Y-aurait-il au sommet de l’Etat quelque hésitation à
abandonner les mauvaises habitudes d’un Système en déroute
?
On peut se le demander sérieusement, vu le choix
très étrange de l’Etat de ne pas entrer dans le capital
des 6 grandes banques françaises qu’il vient de renflouer à
hauteur, excusez du peu, de 10,5 milliards d’euros (70
milliards de francs).
Pourquoi
l’Etat a-t-il fait un tel cadeau aux banques en choisissant de leur
acheter des obligations, ce qui ne lui donnera aucun titre de
propriété, et aucun droit de regard sur leur
gouvernance ? Pour la même somme, il pouvait réaliser
une augmentation de capital, acquérir des actions,
prendre le contrôle d’une partie des établissements, et
se rémunérer par les dividendes. Voilà qui
aurait permis de justifier un peu plus facilement une dépense
aussi gigantesque.
Selon le plan mis au point en effet, et du
fait du récent krach boursier qui a fortement déprécié
la valeur des banques, l’Etat serait aujourd’hui propriétaire
de :
11%
du Crédit Agricole (aide de 3 milliards d’euros)
5%
de BNP Paribas (2,55 milliards d’euros)
6%
de la Société Générale (1,7 milliard
d’euros)
Si
les tensions persistent, l’Etat a par ailleurs annoncé qu’il
pourrait souscrire une deuxième tranche du même montant
début 2009, ce qui porterait sa participation à
respectivement 22%, 10% et 12%.
Voilà qui n’en ferait
certes pas un actionnaire majoritaire, mais qui lui assurerait
néanmoins d’être présent au Conseil
d’administration de ces établissements, d’obtenir plus
facilement de l’information, et de peser sur leurs choix
stratégiques, en termes de contrôle des dirigeants, et
de services aux clients et aux entreprises, PME notamment.
Au
lieu de ça, l’Etat préfère distribuer l’argent
du contribuable, sans garantie en échange. Simplement de
vagues promesses de s’attaquer au problème par le petit bout
de la lorgnette,
celui des parachutes dorés. Une goutte d’eau dans un océan
de dysfonctionnements majeurs.
Serge Maître, président
de l’AFUB, Association Française des Usagers des Banques, a
déjà prévenu : il s’agit selon lui d’un "superbe
cadeau fait aux banques", mais "les banquiers vont garder
toute leur liberté quant à la distribution du crédit,
notamment quant à la définition des critères
d’octroi de ces crédits". Or, ajoute-t-il, "on sait
qu’actuellement ils ont un réflexe prudentiel et sécuritaire
exacerbé et on ne voit pas ce qui les inciterait à
prendre plus de risques".
Effectivement, par
ce choix d’aider les banques sans contrepartie, l’Etat leur a
laissé toute liberté de manoeuvre, comme s’il
s’interdisait par idéologie d’entrer dans leur capital.
La nationalisation reste un gros mot à Bercy, à
Matignon et à l’Elysée. Englué dans 25 ans de
réflexes libéraux anti-étatistes, les yeux
encore pleins d’étoiles bruxelloises, l’Etat UMPS-Modem a du
mal à faire sa mue et à comprendre ce qui se passe. Il
ne lui semble manifestement pas envisageable que le Système
euro-libéral soit touché au coeur, et qu’il ne
s’en relève pas, alors que la crise était parfaitement
prévisible. L’économiste Michel Aglietta, pour ne citer
que lui, sillonne depuis des années le monde pour
l’annoncer de conférences en conférences. On dit même,
mais ne le répétez pas, que ce ne serait pas fini, que
d’autres bulles fondées sur du vent, le gigantesque bazar des
"produits dérivés", pourraient nous exploser
à la figure d’ici peu...
L’Etat UMPS-Modem semble
incapable de se remettre en cause et de s’adapter. La constitution
d’un grand pôle financier et bancaire public, qui sonne comme
une mesure de simple bon sens après le constat de l’échec
du Système à s’autoréguler, est une idée
qui ne probablement ne lui est même pas encore venue à
l’esprit.
On
peut se demander combien de temps ce déni de réalité
durera.
Un grand directeur de Bercy dans une récente conférence
expliquait qu’il "fallait se convaincre qu’il ne s’agit que d’un
spasme, et que tout rentrera dans l’ordre".
Voilà qui
résume parfaitement l’état d’esprit de ceux qui nous
dirigent. Ils y croient encore sincèrement à leur
Système. S’ils le pouvaient, ils recommenceraient demain comme
si de rien n’était, avec leurs swap, leurs put, leurs call,
leurs CDS et autres joyeusetés cac-quarantiennes.
Mais
les faits sont têtus. Si par idéologie l’Etat
aujourd’hui refuse encore de soustraire au marché une
partie du système financier et bancaire, il sera contraint de
prendre ses responsabilités demain.
Il guérira, à défaut d’avoir su prévenir
le mal pourtant diagnostiqué depuis longtemps. En
espérant que d’ici là il n’y aura pas eu trop de
casse.
Reste à savoir si le Système UMPS-Modem
en place, et sa meute de journalistes et d’experts en expertises,
sera capable le moment venu de se remettre en cause... Probablement
pas. Il
est donc plus que temps d’hâter la fin de son règne
désastreux.
F.P.