Nous avons proposé à nos lecteurs notre propre analyse du débat tant attendu du second tour de l’élection présidentielle qui a eu lieu ce mercredi 20 avril. Fidèles à notre tradition d’enrichissement du débat, de l’élévation du niveau d’intelligence, mais aussi de notre propre ligne transversale qui par sa nature même ne se limite pas à des réflexions sclérosées ou des positions figées, nous proposons ici une lecture plus technique du débat qui semblera peut-être plus critique, plus incisive. Cette ouverture intellectuelle nourrit le débat et grandit l’esprit.
Ce débat, beaucoup l’attendaient, surtout dans le camp national, comme une revanche possible de 2017, mais surtout comme la possibilité de venger un peuple meurtri, martyrisé pendant cinq longues années. Une abréaction salutaire diraient les psychologues, une catharsis judiciaire répliqueraient les juristes. Ce débat n’était pourtant pas un procès, mais il y avait cependant un mémoire en défense à faire. Celui d’un homme avec un bilan. Mais cet homme est un homme habile, un malin dans son sens étymologique.
Aussi, dans un retournement rhétorique subtil, c’est lui qui, systématiquement, renvoya son adversaire Marine Le Pen dans les cordes : c’est elle qui avait un bilan, celui de ses votes antérieurs à l’Assemblée nationale, celui de ses propos, de ses tweets, de ses sorties, de ses fréquentations, de ses prêts bancaires. Marine Le Pen, pourtant sans responsabilité politique aucune, se retrouva sommée de se défendre, de s’expliquer. Et elle sembla ne jamais avoir eu la présence d’esprit de se rappeler que, parfois, la meilleure défense est l’attaque. Lorsque Emmanuel Macron lui lance sournoisement « La Russie est votre banquier », que n’a-t-elle répondu du tac-au-tac : « Et vous, M. Macron, qui est votre banquier ? »
Jean de La Bruyère avait résumé en quelques mots les Macron de son époque : « À quelques-uns l’arrogance tient lieu de grandeur ; l’inhumanité de fermeté ; et la fourberie, d’esprit. » Des siècles ont passé et nous voilà guère avancés. Face à ce technicien, ce technocrate même, il fallait, à défaut de gagner le débat, rendre justice à ces millions de Français méprisés. L’histoire aurait retenu Marine Le Pen comme avocate des silencieux, de ces sans-dents du président Hollande, alors qu’elle retiendra un débat sans éclat et une candidate qui n’aura jamais appuyé là où ça fait mal chez son adversaire, et Dieu sait si les sujets ne manquaient pas !
Tout d’abord, l’actuel locataire de l’Élysée a beaucoup menti. Mais il a menti avec aplomb, usant à la fois de la force d’une rhétorique d’autorité qui asséna ses contre-vérités sans faiblir, mais aussi de l’absence totale de l’éternel fact-checking décidément bien muet ce soir-là. Marine Le Pen connaissait-elle ses dossiers ou a-t-elle laissé dire, terrorisée par l’idée de passer pour extrémiste ou agressive, comme son équipe de communication a dû lui rappeler sans cesse ces derniers jours, angoissée par un bis repetita de 2017 ?
Laurent Jacobelli (@ljacobelli), porte-parole du RN : "Emmanuel Macron a menti à tour de bras" pendant le débat pic.twitter.com/WvPEOeAQwW
— BFMTV (@BFMTV) April 21, 2022
Charles-Henri Gallois a décortiqué pas moins de 14 mensonges éhontés déclamés sans sourciller par Emmanuel Macron. Le tweet suivant et la longue discussion de tweets (cliquer pour les voir) qui s’ensuivent les rappellent par le menu :
[FIL À DÉROULER] Liste non exhaustive des fausses informations de Macron lors du #DébatMacronLePen
1/ Sa belle-fille s’est battu avec le Ministre de Macron pour qu’il n’y ait pas d’éoliennes au Touquet où il va en vacances. pic.twitter.com/xiVRctgLI3
— Charles-Henri Gallois (@CH_Gallois) April 21, 2022
Où sont passés tous les scandales de la Macronie ? L’affaire McKinsey par exemple, qui éclaire les collusions privé/public et a coûté une fortune au contribuable (près d’un milliard, une paille !) en plus de rendre inutiles des hauts fonctionnaires, pourtant rémunérés par ailleurs. Le mot n’a été lâché incidemment qu’une seule fois au détour d’une réponse, laissant son interlocuteur Emmanuel Macron étonné lui-même que l’affaire ne fut pas encore utilisée par son adversaire. Elle ne le sera jamais.
On évoqua en revanche l’immigration et les demandeurs d’asile. Marine Le Pen ne pouvait-elle pas rappeler aussi que, non contente de ne jamais renvoyer les déboutés d’asile dans leur pays d’origine (les fameuses OQTF), la France se grandirait à accueillir de vrais réfugiés politiques comme Julian Assange ou Edward Snowden ?
