Neuf candidats concourent à la présidence de l’UNESCO, cette organisation internationale qui a du mal à trouver sa place entre l’ONU et le Conseil de sécurité. Une branche culturelle des grandes instances internationales qui a perdu, avec l’entrée en 2011 de la Palestine en tant qu’État membre, 22% de son budget et 300 de ses employés, du fait du retrait de la contribution américaine, Israël ayant suivi le mouvement. Montrant de la sorte que tous les moyens sont bons pour ne pas... faire la paix. On a reproché à l’UNESCO une prise de position politique en acceptant la Palestine, ce qui lui a coûté cher, au sens propre et au sens figuré, mais cette décision a été le fait d’un choix majoritaire et démocratique de ses membres. Ainsi, Israël et les États-Unis se sont encore mis le reste du monde, ou presque, à dos.
Nous avons dans un premier article décortiqué la candidature « française », si l’on peut dire. Malgré d’évidentes qualités personnelles, un CV culturel solide et l’appui du réseau diplomatique, Audrey Azoulay constitue ce qu’on appelle une candidature clivante. Étant de confession juive, avec la polémique israélo-palestinienne qui mine l’Organisation, la Franco-Marocaine part dans la course avec des appuis qui posent question. Elle a obtenu un chèque sur le budget national de 30 millions d’euros pour un projet de sauvegarde des objets d’art dans les pays en guerre, sachant très bien que l’UNESCO a un besoin drastique d’argent.
Face à elle, plusieurs candidatures arabes : la Libanaise El-Khoury Lacoeuilhe, l’Irakien al-Hasnawi, le Qatari al-Kawari, l’Égyptienne Khattab, l’Azerbaïdjanais Bulbuloglu. Et, perdus au milieu de cette surreprésentation orientale, le Chinois Tang et le Vietnamien Pham. Nous avons choisi de présenter ce dernier, qui offre l’avantage de sortir des complications proche-orientales et d’incarner les valeurs authentiques défendues par l’UNESCO.
« Je viens du Viêt Nam, un pays qui a connu des décennies de guerres, je viens du Viêt Nam, un pays qui a été capable de mettre en œuvre une transformation socio-économique après de nombreuses années de guerres, je viens du Viêt Nam, un pays qui a décidé d’être l’ami de tous les pays du monde, et je suis fier du pays qui porte ma candidature. »
Ce sont les mots de la fin de son discours de présentation de candidature fin avril 2017 devant ses collègues de l’UNESCO. Ce petit pays, jamais représenté à la tête des nations, propose une candidature aussi humble que sérieuse.
Équilibré – équilibriste aussi ! –, brillant, francophile – peut-être plus qu’Azoulay qui présente trop de biais cognitifs pour être lisible –, Pham a marqué les esprits dans son discours où il a exposé sa stratégie. Sans disposer de relais médiatiques puissants ni d’appuis financiers, c’est dans son multilatéralisme que le candidat vietnamien fait la différence. Pham rappelle que la nomination d’un candidat vietnamien est une première. Et quand il établit que son « premier message » est celui de « la paix », on comprend en sous-main qu’il propose de faire la paix dans l’organisation même. Plus généralement, le mot « paix » dans sa bouche a un poids, celui des souffrances de ses compatriotes qui ont enduré trois décennies de guerres des années 50 aux années 80. Une nation petite mais soudée qui a lutté courageusement, avec des moyens limités et un courage immense, contre la France, puis les États-Unis, et enfin, la pression du grand voisin chinois. Une indépendance acquise de haute lutte et qui ajoute là aussi, à la force du discours de Pham.
La République socialiste du Viêt Nam est admise à l’ONU depuis 40 ans seulement, après ce long cycle de guerres. Le pays s’est relevé de destructions titanesques et aujourd’hui, il veut faire partie de la grande famille des nations, participer à l’effort commun dans un monde instable, et faire profiter à tous de son expérience de résilience.
De manière assez conventionnelle, le candidat du Viêt Nam veut faire de l’UNESCO le réservoir « intellectuel » des Nations unies. Puis il veut mettre l’accent sur les pays les plus défavorisés et en ce sens, une direction accordée à un « petit pays » serait un plus pour l’Organisation internationale. Une forme de reconnaissance pour tous les petits. Enfin, améliorer la communication de l’UNESCO sur son aspect « d’outil intellectuel ». L’avantage : ça ne mange pas de budget.
