Vols et violences bondissent dans la capitale et Anne Hidalgo prépare sa défense en tirant à boulets rouges sur les décisions du gouvernement en matière de sécurité. Des policiers interrogés, eux, déplorent la philosophie sécuritaire actuelle.
Selon un article publié dans le journal Le Monde ce 20 juin, la délinquance et les violences sont en forte hausse dans la capitale française. L’épisode récent d’une rixe générale le 16 juin au niveau de la porte de Saint-Ouen au bord du périphérique entre deux bandes rivales a mis le feu aux poudres. Un jeune homme de 18 ans a reçu un coup de couteau au niveau de la cuisse. Deux jours plus tôt, une prostituée avait été poignardée dans le bois de Boulogne pour son sac à main. Le lendemain, un masque africain d’une valeur de plus de 300 000 euros a été dérobé dans une salle des ventes en plein VIIIe arrondissement de Paris. « Le voleur est reparti à pied », précise le quotidien.
Au fil des faits divers, la colère des Parisiens augmente et l’Hôtel de ville, dirigé par Anne Hidalgo, ne l’ignore pas. Son adjointe déléguée à la sécurité, Colombe Brossel, interrogée par le journal, s’écrie ainsi : « Tous les indicateurs sont au rouge, c’est ahurissant ! » Même son de cloche pour la nouvelle directrice de la DSPAP (Direction de la sécurité de proximité de l’agglomération parisienne), Valérie Martineau qui a remplacé Frédéric Dupuch en mars 2018 :
« Les chiffres sont effectivement assez mauvais, la situation est compliquée. [...] Le plus problématique, c’est la forte dégradation de la physionomie de la voie publique et des transports, avec le développement de trafics qui emplissent l’espace. [...] On constate notamment, chiffres à l’appui, qu’il y a eu un effet important des vagues migratoires et de la présence des mineurs non accompagnés. Cela a aggravé les phénomènes de délinquance. »
Et au-delà des chiffres liés aux violences commises en marge des rassemblements des Gilets jaunes qui font gonfler les statistiques, le problème de la délinquance ordinaire semble effectivement bien installé : les vols à la tire ont bondi de 37 % en un an, les vols de deux roues ont grimpé de 34 % et les vols avec violence de 7 %, tandis que les cambriolages ont augmenté de 11 %.
Colombe Brossel assure au Monde qu’il lui a fallu mener son propre « petit travail d’enquête » pour accéder à ces données qui ne sont plus fournies aux élus par la préfecture de police depuis l’automne 2018 et elle déclare : « Ces chiffres sont très inquiétants, parce qu’ils signifient que les réseaux se reconstituent. »
Les associatifs locaux des zones sensibles de la capitale livrent un constat similaire. Contacté par Le Monde, l’un d’eux, qui s’occupe du quartier de Barbès, déplore : « Au-delà des petits dealers de shit, on a vu apparaître un marché du gros et du demi-gros, des drogues plus dures, et les pickpockets sont devenus violents. »
La Mairie de Paris dénonce un choix politique de la part du gouvernement qui aurait érigé le maintien de l’ordre en priorité absolue avec les scènes violentes du saccage de l’Arc de triomphe en décembre 2018 et celui du Fouquet’s en mars 2019. Citée par Le Monde, Colombe Brossel diagnostique ainsi : « Certes, il fallait empêcher que les scènes d’émeute urbaine se reproduisent, mais le maintien de l’ordre ne peut pas s’effectuer au détriment de la sécurité des habitants. »
Les collectifs et associations de police avaient déjà constaté une dégradation
Dès le 29 janvier 2019, un membre du Collectif autonome des policiers d’Ile-de-France interrogé par RT France déplorait :
« En banlieue les consignes sont de faire attention pour assurer une certaine paix sociale. [...] D’ailleurs, je remarque qu’en ce moment, dans les banlieues, c’est plutôt tranquille et la raison est simple : on ne dérange pas trop le trafic depuis le début de la crise sociale. »
Un autre policier membre de ce même collectif estimait également le 16 mai 2019 :
