Entretien exclusif accordé par Steve Bannon à Gianluca Savoini lors de sa récente tournée européenne à la rencontre des mouvements populistes européens. Journaliste et conseiller politique de Matteo Salvini, Gianluca Savoini est un cadre de la Lega expérimenté. Il dirige l’association Lombardie-Russie, association très impliquée dans le rapprochement entre la Lega et la Russie. Il était par ailleurs présent au forum eurasiste de Chișinău. L’entretien est prolongé par trois questions de Pierre-Antoine Plaquevent à Gianluca Savoini.
Gianluca Savoini : Le Conseil européen des 28 et 29 juin derniers a encore exacerbé les tensions internes au sein de l’UE. La chancelière Merkel voit son énorme pouvoir décroître alors qu’en Italie, nous avons pour la première fois un gouvernement « populiste ». La ligne politique de ce gouvernement peut-elle changer l’histoire européenne ?
Steve Bannon : Le début de la fin du règne de Merkel en Europe est maintenant proche, je crois aussi que la fin de son règne en Allemagne est déjà arrivé. La chancelière est en guerre avec son propre parti, elle souffre d’une hémorragie de votes vers l’AFD – Alternative für Deutschland – et n’a pas été en mesure d’obtenir un véritable accord lors des réunions de l’UE la semaine dernière. En réalité, son problème le plus sérieux est son partenaire de coalition (la CSU bavarois) avec des gens comme Horst Seehofer, le ministre allemand de l’Intérieur, qui s’organisent contre elle. Elle devrait être le chef et donner la ligne du parti. Au lieu de cela, sa politique d’immigration est totalement sans règles. Il est clair que seuls ceux qui agissent commandent réellement en Europe. Comme Salvini en Italie, Orbán en Hongrie, ou encore les dirigeants de l’ensemble du groupe Visegrád et des gens comme Seehofer en Allemagne.
Cela va-t-il aussi éroder l’axe entre l’Allemagne et la France ?
La question est maintenant celle-ci : Emmanuel Macron – en tant qu’héritier du trône européen de Merkel – continuera-t-il à être le capitaine d’un navire qui prend l’eau tout en continuant à aller vers une intégration européenne toujours plus forte ? Ou bien va-t-il réaliser que de plus en plus d’Européens se réveillent ? L’idée d’avoir des frontières fortes et un leadership fort, comme celle de Matteo Salvini et du gouvernement populiste italien, progresse partout.
Matteo Salvini et Luigi Di Maio, qui ont signé le contrat gouvernemental en Italie travaillent-ils correctement selon vous ?
Ils sont incroyablement intelligents, habiles politiquement et travailleurs. Tant que les hommes de ces deux partis continueront de travailler dans l’intérêt du peuple italien, je ne vois pas pourquoi ils devraient avoir des problèmes ou perdre leur consensus dans un proche avenir. Mais la Ligue ne pense pas que sa popularité actuelle devrait l’amener à exiger des élections anticipées. Je crois que ce que Lega et 5 Stelle ont fait est historique : unir le nord et le sud, la gauche et la droite, les populistes et les nationalistes dans le premier vrai gouvernement unitaire du monde.
La Lega et le M5S sont critiqués par les grandes puissances internationales et surtout contre Salvini, la colère des représentants de l’establishment mondialiste comme George Soros se déchaîne. Quel conseil voulez-vous donner au ministre de l’Intérieur ?
La principale menace pour les partis et les gouvernements nationaux-populistes en Europe n’est pas Bruxelles mais les ONG et leurs appareils médiatiques financés par George Soros, véritables armes contre l’information libre. Chaque populiste et chaque nationaliste en Europe devrait identifier ses ennemis. Des gens comme George Soros ne se soucient que d’une chose : le pouvoir et donc la possibilité de l’aligner sur leur avantage personnel et l’argent qui rentrera dans leurs poches. Soros lui-même l’a dit dans l’une de ses interviews infâmes. Il ne se soucie pas des conséquences sociales de ses projets, il le fait seulement pour l’argent.
Le président Trump a rencontré le Premier ministre italien Conte au G7, il semble y avoir beaucoup de sympathie entre les États-Unis et le nouveau gouvernement italien. Sympathie qui n’existe plus entre Trump, l’Allemagne et la France. Comment le gouvernement italien est-il vu aux États-Unis ?
