L’acceptation de l’initiative « Contre l’immigration de masse » en Suisse a suscité de nombreuses réactions à travers toute l’Europe. Il y a un réel fossé entre les peuples, qui voient dans leur majorité le résultat de cette votation de manière positive, et l’élite européenne qui a réagi de façon menaçante à l’égard de la Suisse. Le politicien suisse Dominique Baettig (UDC) nous livre son analyse.
Alimuddin Usmani : Comment expliquez-vous l’acceptation de l’initiative alors que toute la gauche, les partis bourgeois et les milieux économiques étaient mobilisés pour la faire échouer ?
Dominique Baettig : Il s’agit d’une divine surprise. Contre la droite de l’économie globalisée et la gauche des valeurs sociétales (pour qui être protectionniste en économie équivaut à être raciste ou xénophobe), il s’est trouvé une alliance large de sensibilités contre la démesure et les abus du développement économique illimité. Une initiative somme toute assez modérée dans ses revendications (plafonnement de l’immigration, création de contingents en fonction des besoins de l’économie, introduction de la notion de préférence nationale pour l’emploi) a trouvé une résonance dans d’autres milieux de sensibilité localiste, écologique, de victime de la sous-enchère salariale et de la préférence étrangère (frontalière) systématique à l’emploi.
La mouvance nationale-libérale de l’UDC a pu ainsi créer des alliances significatives avec des écologistes, des PME maltraitées par l’économie globale (incarnée par Économie Suisse) et des souverainistes qui supportent de plus en plus mal l’arrogance de l’Union européenne, qui a de moins en moins d’inhibition à exercer pression et chantage sur les autorités suisses et la population, qui se sent « mobbée ».
Des travailleurs aussi, d’habitude plutôt clients de la gauche, en ont eu assez de se voir dénigrés par les représentants de l’économie globalisée, qui préfèrent dans leurs discours systématiquement le travailleur migrant : plus mobile, plus créatif, plus nombreux, plus sensible aux économies hors sol genre start-up, libéré des valeurs « isolationnistes » et qui sentent trop les valeurs locales et le terroir. La gauche syndicaliste a renoncé complètement à défendre les forces de travail indigènes et préfère toucher les royalties de l’implantation d’entreprises multinationales en Suisse, qui laissent tomber quelques miettes de la table pour la population locale sous forme d’impôts.
La Suisse a peu de moyens politiques de défense et a accepté des accords bilatéraux où il est évident qu’elle rend service à ses voisins européens et à leur économie actuellement en voie de décomposition progressive. Tout le monde le sait en Suisse mais la classe politique, en position de faiblesse, accepte de faire profil bas, ce dont Bruxelles ne lui tient d’ailleurs aucun gré. Les valeurs typiquement suisses : démocratie semi-directe, fédéralisme, économie de proximité, stabilité juridique, subsidiarité contribuent à la prospérité sociale, culturelle et économique de ce pays. L’Union européenne, avec son gigantisme, sa distance arrogante vis-à-vis des citoyens de base, son dogme discutable de la libre circulation comme valeur absolue, est de plus en plus perçue comme un danger. Les citoyens de base ne croient plus les belles paroles et les belles promesses de la globalisation et de l’économie multinationale.
La victoire de cette initiative s’inscrit dans la suite de l’initiative Minder contre les rémunérations abusives et les parachutes dorés des tops managers et celle du renvoi des criminels étrangers. D’autres batailles s’annoncent (pour des salaires minimaux décents et les méfaits de la croissance à tout prix). J’espère que l’UDC saura capitaliser aussi en direction d’autres forces indispensables à la protection sociale et à la défense du modèle suisse (droite des valeurs et gauche du travail).
La réaction de certains dirigeants et politiciens européens oscille entre menaces et accusations envers la Suisse. Le ministre des Affaires étrangère français Laurent Fabius a dit que le vote est une « mauvaise nouvelle à la fois pour l’Europe et pour les Suisses puisque la Suisse refermée sur elle-même, ça va la pénaliser ». José Manuel Barroso affirme que le « oui » aura des sérieuses conséquences pour la Suisse. Le président du Parlement européen, Martin Schulz, de son côté, fait savoir que « l’UDC a fait appel aux plus bas instincts ». La réaction la plus excessive est sans doute venue de Daniel Cohn-Bendit, qui n’a pas hésité à faire une reductio ad hitlerum dans une analogie douteuse avec les années 30. Que pensez-vous de ces réactions ?
