Alors qu’il est beaucoup question d’accords économique entre la France et la Russie, les derniers événements à Florange laissent planer un doute sur le sérieux avec lequel le gouvernement français traite ces questions.
Florange restera, et avec raison, dans les mémoires comme l’un des plus grands échecs du début de quinquennat de François Hollande. Les ouvriers se sont sentis trahis et abandonnés. Mais cela a été aussi un mauvais coup porté à la collaboration économique Franco-Russe.
Les négociations entre le gouvernement français et MITTAL au sujet du site de Florange ont accouché de l’un des plus mauvais accords que l’on puisse imaginer. Il revient à faire confiance au groupe MITTAL pour investir sur une période de 5 ans 180 millions d’Euros (mais dont 127 millions étaient déjà programmés), alors que ce groupe n’a pas exactement bonne réputation sur ce point. La manière dont le groupe MITTAL s’est brutalement désengagé du projet à hautes technologies européen ULCOS, qui devait être mis en œuvre à Florange, prouve que ce groupe n’a nullement l’intention d’investir dans le long terme.
Par ailleurs, si MITTAL s’engage à reclasser les salariés de la « partie chaude » du site de Florange le gouvernement français a très peu obtenu de MITTAL(1), qui va pouvoir continuer de se désengager de son activité de production d’acier pour se désendetter et continuer de se tourner soit vers l’amont (les mines) soit vers l’aval (l’utilisation des métaux).
Il y a avait pourtant une autre solution, représentée par un groupe de repreneurs potentiels de l’ensemble du site, parmi lesquels on comptait le groupe belge Cockerill Maintenance et le groupe russe SEVERSTAL. Une fois encore, un gouvernement français a fait un choix purement financier, au détriment de ceux représentant une logique industrielle. Rappelons qu’en 2006, SEVERSTAL avait cherché à reprendre ARCELOR, pour se voir devancer par MITTAL.
Les méthodes de MITTAL sont, hélas, bien connues. Lors de la privatisation de la sidérurgie Sud Africaine, MITTAL, qui avait racheté environ 80% des capacités de production, n’a pas investi mais a augmenté les prix des produits laminés de 30%, tuant ainsi l’industrie automobile locale(2), et compromettant dans une large mesure la stratégie de développement adoptée par le nouveau pouvoir de Pretoria(3). Ceci a provoqué l’élaboration de règles de plus en plus stricts encadrant la production d’acier.
Dans les faits, le gouvernement de la République d’Afrique du Sud a cherché à se dégager de l’emprise de MITTAL (4). Cet exemple montre bien que, pour MITTAL, seule prime la logique financière de court terme. Le groupe, aujourd’hui très lourdement endetté (plus de 23 milliards de dollars), n’a pas de stratégie dans la sidérurgie. Mais il en a une quant au développement de ses profits, ou plus précisément des dividendes de ses actionnaires, dont la famille Mittal à hauteur de 40%. On conçoit que ce précédent n’incite guère à l’optimisme quant à la pérennité du site de Florange.
Une stratégie de développement des activités « chaudes » (les hauts-fourneaux) était et est parfaitement possible. On sait depuis des dizaines d’années que la production de fonte et d’acier dégage des gaz à hautes températures, qui n’étaient jusqu’à présent que source de pollution. Or, depuis environ dix ans se sont développées des activités permettant la réutilisation de ces gaz, soit pour produire de l’énergie, soit pour développer des productions chimiques à haute valeur ajoutée.
Le haut-fourneau ne doit plus être envisagé comme une entité unique mais comme la pièce centrale d’un ensemble d’activités liées, on peut ici parler de « cluster », dont la somme dégage des profits importants, ce qui contribue à faire baisser fortement le coût de l’acier produit. Contrairement à une idée reçue, la sidérurgie n’est pas une activité du passé, mais une activité d’avenir entraînant dans son sillage des activités connexes à haute technologie. Mais, ceci implique des investissements importants, et une association étroites entre la société productrice d’acier et des sociétés chargées de ces activités connexes.
Les salariés de Florange se retrouvent ainsi piégés par la politique des divers gouvernements français qui ont empêché la mise en place d’une stratégie industrielle véritable sur le site comme en 2006, quand ARCELOR a fait le choix de MITTAL comme repreneur contre le groupe russe SEVERSTAL. Or, il existait à l’époque d’importants accords entre ARCELLOR et SEVERSTAL qui étaient complémentaires sur leurs différentes activités.
Mais, MITTAL a été en mesure de proposer plus d’argent aux actionnaires privés d’ARCELOR, emportant le morceau. Une occasion unique de mettre en place une réelle logique de développement industriel a été perdue à l’époque. Aujourd’hui, en favorisant un compromis boiteux avec MITTAL et en refusant de prendre ses responsabilités, le gouvernement français rend à nouveau impossible l’émergence d’une réelle stratégie industrielle.
Une telle stratégie, qui aurait pu se développer en collaboration avec la Russie, aurait été l’occasion de développer ces activités à haute technologie que l’on a mentionnées ci-dessus. On aurait été dans une logique « gagnant-gagant », avec un maintien et même un développement de l’emploi en France et l’acquisition par SEVERSTAL de la maîtrise de ces technologies de pointe pour pouvoir les réinvestir en Russie.
On connaît l’importance que les autorités russes accordent à une modernisation et une diversification de l’industrie. Avec le développement des activités connexes à la partie chaude du site, c’était tout une filière que l’on pouvait créer. Le gouvernement français, en choisissant la solution proposée par MITTAL n’a pas seulement capitulé en rase campagne devant un financier. Il a aussi fermé la porte à une collaboration fructueuse avec la Russie.
C’est une décision lourde de conséquences, tant en France, qu’en Russie et pour les relations Franco-Russes.
(1) « Florange : "Le Monde" publie le contenu de l’accord secret conclu entre le gouvernement et ArcelorMittal »
(2) Fine B. and R. Rustormjee, The Political Economy of South Africa – From Mineral-Energy Complex to Industrialization, London, Hurst & Company, 1996.
(3) Department of Trade and Industry (DTI), Accelerating Growth and Development – The Contribution of an Integrated Manufacturing Strategy, Pretoria, 2002
(4) Roberts S. et N. Zalk, “Addressing market power in a small, isolated, resource-based economy : the case of steel in South Africa”, Centre on Regulation and Competition, 3rd International Conference, 7- 9 Septembre 2004. Nimrod Zalk était directeur du Strategic Competitiveness Unit dans le Department of Trade and Industry (DTI), Pretoria.