Vous devriez demander à l’administration américaine quelle est sa position officielle mais d’après ce que je comprends, il y a beaucoup d’harmonie entre les efforts déployés à Washington pour sécuriser les frontières des États-Unis et ce que font Salvini et d’autres dirigeants européens. Mais le gouvernement américain n’a aucun intérêt à prendre parti directement (d’où le rôle officieux de Bannon ? – NDT). Il veut surtout servir les meilleurs intérêts du peuple américain. D’autre part, le peuple américain – en particulier « les déplorables », cette large base populaire du mouvement qui soutient Trump – suit attentivement le nouveau gouvernement italien et soutient cet exécutif.
Que pense Trump de la Russie ? Le président américain a déclaré que Moscou devait revenir au sein du G8. Restera-t-il en faveur des sanctions contre Moscou ?
Quand vous avez un président qui fait face à une menace existentielle pour nous comme la Chine et son État vassal, la Corée du Nord, un État qui fait face à une crise frontalière (celle avec le Mexique) et mille autres problèmes nationaux et internationaux, il est parfaitement logique d’éviter de relancer la guerre froide avec Moscou. Mais nous avons une classe politique et des médias tellement habitués à diaboliser certaines nations qu’ils ne peuvent pas voir au-delà de leur nez. Les gens savent bien que Poutine n’est pas un « gentil garçon » – c’est un ancien officier du KGB – mais Trump ne voit pas la nécessité de déclencher une guerre avec lui. Je crois aussi que le président Trump comprend que le moment est venu de mettre fin à la guerre froide, tout comme il essaie de mettre fin à la guerre de Corée. Les élites européennes et américaines détestent Poutine parce que c’est un nationaliste qui encourage l’Église orthodoxe et qu’il a le soutien de la société civile russe. Ceci est contraire à tout ce en quoi les « élites » croient.
Non seulement sur la question de l’immigration, mais aussi sur d’autres sujets importants, la position italienne deviendra décisive pour l’ensemble de l’UE. Quel est votre espoir ? Celui de la chute de l’UE grâce à l’Italie, comme vous l’avez déjà dit parfois ?
Nous ne devons pas nécessairement envisager une chute de l’UE. Au lieu de cela, nous devons plutôt envisager une plus grande place pour les États-nations et leurs gouvernements qui travailleraient ensemble dans le meilleur intérêt de leurs peuples. Si la Commission européenne et le Conseil des ministres (Conseil de l’Union européenne – NDT) veulent changer l’UE, ils peuvent le faire et, ce faisant, ils la sauveraient probablement. Mais à l’heure actuelle, ils ont seulement l’intention de créer une Europe à leur image. De plus, je ne vois pas comment les gens pourraient finalement obtenir leur liberté et leur indépendance, alors qu’ils ont une union non politique basée exclusivement sur une union monétaire. Je pense qu’à la fin, les États-nations devront récupérer leur monnaie. Le Royaume-Uni n’a pas adopté l’euro, il a donc ainsi maintenu un contrôle monétaire et fiscal. C’est un point fondamental.
Est-ce que les mots « droite » et « gauche » ont encore un sens aujourd’hui ? Ou bien devons-nous penser à deux grands blocs opposés : d’une part, le bloc mondialiste et anti-souverainiste ; d’autre part, le front « populiste », souverainiste, identitaire, fondé sur la défense des valeurs chrétiennes et traditionnelles ?
Il existera encore des partis, des idées politiques et des figures de droite et de gauche, mais ils commencent à avoir de moins en moins de signification. « Gauche contre droite » est un moyen simple d’opposer les gens entre eux. Le vrai combat sera celui des démunis contre les nantis. Des gens contre les classes politiques. Des nationalistes contre les globalistes. Des personnes avec des valeurs traditionnelles face aux gens qui veulent voir ces valeurs jetées à la poubelle. L’école de Francfort et son marxisme culturel ont infiltré presque toutes les institutions en Europe. Bien sûr, dans l’Union européenne, mais aussi dans l’Église catholique où la « théologie de la libération » radicale des jésuites des années 60 et 70 s’est répandue comme une contagion à travers l’Amérique latine et a maintenant atteint les plus hauts niveaux de Église catholique, dirigée par un pape jésuite argentin.
En ce qui concerne l’Italie, « l’État profond » (comme vous définissez le conglomérat des pouvoirs énormes opérant dans les coulisses) existe également ici, comme aux États-Unis et dans d’autres pays du monde. C’est une structure très forte parce qui sert à gouverner l’économie, les gouvernements et les parlements. Voyez-vous le risque d’une chute future du gouvernement Lega-M5S, frappé précisément par l’attaque de « l’État profond » ? Que pourrait-il arriver ensuite, dans ce cas ?
