Jusqu’à aujourd’hui, le code de santé publique imposait un délai de réflexion de sept jours entre les deux consultations médicales structurant la procédure d’interruption volontaire de grossesse. Dans la nuit de mercredi à jeudi, l’Assemblée a adopté un amendement à la loi Santé menant à la suppression de cette obligation.
Cet amendement s’inscrit dans un processus d’accélération de la banalisation de l’avortement. La loi de financement de la Sécurité sociale pour 2013 a imposé son remboursement intégral, tandis que la loi Belkacem pour « l’égalité réelle entre les femmes et les hommes » d’août 2014 en a supprimé sa qualité exceptionnelle contenue dans la notion de « détresse » et a durci les sanctions envers ceux qui s’opposeraient à sa pratique. La loi Santé 2015 de Marisol Touraine multiplie les actions visant à améliorer « son accès ». La loi poursuit le déploiement de centre d’appels et de documents dédiés à l’IVG, et cherche à en généraliser la faisabilité dans tous les centres médicaux [1].
La suppression du délai de réflexion, aussi atterrante soit-elle, ne saurait nous surprendre. E&R l’avait d’ailleurs anticipée à l’occasion des quarante ans de la loi Veil [2]. Les défenseurs de cet amendement, tout en feignant d’ignorer que la loi prévoit déjà un raccourcissement à deux jours du délai en cas d’urgence (c’est-à-dire si les douze semaines légales arrivent à leur terme), assurent qu’il s’agit là d’une nécessité pour éviter que des demandeuses se retrouvent coincées. De même, ils clament que les demandeuses pourront aussi éviter plus facilement de recourir à l’avortement par voie médicamenteuse, une méthode moins lourde, moins contraignante que la voie chirurgicale, mais applicable seulement pendant les premières semaines de grossesse.
La banalisation devient tellement effective que le caractère malhonnête des champs lexicaux (les histoires de « droit » et de « liberté » démasquées dès les années 1970 dans Le Capitalisme de la séduction de Clouscard) ne parviendra bientôt plus à donner le change : Catherine Courcelle (PS), qui a porté l’amendement sur la suppression du délai de réflexion, en avait proposé un autre qui visait à supprimer la clause de conscience permettant aux médecins de refuser de pratiquer une IVG, en clamant qu’elle faisait doublon avec la clause de conscience du code de Santé publique qui s’applique à n’importe quelle opération chirurgicale [3]. Une nouvelle étape qui rendrait l’IVG banal par définition.
Elle a dû pour l’instant renoncer à cette disposition. Mais son initiative n’emprunte rien à l’audace ou à la créativité, la députée étant simplement un peu en avance sur la feuille de route : toutes les dispositions récentes en matière d’IVG et celles que nous réserve l’avenir se retrouvent dans un rapport remis par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh) à Mme Belkacem, en novembre 2013. On comprend donc que les reticences de Marisol Touraine à l’egard de cet amendement ne sont que du théâtre. La déliquescence libérale-libertaire est avant tout une insidieuse affaire d’étapes.