Le système a atteint ses limites, tout le monde le sait. Comme le ferait un mathématicien, peut-on analyser la trajectoire de la France d’après une triangulation à partir de sa politique étrangère, sa politique économique et sa politique intérieure ? Tel est l’exercice auquel s’est attaché le philosophe Michel Drac dans son dernier livre Triangulation : repères pour des temps incertains.
Michel Drac est essayiste et diplômé d’école de commerce. Il a créé le « concept fractionnaire ». Il se dit « persuadé que ce sont les minorités qui incubent les systèmes de représentation » et il suggère à la dissidence française de s’organiser en « contre-société fractionnaire », pour prospérer « à l’’intérieur de la société ordinaire » avant de prendre le contrôle de celle-ci par une stratégie méthodique d’’infiltration. Dans cet ouvrage, il invite le lecteur à envisager la France d’après, en estimant qu’il sera plus intéressant pour les Français de vivre après la France, que de vivre avec la France. Il nous explique sa vision de la France de demain.
Kernews : Vous analysez l’effondrement du système, tout en semblant dire que ce n’est finalement pas si grave, car on s’en sortira : l’esprit français perdurera. Est-ce le message que vous avez voulu faire passer ?
Michel Drac : J’ai voulu faire passer comme message l’idée qu’il y a un avenir après la fin du monde tel qu’on le connaissait. Aujourd’hui, il y a un certain nombre de gens qui refusent de considérer la fin d’un monde dans lequel ils ont vécu, qui était un monde où l’État-nation, incarné dans une certaine République, pouvait peser dans le monde et protéger sa population de façon efficace. La réalité, c’est qu’aujourd’hui cet État-nation a de plus en plus de mal à protéger sa population. D’ailleurs, on peut se demander dans quelle mesure c’est encore la mission que les dirigeants s’assignent, étant donné la politique qu’ils déploient… C’est une question que l’on peut se poser. D’autre part, il n’est pas certain que l’état, même dégradé, dans lequel se trouve notre État-nation puisse perdurer encore au-delà de quelques années. Mais, après, il y a un avenir. Ou cet État-nation se transforme, paradoxalement en revenant à un certain nombre des fondamentaux qu’il a perdus en s’adaptant à la mondialisation, ou il invente une nouvelle façon de protéger sa population en se refondant, ou il disparaît… Mais dans le cas où il disparaît, la population est toujours là et elle peut toujours faire face à l’avenir. L’État-nation est en train de se briser, mais il n’est pas le seul. La superstructure que les classes dirigeantes ont essayé de construire au-dessus de l’État-nation, en partie pour le délier de ses missions, à savoir l’Union européenne, est aussi en train de se briser. Paradoxalement, le fait que les structures super-étatiques que l’on a voulu construire tombent encore plus vite que les États-nations qu’elles étaient chargées de démanteler peut ouvrir des portes inattendues à la refondation de l’État-nation.
On entend souvent cette phrase : « Oui, c’est foutu… ». Or, les mêmes qui reconnaissent que la France est au bord du gouffre, vous les retrouvez plus tard projetant leurs espoirs sur des gens comme Alain Juppé, Manuel Valls, Arnaud Montebourg, Nicolas Sarkozy… En s’efforçant ainsi de se raccrocher à un sauveur potentiel, le peuple espère-t-il inconsciemment recréer un jour un grand pays ?
Si l’on regarde les fondamentaux de la puissance au XXIe siècle, la France n’a pas les moyens de redevenir un grand pays. C’est quelque chose qu’il faut intégrer. La France n’est pas un pays négligeable, c’est une puissance moyenne qui pourra peser dans le débat au XXIe siècle. Mais, si l’on regarde les fondamentaux de la puissance au XXIe siècle, elle a assez peu de chances de redevenir un grand pays. Je ne vois pas très bien comment une France peuplée par 70 millions de personnes, avec un âge moyen de 45-50 ans, va pouvoir s’imposer dans un monde où les poids lourds sont les États-Unis avec 400 millions d’habitants, une Chine avec 1,4 milliard d’habitants et une Inde à 1,4 milliard d’habitants. Ou encore une Russie, qui a certes des problèmes démographiques, mais qui est appuyée sur son gigantesque potentiel territorial et de matières premières.
Certains vous répondront que c’est l’Europe qui peut porter cet espoir…
C’était en partie l’idée des classes dirigeantes et cette idée n’était pas stupide. On peut imaginer, effectivement, qu’une Europe qui soit vraiment européenne et qui poursuive réellement comme objectif de constituer un pôle de puissance le devienne. Le problème, c’est que ce que nous appelons aujourd’hui l’Europe n’est pas l’Europe. On le voit bien avec le Traité transatlantique. Ce que nous appelons l’Europe, par rapport aux États-Unis, aujourd’hui, c’est un peu ce que la Grèce assujettie à Rome a pu être au début de l’Empire romain. L’Europe des multinationales, l’Europe des lobbyistes, l’Europe de la soumission systématique aux intérêts américains, cela n’offre pas la possibilité de refonder un axe de puissance. Après, on peut imaginer une autre Europe qui serait tout à fait différente dans les visées qu’elle poursuivrait et aussi dans sa Constitution.
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