Ils ont déjà essayé quand Matarella a tenté de mettre « M. Ciseaux » comme Premier ministre (jeux de mots avec Cottarelli, ndt), malgré le refus clair de la technocratie par les électeurs italiens. Je ne pense pas qu’ils oseraient réessayer très bientôt, du moins pas ouvertement. Une des choses que ce nouveau gouvernement italien doit faire est de veiller à ce que les fonctionnaires et les responsables de la mise en œuvre de la politique gouvernementale mettent fin à la crise des migrants, mettent en œuvre la flat tax et se concentrent sur la croissance économique.
Le philosophe russe Alexandre Douguine a déclaré apprécier beaucoup vos idées et qu’il est convaincu que la victoire de Trump aux États-Unis constitue un événement historique et une victoire pour le peuple américain contre les élites. La même chose peut-être dit pour l’Italie avec les élections du 4 mars ? Êtes-vous d’accord avec lui ?
Je pense que tout le monde s’accorde à dire que la victoire du Brexit et celle de Trump en 2016 ont été des événements révolutionnaires et que nous assistons maintenant à des bouleversements dans toute l’Europe. Quant à Douguine, je l’ai étudié intensément et je connais bien son travail. Bien que je ne sois pas d’accord avec tout ce qu’il dit, Douguine est l’un des penseurs les plus importants au monde en ce moment.
Le Nouvel Ordre mondial, qui a surgi après 1989, est-il enfin terminé ? Que va-t-il naître maintenant ? Et quels sont les vrais adversaires de l’Amérique ? La Russie, la Chine ou qui d’autre ?
Je ne sais pas si le « Nouvel Ordre mondial » est une représentation fidèle de la politique consensuelle que nous avons observée au cours des dernières décennies. Je préfère être plus précis à ce sujet. Nous avons eu un système global de gouvernement d’après-guerre, fondé sur certaines règles, qui a été imposé à la fois par la planification centrale, par l’apathie politique et par un manque de confiance dans la classe des travailleurs. Leurs droits ont été effacés progressivement parce que les technocrates croyaient qu’il n’y avait pas d’autre option et aucun choix alternatif n’a été étudié. Maintenant tout change. Quant aux adversaires américains, nous devons toujours être à l’affût, à 360 degrés. Il y a des menaces physiques et informatiques partout dans le monde. C’est naturel quand vous êtes la seule superpuissance. Mais à l’heure actuelle, les menaces critiques auxquelles nous sommes confrontés proviennent du commerce chinois et de leurs plans d’hégémonie mondiale, ainsi que de l’islam radical et de notre frontière méridionale. Nous ne devons pas oublier que l’une des choses les plus dommageables pour le peuple des États-Unis n’était pas nécessairement la guerre ou la menace de guerre mais plutôt une attaque contre notre secteur manufacturier et un assaut contre nos jeunes à travers la « crise des opiacés », la propagation massive des drogues.
Obama croyait que les « bons idéaux » globalistes des élites resteraient toujours vivants en Europe. Au lieu de cela, après les États-Unis, ils perdent un peu partout en Europe. Vous suivez avec intérêt la politique européenne et italienne en particulier. Serez-vous bientôt de retour en Italie ?
J’aime l’Italie et spécialement Rome. Je reviendrai très bientôt et j’ai hâte de me plonger dans cette atmosphère politique fascinante, ainsi que dans l’histoire et la culture de l’Italie. L’Italie est le centre actuel de la révolte national-populiste.
Pierre-Antoine Plaquevent : Cher Gianluca Savoini, vous venez de rencontrer Steve Bannon qui a vous a accordé une interview qui soulève des perspectives politiques importantes. J’aimerais vous poser quelques questions en complément de cet entretien. Voici ma première question : pourquoi le gouvernement italien ne s’est-il pas opposé à la reconduction des sanctions économiques contre la Russie alors que Matteo Salvini et la Ligue du Nord militent depuis des années pour la fin des sanctions ? L’association Lombardie-Russie que vous dirigez effectue par ailleurs un important travail en ce sens.
