C’est la question que pose et à laquelle répond Le Figaro du 8 septembre 2019 au matin sous le titre « Les raisons qui ont guidé le tournant prorusse d’Emmanuel macron ».
« L’inclinaison du Président vis-à-vis de ce grand pays qu’il veut voir européen, son attirance pour la Russie éternelle qui fut éclairée par les “Lumières”, a des racines anciennes. »
La journaliste rappelle que malgré les piques entre les deux dirigeants, notamment pendant la campagne électorale présidentielle de 2017, Macron a toujours eu une attirance pour la Russie éternelle. C’est quand même le b.a.-ba des dirigeants français qui, depuis de Gaulle, ont toujours cherché un peu d’indépendance en contrebalançant ainsi l’influence américaine chez nous. La puissance américaine ne pouvait être limitée que par une amitié forte avec les Russe, ou les Soviétiques, et Mitterrand a joué lui aussi de ce levier. Giscard chassait avec Brejenev. Sarkozy, trop inféodé au pouvoir américain du fils Bush mais surtout du Pentagone, sera le président français le plus antirusse de l’histoire. Quant à Hollande, n’en parlons pas : il était capable de serrer la main de Poutine en regardant ailleurs, afin de faire passer le message de je m’en lave les mains, celui d’un grand démocrate obligé par la realpolitik de serrer la patte d’ours d’un autocrate sanglant. Macron, donc, semble revenir à une attitude plus gaullienne, mais aussi plus cohérente avec le positionnement de la France dans le monde. De là à dire qu’il va falloir voter Macron en 2017...
Petit rappel en passant : c’est probablement son inclination prorusse (préféré à inclinaison, un peu trop géométrique) qui a coûté à François Fillon sa tête dans la course à la présidentielle début 2017. Il n’avait aussi peut-être pas les moyens d’empêcher le coup d’État des forces ultralibérales chapeautées par le jeune ministre de l’Économie de François Hollande... Bref, Macron, qui n’a toujours pas mis les pieds en Israël et qui ne veut pas d’une Jérusalem capitale d’Israël, se tourne vers la Russie de Poutine, qui est accroché au pouvoir depuis 20 ans, quoi qu’en disent ou en pensent les journalistes du Monde, champions du monde de la désinformation sur la Russie. Des années de tirs nourris qui continuent aujourd’hui encore, avec l’angle des dernières élections locales qui ont vu un recul du parti du Président, Russie unie. Titre de l’article : « le Kremlin enregistre un lourd revers électoral à Moscou ».
Macron, trop petit pour le Grand Jeu, a-t-il besoin de Poutine pour grandir ?
Dans le jeu des supergrands, États-Unis, Chine et Russie, l’Union européenne, qui ne parle jamais d’une seule voix, n’existe pas. Alors se détache le couple, le fameux couple franco-allemand, qui n’existe plus vraiment depuis 30 ans, depuis que l’Allemagne a misé sur sa réunification après 1989 et sur l’augmentation des membres de l’UE afin de retrouver son Hinterland. Clairement, l’Allemagne fait cavalier seul en Europe depuis que Kohl a trahi Mitterrand sur la reformation d’une Grande Allemagne. Thatcher était contre, elle avait compris ce que cela allait impliquer, mais les relations privilégiées entre Kohl et Mitterrand, entre Hans-Dietrich Genscher (le ministre des Affaires étrangères allemand) et Roland Dumas feront le reste. Dans la foulée, les services allemands déstabiliseront les Balkans pour faire éclater la Yougoslavie et établir leur tête de pont à l’Est.
Il ne reste plus à la France qu’à se débrouiller seule, au milieu des nouveaux paradigmes, l’Amérique ne s’occupant plus trop de l’Europe, sauf pour y vendre sa came, et regardant plutôt vers la Chine, son grand concurrent de demain. La position de la Russie est importante dans ce jeu puisqu’elle détermine le gagnant de demain entre les deux puissances économiques majeures, et c’est pourquoi Trump ménage Poutine, et l’a ménagé au Proche-Orient, lui laissant de grosses parts de gâteau en Syrie.
Poutine joue donc aujourd’hui le jeu de de Gaulle entre les deux supergrands dans les années 60. Et la France, là-dedans ? Que pèse-t-elle ? On dirait que Macron essaye de reconstituer un front des non-alignés, puisque l’Allemagne reste indécrottablement fidèle, pour ne pas dire soumise, à l’Amérique. Le rapprochement avec Poutine, malgré les bisbilles sur l’élection présidentielle de 2017, peut s’analyser de la sorte. Mais nous ne sommes pas dans les petits papiers du Quai (d’Orsay), où la bataille fait rage entre les pro et les antirusses. Pour l’instant, le Président fait pencher la balance vers les « pro ».