Que n’a-t-on parlé du Covid-19 et de l’effroyable gestion sanitaire qui dura 2 ans ? Bien sûr, il ne s’agissait pas de faire peur aux covidiots, très nombreux en France, mais ne pouvait-on pas pointer du doigt certaines faiblesses évidentes et qui ne font pas débat ? L’absence de masques par exemple, l’inexistence d’un vaccin français (la société Valneva ira le vendre en Grande-Bretagne !), le port du masque abusif chez les enfants, le pass sanitaire et, pire, le pass vaccinal, qui fabriquèrent des citoyens de seconde zone, un véritable apartheid légal, l’odieuse sanction contre les soignants non vaccinés laissés sans salaire aucun (ce seul point a été rapidement abordé par Marine Le Pen), la gestion des EHPAD où on laissa mourir les personnes âgées dans une solitude honteuse (quand on ne les achevait pas à coups de Rivotril), etc. Il y avait tant à dire sans prendre le risque de prêter le flanc au complotisme !
Plus loin de nous, les deux années de Gilets jaunes, méprisés, maltraités, molestés par le pouvoir, et son cortège de mutilés et d’éborgnés, cette communauté de Français qui représentent pourtant, si l’on ne s’arrête qu’à cette sordide comptabilité électorale, un vivier de voix du RN et de La France insoumise, pourquoi n’en a-t-on pas fait mention ? Pourquoi ne pas avoir passé le président sortant au gril de questions saignantes qui auraient rappelé comment celui-ci n’a ni répondu à aucune de leurs attentes mais les a de surcroît méprisés et violentés ?
Pourtant pic.twitter.com/OX4xkaCGa9
— Paris SG 1970 (@sg_ultras) January 22, 2019
La peur de passer pour une dangereuse complotiste, ou celle peut-être de se retrouver perdue dans un combat de boxe où elle aurait dû montrer un visage offensif pouvant basculer négativement pour elle, a figé Marine Le Pen dans une posture de Mère de la Patrie, sage et raisonnable. On imagine que son staff l’a spécifiquement briefée pour une telle posture, visant à rassurer, en particulier les seniors ou plus généralement les électeurs qui voient encore chez elle un dictateur en puissance. C’est à notre sens une erreur.
En effet les électeurs boomers (les plus de 65 ans) sont définitivement perdus dans un vote Macron qui conserve (croient-ils !) leurs acquis et propose aux Français plus jeunes de travailler davantage en repoussant la retraite à 65 ans, permettant égoïstement de payer la leur !
L’électorat qu’il fallait aller chercher c’était l’électorat mélenchoniste, bien sûr. Pas le bobo, le prof d’université ou le woke LGBT, mais bien plutôt l’électeur insoumis qui pense social, qui réfléchit économie, pouvoir d’achat, mais aussi rapport de classe riches/pauvres, celui qui était sur les ronds-points, demande le RIC (le RIP), etc. Il fallait donc être bien plus offensif sur tous ces sujets, et Dieu sait si avec le bilan Macron il n’y avait qu’à se baisser pour cueillir les sujets à critiques, les affaires et les scandales ! (et ne pas se perdre sur le sujet à la fois hautement périlleux et très secondaire de l’interdiction du voile)
— Eric Zemmour (@ZemmourEric) March 14, 2022
Plus que challenger, Marine Le Pen était l’outsider du débat. Non seulement elle était la personnalité seconde de ce débat, mais elle était surtout la moins favorite. Dès lors, une posture de neutralité bienveillante, de femme humaine, ne pouvait pas renverser ce rapport d’infériorité sondagière. Comme le joueur de poker qui n’a plus rien doit faire tapis, seule l’attaque permettait de grappiller les 3, 4 ou 5 % qui lui manquent. Au risque d’en perdre 5 ou 10, comme ce fut le cas en 2017. Certes. Mais, perdue pour perdue, dans cette position précise d’outsider, l’attaque reste la meilleure défense.
Chaque camp est persuadé d’avoir gagné le débat, mais il est plus probable que personne ne l’ait gagné en définitive. Ainsi, Marine Le Pen, dès le lendemain, est retournée à sa campagne sur le terrain et se fait plaisir à serrer des mains. Sa popularité dans la France rurale, des petites villes, celle des gens modestes et des travailleurs, est réelle. Mais la popularité ne fait pas l’élection, Éric Zemmour l’a appris à ses dépens.
Je suis si heureuse de vous retrouver ici à Arras pour ce dernier meeting avant la grande victoire !pic.twitter.com/MsTN0CMMxx
— Marine Le Pen (@MLP_officiel) April 21, 2022
Toutes ces critiques ne nous empêcheront pas de voter contre Emmanuel Macron. Même si nous préférerions une opposition avec davantage de burnes, ce sont bien les urnes qui dimanche accueilleront notre bulletin de vote.
L’analyse du débat présidentiel par Fabrice Di Vizio et Idriss Aberkane :
Cité par Di Vizio et Aberkane, le débat d’entre deux tours de 1988 opposant Jacques Chirac et François Mitterrand est à voir ou à revoir. Deux immenses bêtes politiques s’affrontèrent, deux immenses roublards qui vont s’écharper dans la plus grande courtoisie de façade, une langue française parfaitement maîtrisée et une intelligence logomachique redoutable.
Las, notre époque est à la médiocrité, la comparaison avec le débat d’avant-hier le rappelle. Mais, à défaut d’intelligence et de rhétorique, ce dont nous avons surtout besoin aujourd’hui, ce sont des actes forts, des choix décisifs. Et de l’humanité qui a beaucoup manqué à un gouvernement brutal qui aura fracturé la France de toutes parts.