Lundi 3 avril, moins d’une semaine avant la venue de Dieudonné au Zénith de Toulon, Hubert Falco, maire de Toulon [photo], a émis un arrêté municipal interdisant la représentation du spectacle La Politique. Le vendredi 7 avril, le tribunal administratif de Toulon a suspendu l’arrêté. Le spectacle aura donc bien lieu ce soir à 20h au Zénith de Toulon.
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE TOULON
N° 1701059
S.A.R.L. « Les Productions de la Plume »
M. M’BALA M’BALA
M. C.
Juge des référés
Ordonnance du 7 avril 2017
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 5 avril 2017, la S.A.R.L. « Les productions de la Plume » et M. Dieudonné M’Bala M’Bala, représentés par Me Verdier, demandent au juge des référés, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) de suspendre l’exécution de l’arrêté du 3 avril 2017 par lequel le maire de la commune de Toulon a interdit la représentation du spectacle intitulé « La Politique », programmée le 8 avril 2017 au Zénith-Oméga de Toulon ;
2°) d’enjoindre au maire de la commune de Toulon de laisser se dérouler ce spectacle à la date prévue au Zénith-Oméga de Toulon ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Toulon la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
la société « Les productions de la Plume » a pris attache avec la société S.A.S. Oméga +, qui exploite le Zénith-Oméga de Toulon, au cours de l’année 2016 afin de réserver cette salle de spectacle ; le contrat de location de la salle a ainsi été conclu dès le 26 avril 2016 ;
l’arrêté contesté est quasi-identique à l’arrêté du 24 mars 2015 par lequel le maire de la commune de Toulon avait interdit un précédent spectacle de M. M’Bala M’Bala et qui a été suspendu par une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Toulon en date du 27 mars 2015 ; la situation est aujourd’hui la même qu’en 2015 ; aucune poursuite pénale n’a été engagée à l’encontre de M. M’Bala M’Bala depuis l’année 2014 ;
l’urgence à suspendre l’arrêté contesté est caractérisée, dès lors que plusieurs centaines de personnes ont déjà réservé et acheté leurs billets ; ils subissent une atteinte économique directe et sont à même d’invoquer la menace d’un préjudice important et imminent puisqu’en cas d’annulation du spectacle en cause, ils devront assumer le remboursement de ces réservations ; s’ajoute à cela une réelle frustration du public ;
le maire de la commune de Toulon ne fait état d’aucune manifestation ni d’aucun éventuel mouvement d’opposition à la tenue du spectacle en cause ; aucun élément n’apparaît de nature à faire craindre un risque de trouble à l’ordre public ; les spectacles de M. M’Bala M’Bala remplissent les salles de spectacle sans que jamais, depuis 2003, n’ait été constaté le moindre trouble ;
le spectacle en cause est joué à Paris depuis le mois de janvier 2017 ; il n’est nullement justifié que la ville de Toulon encourrait un risque ou un péril particulier en raison de son statut de premier port militaire français ; le maire de la commune se contente d’énoncer que le spectacle risquerait de « susciter de vives oppositions et tensions au sein de la population toulonnaise » sans pour autant faire état de risques concrets ;
le maire de la commune de Toulon n’explique pas en quoi l’interdiction prononcée serait le seul moyen de parvenir à sauvegarder l’ordre public ;
l’atteinte à la liberté d’expression est flagrante ; la liberté d’expression est une liberté fondamentale garantie tant par la Constitution que par l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; cette liberté comprend la liberté de l’expression artistique ; à ces dernières s’ajoute la liberté de réunion, protégée par la loi et par la jurisprudence, dans le respect de l’ordre public ; l’interdiction du spectacle en cause porte également atteinte à la liberté de travailler ;
