Le JDD, l’hebdo du dimanche de la maison Lagardère (Jr), a osé interviewer le réalisateur et musiciens serbe non aligné Emir Kusturica. Son tropisme poutinien l’a quelque peu éloigné des médias occidentaux. Avec lui, c’est comme dans ses films, ça peut vite partir en cacahuète, mais en bonne et croustillante cacahuète. Après une pause de 10 ans, le double palmé d’or à Cannes sort On the milky road.
En fait, depuis son dernier opus, qui n’a pas bien marché commercialement, Promets-moi en 2007, Emir ne s’est pas endormi sur ses lauriers. Il a joué un peu partout dans le monde avec sa formation de rock, The no smoking orchestra, il a publié deux livres et participé, déclare-t-il au JDD, « à la construction de deux villages en Serbie ». Mais l’autre explication de son éclipse relative est double : d’abord, le cinéma a évolué vers le numérique, ce qui selon lui fait perdre de la qualité d’image, et il a malgré ses Palmes du mal à financer ses projets. En outre, il n’a pas de star – hormis Monica – au générique et ça, pour les banquiers du métier, c’est un moins. Mais le réalisateur a une vision du monde assez noire :
« Depuis l’invention de la radio, nous expérimentons tous les moyens possibles pour nous contrôler les uns les autres. On ne peut pas rembobiner le film pour effacer nos conneries. On doit en payer le prix et assumer les conséquences. Nous entrons dans une phase de destruction finale. »
On rappelle que On the milky road (Sur la route lactée, comme la voie du même nom), est une histoire d’amour romantique entre deux cinquantenaires, avec Monica Bellucci à l’affiche face à Kustica acteur. Aussitôt, le journaliste du JDD passe à l’attaque :
Vous dites ça à cause de Trump ?
Moi, j’étais contre Hillary Clinton car elle a bombardé mon pays. Au Moyen-Orient règne le chaos, les leaders occidentaux ont anéanti les régimes les uns après les autres pour les ressources énergétiques [et le Grand Israël, NDLR]. C’est la nature même du capitalisme. Maintenant, ils essayent de venir en Russie, mais ce n’est pas évident [Rires.]. Napoléon y a échoué, Hitler aussi. Alors Trump...
Et on en vient au nœud de l’interview, les relations de Kusturica avec Poutine, ce qui intéresse en diable les journalistes occidentaux : on a là un croisement entre le people, le culturel et le politique lourd. Du miel pour les ours ! Et Kustu ne va pas les décevoir...
Est-il vrai que vous entretenez de bonnes relations avec Poutine ?
Oui, c’est un type bien. À son arrivée au pouvoir, la nation serbe a commencé à se sentir respectée. Aujourd’hui, les occidentaux le présentent comme le diable. Mensonge ! C’est un homme honnête qui souhaite se faire accepter par l’Ouest. Trump, lui, est un incompétent qui cumule les bourdes, fomente des complots et monte les pays les uns contre les autres. Cela dit, la France n’est pas innocente non plus. Elle a vendu pour 13 milliards d’armes au Qatar et à l’Arabie saoudite. Le danger est omniprésent. Le monde serait meilleur avec la coopération et non la domination. Le terrorisme est, hélas, la punition ! Allez, j’arrête, tout ce que je dis finit toujours par se retourner contre moi. Je plaide coupable d’humanisme.
On ne va pas recopier toute l’interview, la confraternité nous l’interdit, ainsi que la justice française, prompte à punir toute vélléité d’indépendance journalistique, un peu comme le milieu du cinéma maintient Kusturica à l’écart. C’est pourquoi il lance :
« Je deviens paranoïaque, mais j’ai de bonnes raisons : Joshua Levine, le reporter de “Vanity Fair” qui a publié cette allégation sur Cannes [Levine disait que son film n’avait pas été retenu à Cannes à cause de ton tropisme poutinien], m’a aussi traité de “cannibale” ! Il fait partie des journalistes payés par la CIA pour nuire aux travailleurs honnêtes dans le monde. Je suis sans arrêt accusé de faire de la propagande pro-serbe. Mais je suis serbe ! En 1995, Bernard-Henri Lévy et Alain Finkielkraut avaient même écrit des articles dans “Le Monde” et dans “Le Point” pour me calomnier sans avoir vu “Underground” [La Palme d’or 1995, NDLR]. Je m’en fous. »
Et Emir termine par une tirade très voltairienne sur l’homme qui se retire du monde et de son fracas pour cultiver son jardin et produire son « propre jus de fruits bio »... En passant, il en profite pour tirer à boulets rouges sur Hollywood, les blockbusters, Bruce Willis et toute la bande des larbins de la CIA, tout en faisant un appel du pied à Netflix qui passe au-dessus de la distribution classique, source de censure ou de blocage des projets alternatifs. On a retrouvé Kustu !
La bande-annonce de On the milky road :
Monica chez Ruquier le 17 juin 2017 raconte le film et sa relation (toute professionnelle) avec le réalisateur :
Même Yann Moix a été envoûté, c’est dire (à 9’00) :
« C’est un des 15 meilleurs films que j’ai vus de ma vie. C’est un mélange de la Nuit du chasseur et de l’Odyssée d’Homère. »
Et pour la jolie Vanessa Burggraf, qui quitte l’émission ONPC à la rentrée, « c’est un chef d’œuvre ».