Les réactions hystériques des « forces de l’Arrogance » témoignent d’une part de la méconnaissance du système démocratique suisse et d’un profond mépris du scrutin universel. Ces technocrates non-élus de Bruxelles, ces ministres bellicistes et interventionnistes dans le monde entier (par menaces de sanction et/ou d’interventions militaires), mauvais acteurs du psychodrame vieillot de l’antifascisme, ont de nouveau perdu une belle occasion de se taire. Qualifier la démocratie directe et les besoins légitimes protectionnistes de bas instinct ne peut qu’aboutir à son contraire et renforcer les courants souverainistes qui pointent partout en Europe et dans le monde.
La dernière fois que le peuple français a eu l’occasion de participer à un référendum, c’était en 2005. Le Parlement français n’avait finalement pas respecté la volonté populaire de refus de la Constitution européenne. La votation en Suisse n’a-t-elle pas ébranlé les fondements de l’Union européenne et mis en lumière son côté anti-démocratique ?
Bien sûr le système suisse, tout menacé qu’il soit, incarne un potentiel de forte résistance spirituelle et morale contre la dictature de l’Union européenne et de l’économie globalisée. C’est pour cela que la classe politique enrage et menace. Encore heureux que Fabius, Barroso, Schulz n’aient pas organisé en Suisse des manifestations violentes pour, comme en Ukraine, imposer par un coup d’État une équipe politique à leur dévotion. Une équipe qui ne croit qu’en l’avenir radieux de l’économie globalisée.
Quel est selon vous le rôle joué par la franc-maçonnerie dans l’immigration en Europe ?
La libre circulation des personnes, des marchandises et des services est le dogme principal des forces ultralibérales qui fonctionnent en réseaux supranationaux. L’immigration est une exigence pour la croissance de l’économie et la dissolution des entités de résistance potentielle des souverainetés nationales, culturelles, solidarités organisées, économie locale qu’il s’agit de faire disparaître par modification de la population.
Ceux qui critiquent la gauche estiment que si celle-ci a pu défendre la classe ouvrière par le passé, notamment avec le discours anti-immigration de Georges Marchais à Montigny-les-Cormeilles [1], elle n’est plus du tout familière avec le monde du travail et préfère mettre l’accent sur le sociétal. Le parti socialiste s’est allié au patronat lors de cette dernière votation sur l’immigration. Est ce que cela conforte pour vous l’hypothèse d’une coupure entre les travailleurs et le parti socialiste ?
Oui, toute la gauche a perdu les valeurs autres que les lois du marché, a renoncé aux valeurs identitaires, à la solidarité pour se rallier exclusivement aux valeurs du capitalisme et aux valeurs individualistes sociétales et communautaristes.
Lors d’un débat avec la socialiste genevoise Olga Baranova, Alain Soral a dit que la gauche met en place une manipulation qui consiste à prendre un cas particulier et une souffrance habituelle pour justifier une stratégie perverse antipopulaire [2]. Plus concrètement, il explique que si un sans-papier le regarde avec les larmes aux yeux et qu’il lui demande de le protéger, son côté chrétien va le faire dans un premier temps mais ensuite en réfléchissant il faut se demander si on fait de la politique ou de l’humanitaire. Vous retrouvez-vous dans ces propos ?
Oui, il y a aujourd’hui une place à prendre pour le politique au sens large du terme, pour l’intérêt général et le bon sens commun. L’individualisme humanitaire, la création de nouvelles identités communautaristes factices, l’atomisation des forces sociales représentent la victoire ultime de l’ultralibéralisme, un contrepoids politique s’impose. Des forces qui oseront dire non au nom de l’intérêt général.
Voir aussi, sur E&R :
« Entretien avec Dominique Baettig sur l’affaire Dieudonné »
« L’entretien de Dominique Baettig accordé à E&R dérange »