« Les raisons du changement de cap sont nombreuses. Combinées, elles expliquent aussi pourquoi le virage s’est accentué pendant l’été. Il y a d’abord, bien sûr, la personnalité diplomatique du président, dénuée d’a priori idéologiques, inspirée par le pragmatisme, celle qui dicte la formule, valable dans tous les domaines, du “en même temps”. Il y a ensuite une analyse inquiète de l’état du monde. “La relation avec la Russie ne peut pas se comprendre si on ne l’intègre pas dans la politique étrangère globale de la France. La déconstruction des mécanismes de gestion de crise et de l’ordre multilatéral est devenue trop dangereuse. Elle doit être contrée. La France veut contribuer à l’émergence d’un nouvel ordre internationa”l, résume une source à l’Élysée. L’analyse et l’ambition françaises, basées sur “le temps long”, se nourrissent d’une constatation réaliste : depuis son grand retour sur la scène internationale, la Russie est indispensable à la résolution des grandes crises du moment. Elle est une pièce indispensable des puzzles en Syrie, en Libye, en Iran et en Ukraine, quatre dossiers dans lesquels la diplomatie française est très investie. »
On dirait, sans ironie, que Macron monte sur les épaules de Poutine pour prendre une dimension internationale. Et puis, la fin de Merkel, le cavalier seul allemand dans l’UE doublé de sa soumission éternelle à l’Oncle Sam (et à Israël) font que Macron se voit seul en lice pour devenir le vrai patron de l’Europe, ce dont il a toujours rêvé, peut-être un rêve napoléonien. Nanti de ce rôle, il pourrait alors parler à armes égales avec les Russes et les Américains, qui sait...
« Il y a enfin les occasions, celles qui fournissent le cadre des grands discours et des initiatives. La présidence française du G7 et celle du Conseil de l’Europe en furent de grandes. “Pour Emmanuel Macron, qui veut être le grand stratège de l’Europe, l’été vit un formidable alignement des étoiles”, explique Tatiana Kastoueva-Jean, spécialiste de la Russie à l’Ifri. L’élection à Kiev de Volodymyr Zelensky, reçu à l’Élysée en juin 2019, crée un appel d’air dans la crise ukrainienne. La transition politique en Allemagne, la crise gouvernementale en Italie et le Brexit en Grande-Bretagne laissent le champ libre à Emmanuel Macron, qui depuis la fin du printemps apparaît comme le seul grand leader du continent.
“C’est un cycle présidentiel classique en France. Quand ils arrivent au pouvoir, les chefs d’État se concentrent d’abord sur les États-Unis et sur l’Allemagne. Dans un deuxième temps, ils se tournent vers la Russie”, analyse Thomas Gomart, le directeur de l’Ifri. “L’élan russe du président aurait en outre été encouragé par l’arrivée aux Affaires étrangères du social-démocrate allemand Heiko Mass, à un moment où Angela Merkel est affaiblie et où « la nouvelle direction du SPD a opéré un virage à 180 degrés, selon les mots d’un diplomate”. »
La nouvelle amitié franco-russe serait alors la résultante d’un rejet par les autres puissances, ou d’une tentative de rattrapage de puissance par la formation d’une coalition :
« La difficulté de réenclencher la dynamique européenne avec Berlin et l’incertitude de la relation avec les États-Unis de Donald Trump ont redonné de l’importance au lien bilatéral franco-russe. “La période d’interrogation que traverse l’UE a créé un espace que Macron veut utiliser pour reprendre l’initiative. La question qui se pose est de savoir si la relation bilatérale franco-russe est jugée plus efficace que la relation entre l’UE et la Russie”, poursuit Thomas Gomart. Même si leurs méthodes diffèrent, Emmanuel Macron et Donald Trump sont en phase sur de nombreux sujets et notamment sur la nécessité de rapprocher la Russie de la famille occidentale et de contrebalancer la puissance chinoise. “On ne peut pas exclure que l’offensive de charme d’Emmanuel Macron envers Vladimir Poutine avant le G7 a également contribué à la bienveillance de Trump envers le président français”, analyse le diplomate Michel Duclos pour l’Institut Montaigne. »
La Russie remplacerait donc l’Allemagne en tant que couple européen principal. On n’en est pas encore là, mais la période actuelle est favorable aux renversements d’alliances. Et avec une Amérique trumpienne qui souffle le chaud et le froid, peut-être que les adversaires d’hier sont en train, par la force des choses, de se trouver des points communs. Poutine, qui est considéré par les Atlantistes comme un diviseur de l’Europe, sans même parler de la menace militaire qu’il fait prétendument peser sur l’Ouest, se voit rechapé par Macron, ce roi sans cheval qui a besoin d’un cheval.