Les prolongations de l’état d’urgence se succèdent à la suite d’une série d’attentats. Le nouvel état d’exception, justifié par un massacre précédent, est pourtant incapable de faire face aux nouvelles tueries. C’est pourtant son efficacité présupposée qui justifie chaque prolongation, installant, à chaque fois, de nouvelles mesures attentatoires aux libertés. Dans les faits, les dispositifs liberticides ne suivent pas les massacres, mais anticipent largement ceux-ci. Les premières mutations du code pénal et de procédure pénale, permettant de soumettre les citoyens français à dispositions relevant du contre-espionnage, c’est-à-dire à des mesures qui autrefois étaient réservées aux ennemis du pays, datent du début des années 2000.
Une compulsion de répétition
La Loi d’Orientation et de Programmation de la Sécurité Intérieure (LOPSI 1) de 2002 donne déjà à la police l’accès, à distance, aux données conservées par les opérateurs et les fournisseurs d’accès Internet, et annulent le contrôle judiciaire. Vont se succéder un ensemble de législations, réactivant les mesures précédentes déjà prises et allant toujours plus loin dans la possibilité de traiter les citoyens français comme des ennemis. La LOPSI 2 de 2011, comme la loi sur le Renseignement de 2015, témoignent de ce processus qui consiste à répéter inlassablement aux Français qu’ils n’ont plus la propriété d’eux-mêmes et que les attributs de leur personne sont à la disposition de l’Etat. S’installe ainsi une nouvelle manière de gouverner qui signifie aux citoyens que les prérogatives du pouvoir deviennent absolues et que l’Etat de droit n’est plus à l’ordre du jour.
Les lois de prolongation de l’état d’urgence sont également des législations qui transforment le droit pénal. Dans les faits, elles légalisent des dispositifs d’espionnage déjà en place, lesquels sont maintenant justifiés par l’objectif affirmé d’éviter des attentats. Ces derniers ne sont pas le moteur de la mutation de la forme d’Etat, mais apparaissent plutôt comme sa résultante. Elles ajoutent la peur comme moyen de rompre tout lien social et, ainsi, d’organiser l’omnipotence du pouvoir. Ce n’est plus seulement le renoncement à leurs libertés et aux attributs de la propriété de soi, comme celle des données personnelles, qui est demandée aux citoyens, mais bien l’abandon de leur propre vie, en cédant leurs Habeas Corpus, le droit de disposer de leur propre corps. Chaque nouvel attentat et son corollaire, un nouveau prolongement de l’état d’urgence, fonctionne comme une compulsion de répétition, comme « l’éternel retour » des attentats précédents et du rappel des signifiants associés, islamisme, jihad, guerre des civilisations. Comme rien dans les attentats précédents n’a été collectivement confronté, quelque chose se répète, à travers chaque nouvelle tuerie. Ce qui a été forclos du langage et de la raison réapparaît dans le réel comme élément d’une compulsion de répétition. La violence et le signifié associé de la guerre des civilisations, ne doivent pas être oubliés. Ce qui anéantit le lien social, ne doit pas être refoulé, mais répété infiniment, afin de coloniser notre vie.
Une nouvelle prolongation de l’état d’urgence
Lors de son allocution du 14 juillet, le Président de la République avait annoncé la fin de l’état d’urgence à la date du 26 juillet 2016. Le chef de l’Etat concluait en ces termes : « On ne peut pas prolonger l’état d’urgence éternellement, cela n’aurait aucun sens. Cela veut dire que nous ne serions plus une République avec un droit qui pourrait s’appliquer en toutes circonstances [1] ». Cependant, suite au massacre du 14 juillet à Nice, le président Hollande a de nouveau prolongé l’état d’urgence pour six mois. Rappelons qu’un premier état d’urgence de 12 jours avait été proclamé, au lendemain des attentats de Paris du 13 novembre 2015, et avait déjà été prolongé de trois mois par la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015. Une nouvelle période de trois mois s’est ensuite ajoutée, grâce à la loi 2016-162 du 19 février 2016 et venait à échéance le 26 mai. Elle a été prolongée de deux mois supplémentaires par la loi n° 2016-629 du 20 mai 2016. Malgré l’évidente inefficacité de cette mesure qui n’a pu empêcher le massacre du 14 juillet, elle vient encore d’être prorogée de six mois, par la loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016.
L’état d’urgence comme outil de transformation du code pénal
Ainsi, le gouvernement s’installe dans l’état d’urgence permanent, malgré l’adoption d’une législation, présentée comme un moyen de sortir de cette situation d’exception, la loi de réforme pénale « renforçant la lutte contre le terrorisme et le crime organisé, [2] » promulguée le 3 juin 2016. Cette loi permet de faire fonctionner différentes mesures relevant de l’état d’urgence, sans que ce dernier soit déclaré.
Parmi les quatre législations prolongeant l’état d’urgence, deux sont importantes, la loi du 20 novembre 2015 [3] et celle du 21 juillet 2016 [4]. La première modifie profondément différentes dispositions de la loi de 1955, en ce qui concerne les conditions de l’assignation à résidence et les modalités des perquisitions, en donnant, à la police et au Parquet, une marge d’interprétation quasi illimitée, car elle permet de poursuivre non seulement des actes, mais aussi des intentions. La seconde loi apporte une nouvelle fois quelques modifications en matière de perquisition. Elle durcit l’arsenal pénal, puisque plusieurs de ses dispositions d’allongement des peines a vocation de s’appliquer en dehors de l’état d’urgence et, surtout, elle installe une surveillance numérique de masse.
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