Gianluca Savoini : La priorité numéro 1 du nouveau gouvernement était de freiner l’immigration, promesse pour laquelle il a été élu par le peuple italien. À seulement un mois de sa prise de fonction et après une crise institutionnelle grave, il était très difficile, voire impossible, pour le gouvernement de mener une nouvelle confrontation avec l’Union européenne conjointement avec le bras de fer sur la question migratoire. La priorité absolue de ce gouvernement et de Matteo Salvini sont la fermeture des ports italiens aux ONG immigrationnistes et le gel de nouvelles arrivées massives de clandestins. Deux objectifs du programme de la Lega que le nouveau gouvernement est en train de valider. En ce qui concerne la question du rapport avec la Russie, tant Matteo Salvini que l’ensemble de la Lega continuent de militer en faveur de la fin des sanctions et plus largement d’un rapprochement Italie-Russie comme nous l’avons toujours fait. Il faut voir maintenant ce qui ressortira de la rencontre entre Poutine et Trump, cela peut débloquer beaucoup de choses.
Depuis des années, les USA utilisent tous les moyens directs et indirects afin d’empêcher une coopération rapprochée entre Europe et Russie et plus largement entre Europe et Eurasie ; ceci sur tous les fronts possibles : Ukraine, Irak, Syrie etc. Comme on le sait, la crainte fondamentale des géostratèges anglo-américains réside depuis toujours dans la possibilité d’une entente continentale eurasiatique qui permettrait à l’Europe de bénéficier des ressources quasi infinies de pays comme la Chine ou l’Iran. Coopération qui rendrait périphérique l’Amérique et acterait la fin de l’« Amérique-monde » pour longtemps. Lors de sa tournée européenne, Steve Bannon aurait exposé à des officiels hongrois la possibilité prochaine d’une guerre contre la Chine et l’Iran. L’idée d’une guerre contre la Chine est par ailleurs une thématique récurrente dans son discours. Dans cette perspective, les populistes européens peuvent-ils avoir confiance dans les discours souverainistes de l’administration Trump ou même dans ceux de Bannon ?
C’est une question épineuse. Ce qui est clair c’est que, comme l’explique bien Bannon, Trump défend en premier lieu les intérêts de son pays et qu’il a été élu pour cela. C’est ce que doivent faire les hommes politiques responsables. C’est ce que font Poutine en Russie, Orbán en Hongrie ou encore Salvini à son poste dans le nouveau gouvernement italien. Pour les américains, la Chine est bien l’ennemi numéro 1 des États-Unis dans la guerre économique mondiale actuelle. La Chine qui tient les États-Unis par les obligations du Trésor américain qu’elle possède en masse. Ce qui rapproche Bannon des populistes européens c’est son rejet viscéral des élites de la finance mondialiste malgré (ou grâce à) sa carrière dans la banque. Un monde qu’il connait bien et qu’il méprise. Bannon a clairement identifié les dangers qui guettent le monde occidental : la finance sans contrôle et le chaos migratoire. Ce qui le rapproche de nous c’est cette volonté de vouloir maîtriser les flux migratoires et de vouloir rétablir la centralité de l’État-nation dans le système des relations internationales.
Avec plus de soixante bases américaines en Italie, est-il possible pour l’État italien d’être réellement souverain ?
On peut réellement se questionner sur la pertinence du maintien de ces infrastructures étrangères sur notre sol dans l’après guerre froide. Maintenir un tel dispositif a-t-il encore un sens même pour les américains ? Là encore certaines déclarations de Trump laissent penser qu’il ne serait pas contre un certain replis de l’implication américaine au sein de l’OTAN. Par ailleurs Matteo Salvini rappelait récemment que l’OTAN aurait un meilleur rôle à jouer dans la protection des frontières du sud de l’Europe face à l’immigration de masse que face à un hypothétique danger russe. Les Américains n’ont-ils pas intérêt à favoriser l’euro-scepticisme et les populismes intra-UE dans la guerre qu’ils mènent contre le rival économique allemand, leur principal adversaire économique continental ? Le vrai problème de l’Europe actuelle ce sont les orientations que lui donne le couple franco-allemand et malheureusement pour l’Italie, la France de Macron est un adversaire politique et économique encore plus immédiat que l’Allemagne. L’Italie, plus encore que la Hongrie et que l’Autriche de par sa taille et sa puissance économique, peut devenir le centre de gravité d’une orientation nouvelle de la politique européenne. Une politique qui serait enfin celles des Européens pour les Européens. Cela Bannon l’a bien compris, il partage avec les Européens le souci de la préservation de notre continuité historique et civilisationnel. Il est représentatif d’un courant qui existe dans toutes les nations du monde : le populisme conservateur qui veut stopper l’utopie mortifère du globalisme sans frontières.