« Comme nous n’occupons plus le terrain, les délinquants ne veulent plus voir un seul flic, ils veulent la place libre et nette et ça donne ce genre d’événements, des collègues caillassés et des cocktails Molotov qui volent sur les véhicules de police. Il ne faudra pas se plaindre que les trafics de stups et de voitures volées battent leur plein à l’avenir ! Les petits délinquants de banlieue s’en foutent des Gilets jaunes, mais ils ont bien capté le changement dans les rapports entre police et population qui en découle. Ils ont compris le signal. Mais ça, il semble que le ministère de l’Intérieur et les syndicats de police s’en foutent. »
Contacté par RT France ce 20 juin, le porte-parole de l’Union des policiers nationaux indépendants (UPNI), Jean-Pierre Colombies, souligne que le ver était selon lui dans le fruit dès 2003 :
« On a tué la police de proximité, j’ai vu le meurtre en direct et dans cette police nouvelle, on ne raisonne qu’en termes statistiques et budgétaires. Nicolas Sarkozy est arrivé en se posant comme un cador et affirmant que tous ces flicards qui jouaient au ballon, il allait les remettre au boulot. »
La séquence est devenue célèbre : le 3 février 2003, le futur président de la République, qui était alors ministre de l’Intérieur sous Jacques Chirac, visitait le quartier du Mirail à Toulouse et brocardait la police de proximité qu’il qualifiait de « patrouilles conviviales et sympathiques », tout en assénant : « La police n’est pas là pour organiser des matchs de rugby dans les quartiers mais pour arrêter les délinquants ! »
Jean-Pierre Colombies, ancien officier de police syndicaliste depuis reconverti dans le secteur associatif, n’a pas oublié :
« Mais ce n’était que le pitch du film, ça ! La réalité, c’est qu’il [Nicolas Sarkozy] avait comme mission, impulsée par des oligarques de Bercy [ministère de l’Économie et des Finances], de déstructurer cette institution police qui coûtait cher et de réduire considérablement les effectifs. Il fallait réduire les coûts, ça a été dit ! Des commissaires m’ont dit les yeux dans les yeux à l’époque que la police serait dorénavant gérée comme une entreprise privée et cette volonté n’était même pas dissimulée. »
L’ancien policier revient également sur les différentes réformes qui ont rythmé la vie de la sécurité publique depuis l’ère de François Hollande et estime que le domaine du politique a voulu légiférer « par le petit bout de la lorgnette sans tenir compte des professionnels de la police ». Il en prend pour preuve « la correctionnalisation des clients des prostituées » décidée selon lui « pour faire plaisir à deux députés, contre l’avis de la Direction générale de la police nationale » et la création des zones de sécurité prioritaire (ZSP) lorsque Manuel Valls était à Beauvau, ce qui n’a eu pour effet, à en croire Jean-Pierre Colombies, de ne faire que déplacer la délinquance d’un quartier à l’autre au gré des placements en ZSP de tel ou tel secteur des grandes villes.
Jean-Pierre Colombies lâche donc, navré :
« Avant il y avait "la peur du gendarme", mais aujourd’hui, comment craindre quelque chose qu’on ne voit pas ? Dans l’affaire de Lorient, on voit un jeune de 20 ans qui passe pour un grand caïd local et qui tue un gosse avec la voiture de sa mère après s’être soustrait à un contrôle routier. Ces personnes croient à leur impunité, mais il faut savoir que des Killian, il y en a des centaines [du nom du suspect dans l’affaire de Lorient où un enfant a été tué et un autre gravement blessé] et tant qu’on ne mettra pas en place des solutions d’ensemble qui associent toute la chaîne pénale, tout ce qui sera fait ne reviendra à rien. La politique policière doit être corrélée à une politique judiciaire cohérente avec une vraie réponse pour les citoyens qui sont trop souvent oubliés par une certaine frange de la magistrature. »