Le 27 avril 2017, donc, Pham développe les quatre points (un chiffre très asiatique) de sa stratégie devant les représentants réunis. Pour ensuite répondre aux questions de ses confrères. L’UNESCO a perdu de sa superbe depuis les années 70, date à laquelle les peuples aspiraient, pendant la Guerre froide, à une paix fragile dans une bipolarité rassurante. L’UNESCO symbolisait alors cette aspiration universelle à la paix, les deux grands allant finalement dans ce sens en réduisant leur arsenal nucléaire respectif. Il y a eu un rêve de paix, mais la fin de la bipolarité a dégelé les conflits enfouis, les différents fratricides, les polémiques frontalières et les appétits inévitables de voisins agressifs. Le monde est reparti dès la fin des années 70 dans un cycle de conflits tourbillonnants, symbolisés par la cassure de 1979 : invasion soviétique de l’Afghanistan, conflit entre le Viêt Nam et le Cambodge avec la rivalité sino-russe en toile de fond, prise d’otage wahhabite à La Mecque annonçant la constitution d’un front islamiste mondial anti-occidental, agression de l’Iran par le voisin irakien avec l’appui des occidentaux…
Alors, que peut l’UNESCO dans un monde en fusion et en fission permanentes, à part compter les coups ?
Selon Pham, l’UNESCO n’a pas de stratégie claire, à part d’être la chambre enregistreuse de couples projets-financements qui se suivent, comme dans n’importe quel organisme (privé ou public) philanthropique. Produire des idées sans avoir les moyens de les communiquer ou de les imposer peut paraître inutile. Le représentant de la République dominicaine rappelle que l’Organisation traverse une « crise financière sans précédent ». Les programmes en souffrent, les ressources humaines sont limitées, et la Direction revoit ses ambitions à la baisse. Que propose Pham à l’horizon 2030 dans ce sombre contexte externe et interne ?
Selon lui, les difficultés passagères ne doivent pas entamer la raison d’être de l’Organisation, qu’il place sur un plan plus philosophique que matérialiste. Une autorité morale et intellectuelle pour le monde, source d’idées et de pacification, voilà ce qu’il vise. Le défi est celui de la place et du rôle d’une Organisation en crise financière dans un monde en crise géopolitique, ce qui ne pose pas de problèmes pour un homme issu d’un pays qui a été bouleversé par la géopolitique et qui s’en est remis, avec application et ardeur ! Si l’analogie a ses limites, si l’UNESCO de 2017 n’est pas le Viêt Nam des années 60, venir d’un pays qui a souffert de l’impérialisme américain – opposé en tous points aux valaurs de l’UNESCO – donne une force particulière à la candidature de Pham.
Pham est un véritable non-aligné, comme son pays : le Viêt Nam, une république socialiste, n’est en réalité pas plus américanophile que sinophile. Son représentant ne roule pas pour des intérêts privés ou simplement nationaux, comme on l’a vu avec les représentants du Qatar ou de la France. Au milieu de toutes ses pérégrinations internationales – il a participé à une foule de sommets (ASEAN) – Pham a été « été membre des délégations vietnamiennes participant aux éditions du festival mondial de la jeunesse et des étudiants à Cuba (1997), en Algérie (2001) et au Venezuela (2004) ». Une carte de visite qui va au cœur des pays qui souffrent non seulement de l’hégémonie américaine dans le monde, de ses agressions répétées contre les souverainismes, mais aussi du blocage volontaire du fonctionnement des organisations internationales au niveau de leur charte (paix, sécurité). Un concours de non-solidarité dans lequel Israël et les États-Unis sont passés maîtres.
À la 73e minute de sa présentation, Pham est confronté à la question du représentant de l’Argentine :
« Si vous êtes élu Directeur général, comment allez-vous faire pour attirer les fonds nécessaires pour compenser notre déficit [de 50 millions de dollars] afin que nous puissions accomplir notre mandat ? Il y a une différence entre les contributions volontaires et les contributions obligatoires et ce n’est pas la même chose, et ceci est lié à l’éthique. Dans la mesure où le financement est nécessaire, l’obtenir ça peut être une source de pouvoir pour la personne qui l’obtient et ça peut influencer l’avenir de l’UNESCO. Comment allez-vous agir pour obtenir ces fonds qui malheureusement sont bien nécessaires ? »
Question qui met le Vietnamien face aux candidatures matériellement attractives du Qatar et de la France… qui combleraient partiellement le retrait américain. Car dans l’UNESCO, même si chaque État membre possède une et une seule voix, les apports financiers ne sont pas identiques : 25 grands contributeurs fournissent 75% du budget, et 70 États membres n’en assurent que 12%. Il va donc falloir aller à la pêche aux voix et à l’argent, tout en conservant un équilibre géopolitique au milieu de toutes les tensions et toutes les tentations !
Une candidature de résistance
En paupérisant l’UNESCO – qui est un rappel quotidien du manque d’éthique de l’empire – les Américains ont cherché à l’affaiblir et à la rendre dépendante. Le représentant vietnamien dit, en substance : serrons les dents, soyons solidaires, et nous vaincrons !
Pham, qui a visité 87 pays et vécu dans plusieurs d’entre eux, incarne les valeurs morales de l’UNESCO. Manager, négociateur, diplomate, communicant, politique, il présente toutes les qualités requises pour diriger une organisation qu’il connaît dans sa profondeur et dont se désintéressent Israël et les États-Unis. En effet, il n’est à Paris (siège de l’UNESCO) pas question de domination, de colonisation, mais d’éducation, de culture et d’art.