRIF. Sur la question israélo-palestinienne, François Hollande aurait « souligné que si Israël est l’objet de tant de critiques, c’est qu’il constitue une grande démocratie ».
Pas un mot supplémentaire n’est rapporté par le Conseil ou les communicants de François Hollande pour nuancer -ou contredire- une telle déclaration, atypique dans le discours de la diplomatie française.
La rencontre avec le CRIF n’est d’ailleurs pas évoquée à la date du 25 janvier dans l’agendadu candidat socialiste.
Par ailleurs, François Hollande aurait « confirmé la prochaine visite en Israël de Laurent Fabius » après avoir également rappelé à ses interlocuteurs que « c’est sans doute au PS que l’on trouve le plus grand nombre d’amis d’Israël et du peuple juif ». Le candidat socialiste était alors entouré de Manuel Valls et Pierre Moscovici.
Durant la campagne des primaires, Oummaavait révélé dans son contexte le propos singulier du député-maire d’Evry : « Je suis lié de manière éternelle à Israël ».
Quant à Pierre Moscovici, rescapé du clan strauss-kahnien, il avait également tenu en comité restreint des propos particuliers -car contraires à la neutralité religieuse affichée par le PS- lors d’un débat organisé en 2003 par le cercle Léon Blum : « Si j’ai adhéré au Parti socialiste, en tant que Juif, Français et socialiste, c’est aussi en pensant à Léon Blum. Il faut réfléchir et essayer de savoir pourquoi il se serait battu aujourd’hui.
Or, cet homme s’est battu pour la République, pour la gauche et le socialisme, ainsi que, sur la fin de sa vie, pour le sionisme, porteur à son sens d’une paix pour le Proche Orient ».
Info ou intox ?
Au contraire d’une agence de presse, le compte-rendu publié par le CRIF est nécessairement parcellaire et orienté selon ses positions politiques. Reflète-t-il pour autant la vérité des échanges exprimés ce jour-là ?
En l’absence, à ce jour, de toute réaction de l’équipe de François Hollande, la question de l’authenticité semble ne pas devoir se poser mais une certaine prudence, au regard des pratiques passées du CRIF, s’impose.
En 2005, cet organisme communautaire avait manifesté une volonté de tromper l’opinion publique en prêtant à François Hollande des propos qu’il n’avait pas tenus.
A l’issue d’une rencontre avec celui qui était alors premier secrétaire du PS, le CRIF avait publié sur son site un communiqué, retiré depuis, faisant état du souhait imputé au leader socialiste de « réorganiser le Quai d’Orsay », source « idéologique » de la « politique arabe de la France » et administration caractérisée dès lors par un « problème de recrutement ».
Après plusieurs semaines de polémique sur le Net, notamment sur les sites d’ Europalestineet du réseau Voltaire, François Hollande avait finalement démenti ces déclarations au quotidien Libération, ajoutant que le CRIF avait « voulu utiliser mes propos dans le sens de ses thèses ».
Pour se justifier, les représentants du Conseil avaient simplement évoqué qu’il s’agissait là d’un compte-rendu « elliptique » avec des « raccourcis sortis de leur contexte ».
Le journaliste de Libération, Eric Aeschimann, rapporta la « gêne » du CRIF sur ce sujet mais préféra néanmoins édulcorer l’incident en évoquant des « propos incorrectement reproduits ».
Pas de manoeuvre frauduleuse ou d’instrumentalisation politique comme le laisse pourtant entendre François Hollande : juste une « reproduction incorrecte », suggère délicatement Eric Aeschimann.
Quelques mois plus tard, ce journaliste publiera aux éditions Grasset « Chirac d’Arabie », un essai apprécié par Ivan Rioufol du Figaro et fustigeant, à l’instar du CRIF, les « mirages » de la « politique arabe de la France » conduite par Jacques Chirac entre 1995 et 2006.
Quant à François Hollande, sa déception à l’égard du CRIF sera vite estompée : deux mois après cette clarification, le 27 mars 2006, il sera l’invité du « petit-déjeuner » organisé par le Conseil. Une rencontre plus intimiste que le célèbre dîner annuel qui réunit environ un millier de personnes.
Entre le PS et le CRIF, c’est « je t’aime, moi non plus ». Ainsi, après avoir adressé ses félicitations pour la victoire de François Hollande aux primaires socialistes et reçu, dès le lendemain, le député Julien Dray, le CRIF a dénoncé ensuite l’éviction, par les instances du PS et au profit des Verts, de quatre postulants -censés être juifs- pour les prochaines élections législatives.
Récemment encore, le Conseil s’en est pris au député Jean Glavany, coupable d’avoir utilisé le mot « insultant et mensonger » d’« apartheid » pour qualifier le régime israélien dans sa politique de l’eau au Proche-Orient.
Contrairement au CRIF, le quotidien israélien Haaretzrapporta sereinement et en détail la polémique, précisant que Jean Glavany dénonçait également une « occupation de l’eau » par les autorités israéliennes.
Au-garde-à-vous
Au-delà de ces fluctuations, la rencontre avec François Hollande augure d’un accueil chaleureux lors du prochain dîner du CRIF. Ce rituel devenu quasiment obligatoire pour tous les prétendants à l’Elysée -hormis ceux non conviés du FN, du PCF et des Verts- sera probablement plus agréable pour le leader socialiste que sa visite lors d’une grande festivité organisée jadis par le CRIF.
C’était le 22 juin 2003, à l’occasion d’un évènement intitulé « 12 heures pour l’amitié France- Israël » : aux côtés de Dominique Strauss-Kahn et Michel Sapin, mais aussi de Nicolas Sarkozy, Pierre Lellouche et Benyamin Netanyahou, François Hollande était sur une scène, droit debout, pour soutenir le gouvernement d’Ariel Sharon, vivement critiqué à l’époque dans les instances internationales.
Celui que de nombreux juristes n’hésitaient pas alors à qualifier de « criminel de guerre » -notamment en raison de son rôle dans le massacre de Sabra et Chatila- a vu ses partisans en France organiser cette cérémonie pro-israélienne digne d’une « union sacrée ».
Quelque peu hué au début du rassemblement, l’ex-premier secrétaire du PS aurait « indiqué l’attachement des socialistes à l’Etat d’Israël depuis 1948, et reconnu la tardive prise de conscience de la vague d’antisémitisme par le gouvernement de Lionel Jospin » selon le site Guysen Israël News.
Affiché conjointement dès 2003, ce soutien théâtralisé de Nicolas Sarkozy et François Hollande au régime israélien préfigure finalement l’analyse formulée lors de la convention nationale du CRIF -en novembre dernier- par le politologue Denis Charbit, enseignant à Tel Aviv :« Pas de vote juif aux prochaines présidentielles autour du rapport à Israël, car Hollande et Sarkozy représentent l’aile pro-israélienne dans leur camp respectif.
Il en eut été autrement si Aubry avait affronté Sarkozy ou encore si Hollande avait eu en face de lui Juppé (ou de Villepin) ».