Aux États-Unis, on peut acheter des tests génétiques pour connaître ses ascendants biologiques. La sociologue Alondra Nelson a étudié la façon dont les Afro-Américains s’en emparent pour repenser leur identité.
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N’y a-t-il pas là le retour d’une idée biologique de l’identité, dangereusement proche du racisme ?
Les sociologues ont été d’emblée très critiques sur ces tests, qui recréaient, selon eux, des catégories raciales et reproduisaient une vision très essentialiste de la race. C’est en partie vrai, mais cela présuppose que les gens recevraient les résultats des tests comme une définition figée d’eux-mêmes à laquelle ils se conformeraient. Or l’identité est un processus social complexe. Les gens intègrent les résultats des tests comme une composante possible de leur identité, comme les histoires de famille, les archives…
Quant au racisme scientifique, j’y pensais beaucoup au début de mon enquête. Mais les gens m’ont dit : « Nous savons qu’il y a un risque de racisme scientifique avec ces méthodes génétiques, mais elles peuvent aussi nous donner des informations que nous ne pourrions avoir autrement. Nous choisissons, en toute conscience, de courir le risque ».
Ces entreprises privées n’exploitent-elles pas le traumatisme historique de l’esclavage et le désir des gens d’en faire sens ?
Je le pensais au départ. Mais beaucoup de gens ont une compréhension très fine de ces tests : ils comparent les différentes méthodes employées par les entreprises, analysent ce qu’elles disent à leur propos, lisent les revues scientifiques… Quand des gens sont si impliqués et informés, on ne peut pas parler d’exploitation.
Les tests ADN sont aussi utilisés par les activistes demandant des « réparations » : la compensation du préjudice collectif subi par les Afro-Américains avec l’esclavage.
En 2002, dans un procès historique, l’activiste Deadria Farmer-Paellmann a poursuivi en justice plusieurs multinationales ayant édifié en partie leur fortune sur l’esclavage, demandant réparation. Selon la loi américaine, les plaignants doivent prouver qu’ils sont les descendants directs des personnes ayant subi le préjudice pour que la plainte soit recevable. C’est un obstacle insoluble pour les Afro-Américains car dans la plupart des cas, les documents ont été détruits ou n’ont jamais existé.
Pour la première fois, dans ce procès, les plaignants ont utilisé les tests génétiques pour prouver leur lien de parenté avec d’anciens esclaves venus d’Afrique. Le tribunal a rejeté ces preuves comme insuffisantes, arguant qu’elles indiquaient un pays d’origine mais pas un lien de parenté avec un individu précis. Mais cette affaire a été un tournant : elle a montré que ces tests pouvaient être utilisés dans des luttes pour la justice sociale et la réparation d’injustices passées et présentes.