Pour l’essayiste Éric Verhaeghe, il est « extrêmement inquiétant de voir qu’Emmanuel Macron petit à petit tombe le masque », en obéissant de plus en plus au « diktat allemand ».
Emmanuel Macron vient de prononcer un discours à Berlin. Plusieurs commentateurs lui reprochent d’avoir parlé en anglais à Berlin. Que pourriez-vous lui reprocher concernant ce discours ?
Éric Verhaeghe : C’est une question très sensible, parce que, contrairement à ce qu’on croit, la relation entre la France et l’Allemagne n’est pas apaisée. Pour beaucoup de Français qui ont gardé des souvenirs douloureux, le fait qu’un candidat à la présidentielle française prononce à Berlin un discours en anglais et en allemand pose un vrai problème. Il y a un problème de conscience. C’est la première chose à dire. Surtout lorsque dans ce discours le candidat explique que la France n’a pas assez respecté les règles d’austérité budgétaire imposées par l’Allemagne, et qu’il s’engage, s’il est élu président, à respecter ces règles pour faire plaisir à l’Allemagne et pour obtenir une plus grande intégration européenne. Deuxièmement, il y a un vrai problème aujourd’hui à expliquer que nous allons refondre un ordre européen en faveur de l’Allemagne, en obéissant au diktat allemand, alors que rien ne le justifie et que cela n’a pas été débattu entre les principaux intéressés.
Troisième problème de conscience : Emmanuel Macron a pour la première fois donné un cadre budgétaire à son programme présidentiel. Parce que jusqu’ici, il a composé des mesures, il a évoqué un certain nombre d’idées sans en avoir jamais fixé le cadre budgétaire. Et on nous dit : « Découvrons aujourd’hui que le cadre budgétaire de son programme sera imposé par l’Allemagne ». Pour faire cette révélation que nous attendions depuis longtemps, il choisit Berlin, la capitale de la Prusse et pas la France. C’est un vrai problème.
Il y a aussi beaucoup de personnes qui ont critiqué Emmanuel Macron pour sa position sur les réfugiés, dont il estime qu’ils sont en même temps la force et le défi de l’Europe. Pensez-vous que ce soit bon, du point de vue électoral ?
Je ne sais pas. Ce que je sais, c’est qu’aujourd’hui la France est le pays d’Europe qui compte la plus forte proportion d’immigrés, spécialement d’immigrés musulmans. Nous savons aujourd’hui que la politique migratoire décidée unilatéralement par Angela Merkel a permis de faire venir énormément de personnes qui n’étaient pas des réfugiés, mais des migrants économiques. L’essentiel de ceux qui ont participé ou qui ont commis des attentats terroristes en France, ce sont des gens qui sont venus grâce à la politique migratoire d’Angela Merkel. Ils n’étaient pas des réfugiés de guerre mais des migrants économiques qui ont profité de l’ouverture des frontières pour rentrer en Europe, alors que jusqu’ici ils n’en avaient pas la possibilité. Qu’un candidat à la présidentielle française explique aujourd’hui qu’il se félicite d’une politique décidée en Allemagne et qui ne tient pas compte de la réalité hexagonale, c’est quand même un sacré problème auquel nous devons faire face aujourd’hui.
Aujourd’hui il y a eu des annonces concernant les nouveaux membres de l’équipe de campagne d’Emmanuel Macron. Nous avons appris que Laurence Haïm allait être l’une de ses porte-paroles. L’économiste Jean Pisani-Ferry a aussi rejoint son équipe. Que vous inspire la nomination de ces personnalités ?
Tout le monde sait que ce ne sont pas des modernistes. Je pense notamment à Jean Pisani-Ferry qui est un héritier de la République : son père était ministre et son grand-père était lié à Jules Ferry, ministre de l’Instruction publique sous la Troisième République. Ce sont des gens qui se sont distingués par beaucoup de choses, mais certainement pas par leur capacité à porter des réformes ambitieuses et à faire bouger les lignes. Ce sont des gens qui défendent l’ordre social, qui défendent ou qui participent à ce que j’appelle la réaction mobilière, c’est-à-dire la réaction d’une certaine noblesse française, d’une nomenklatura qui ne veut pas moderniser le pays. En tout cas, qui veut bien le moderniser à condition que l’ordre social ne soit pas modifié.
Les relations entre Emmanuel Macron et les médias subventionnés en France sont malsaines.
Je trouve extrêmement inquiétant de voir qu’Emmanuel Macron petit à petit tombe le masque et assume de mieux en mieux une position de petit élève de l’Allemagne, près à défendre l’ordre social. En effet, c’est ce que je dis depuis longtemps : Emmanuel Macron est un représentant de l’ordre qui se sent menacé et qui fait tout aujourd’hui pour défendre ses prérogatives. Ce qu’on essaie de nous faire passer pour une modernisation de la France, c’est en réalité le dicton « il faut que tout change, pour que rien ne change ». Aujourd’hui, Emmanuel Macron est un candidat de la réaction mobilière.
S’agissant de la nomination de Laurence Haïm au poste de porte-parole, comment la voyez-vous ?
Je crois qu’Emmanuel Macron est en effet très proche des médias et qu’il ne veut pas se fâcher avec les médias subventionnés, surtout lorsqu’ils sont proches des intérêts américains. En tout cas, je pense que les relations entre Emmanuel Macron et les médias subventionnés en France sont malsaines, et j’estime qu’il faut qu’il y ait un débat transparent sur les relations ou les conflits d’intérêts entre Emmanuel Macron et les médias subventionnés.