La télé, ça vous change un homme. Il y a quelques années, du temps où il formait un duo de choc avec Éric Zemmour, Éric Naulleau avait un franc-parler réjouissant qui le mettait en porte-à-faux avec l’aristocratie contemporaine, ceux qu’on appelle les beautiful people, les autres étant d’une laideur repoussante. Aujourd’hui, rattrapant le temps perdu, il travaille comme un fou pour le Système avec le zèle des nouveaux convertis.
Et un pacte faustien, un !
Peu à peu, le chroniqueur dont le métier était d’éditer des livres étrangers, ce qui est très noble, a fait son bonhomme de chemin dans le PAF et s’est vu confier d’autres chroniques, puis un poste de présentateur. Et là, tout a changé : l’homme de gauche véritable qui aimait coincer les puissants ou les tartufes est devenu lui-même, à son échelle, un puissant et un tartufe. Il défend désormais le Système qui l’a fait roi, enfin roi dans son petit périmètre, celui que Cyril Hanouna veut bien lui laisser dans Balance ton post !, l’émission hebdomadaire de débats (ou plutôt de clashs) de C8.
Il conserve son poste de coanimateur dans Z&N sur Paris Première où il peut donner libre cours à son penchant systémophile. Le reniement est spectaculaire. En conséquence, tout ce qui ressemble à un contestataire, à un révolutionnaire ou plus prosaïquement à un pauvre est ressenti comme une menace par cet ex-pauvre. C’est ce qu’il révèle en substance – un argument faiblard – à un vrai pauvre habillé en gilet jaune.
N’acceptant pas de se faire traiter de « nanti », Naulleau déborde de mépris :
La réussite c’est ça, quand on découvre son propre mépris de classe, un syndrome qui touche tous les happy few cyniques qui touchent du gros argent à la télé. Mais n’exagérons pas : Naulleau ne gagne pas autant que Ruquier ou Hanouna, ses employeurs d’hier et d’aujourd’hui. Pourtant, il n’en faut pas beaucoup pour faire basculer l’esprit d’un homme dans la saloperie au sens sartrien, c’est-à-dire la trahison des gens, des non nantis, des pauvres.
À l’occasion de son 58e anniversaire, Télé-Loisirs a interviewé le nouveau riche.
« Quel bilan tirez-vous de ces premiers mois comme chroniqueur dans Balance ton post ! ? »
« Je m’y sens très bien ! Hanouna fait partie des meilleurs animateurs que j’ai pu voir à l’œuvre, avec Ruquier, Ardisson, Courbet... Il fait partie de cette aristocratie des très grands animateurs. Je prends beaucoup de plaisir à faire cette émission, et le public a l’air de suivre, donc le bilan est très globalement positif. Je n’ai aucun regret, et encore moins de remords. »
Ça, du remords, il n’en a pas ! Il se vautre même dans son nouveau rôle avec la délectation factice de celui qui sait qu’il trahit. Mais il y a un plaisir dans la perversion, tous les grands salauds le savent.
On le voit, Naulleau fait partie du Système, c’est un petit employé fraîchement monté en grade et comme tous les serviteurs qui veulent plaire à leur maître, il sèche avec zèle tous ceux qui conspuent cette oligarchie qui fait régner l’injustice en France.
Démonstration ici, en face du député LFi Adrien Quatennens, où Naulleau se prend pour celui qui délivre la licence républicaine en vertu d’un pouvoir divin :
« Et je vous le dis droit dans les yeux, pour arriver à une situation pareille, il faut que chacun y ait mis du sien. Et le parti que vous représentez et d’autres n’ont pas cessé de jeter de l’huile sur le feu. Vous n’êtes pas un républicain, vous êtes un de ces vautours qui essaient de gratter quelques voix sur le malheur des gens. »
Manu la tremblote, sors de ce corps !
Dans la séquence qui suit, Naulleau bascule dans le syndrome de l’animateur arbitre, ou animateur juge. La position de pouvoir que donne la puissance de l’exposition télévisuelle fait souvent perdre toute mesure :
Que Naulleau se rassure, ce retournement d’esprit est arrivé à d’autres. Quand Guy Carlier a été casté par Fogiel en 2004 pour lire ses médiocres billets sur les invités de l’émission On ne peut pas plaire à tout le monde, il s’est lui aussi cru détenteur d’un pouvoir divin, celui de dire le bien et le mal, de punir ou de pardonner. Le milieu l’a alors puni et il a beaucoup pleurniché, appelant ici et là ses victimes télévisuelles pour s’excuser... en privé. Après avoir explosé en plein vol et fait quelques allers et retours en clinique, son melon a dégonflé et Guy s’est montré plus discret.
Moralité : tous les ambitieux qui sont utilisés pour faire le sale boulot pour le Système – mépriser le peuple et lui ordonner de rester à sa place – sont encore plus méprisés que le peuple en question et finissent immanquablement dans la poubelle des maîtres.