les condamnations pénales prononcées à l’encontre de M. M’Bala M’Bala ne résultent pas de ses spectacles mais uniquement de ses réactions à des attaques personnelles ou à des provocations particulières ; les arrêtés d’interdiction des spectacles du comédien sont construits autour de l’exagération et s’inscrivent dans un contexte de gravité professorale là où l’artiste cherche à faire rire, ce que les spectateurs acceptent avec distance et intelligence au rebours d’une quelconque incitation à la haine raciale, parfaitement inexistante ; les propos qui ont été tenus dans de précédents spectacles et dont on estime qu’ils seront repris dans le spectacle en cause ne caractérisent aucune atteinte à la dignité humaine ;
il est manifeste que ce n’est pas le spectacle de M. M’Bala M’Bala qui est visé mais sa personne, ainsi que le phénomène que ce dernier suscite ;
l’interdiction est disproportionnée par rapport au risque allégué ;
les atteintes à la liberté d’expression et à la liberté du travail sont nécessairement des atteintes graves dans leur principe et dans leurs conséquences.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 avril 2017, la commune de Toulon conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge solidaire de la S.A.R.L. « Les productions de la Plume » et de M. M’Bala M’Bala la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
aucune situation d’urgence ne justifie en l’espèce le recours à la procédure de référé liberté ; la frustration subie par les spectateurs de M. M’Bala M’Bala n’est pas un élément utilement invocable par les requérants, dès lors que ces derniers ne subissent pas personnellement et directement ce préjudice ; en ce qui concerne l’atteinte économique, cette dernière n’est pas établie, dès lors qu’aucun justificatif des réservations effectuées, du montant des sommes à rembourser ou encore des dépenses engagées pour la location du Zénith-Oméga n’est produit ; en outre, l’urgence doit certes être appréciée en tenant compte de la situation des requérants, mais également des impératifs d’ordre public qui justifient la décision attaquée ; or, eu égard à l’objectif de préservation de l’ordre public, il n’existe aucune urgence à suspendre l’arrêté contesté ;
aucune illégalité grave et manifestement illégale n’est caractérisée, dès lors que les conditions permettant l’interdiction d’un spectacle sur le fondement des pouvoirs de police administrative du maire de la commune n’ont pas été méconnues ;
la publicité réalisée par les requérants autour du spectacle en cause, qui indique que le comédien « abordera, avec son humour qui le caractérise depuis maintenant 20 ans, sa vision de la politique française, internationale et de la place de l’Afrique dans le monde », laisse à craindre des propos particulièrement polémistes, déplacés et virulents à l’égard du monde politique en général et de certains hommes politiques en particulier en raison de leur origine ou de leur religion supposées ; ceci est d’autant plus préoccupant que le spectacle doit se tenir à seulement quinze jours du premier tour des élections présidentielles ; or, il est notoire que M. M’Bala M’Bala entretient des liens de proximité avec le Front National ainsi qu’avec l’écrivain polémiste Alain Soral, ce qui ne fait que renforcer le risque d’atteinte à l’ordre public ;
dans un contexte politique et sociétal fortement marqué par de nombreux attentats perpétrés depuis 2015 sur le territoire français, la seule présence d’un artiste qui a posté sur un réseau social « Je me sens Charlie Coulibaly » aurait pour effet de permettre à ce dernier de présenter un spectacle de nature à porter atteinte à l’ordre public ;
les digressions dont a été auteur M. M’Bala M’Bala sur le terrorisme ont eu un écho particulier au sein de la Ville de Toulon, premier port militaire français, dont les troupes sont régulièrement déployées afin de participer à la lutte anti-terroriste ;
il existe des réactions suscitées par l’annonce de la venue de M. M’Bala M’Bala pour la présentation de son spectacle ; les élus de la commune ont reçu des demandes d’interdiction de ce dernier ; ces manifestations d’opposition laissent craindre l’organisation d’un rassemblement spontané aux abords du Zénith-Oméga ainsi que des oppositions franches entre les partisans du comédien et ses opposants.
Vu :
l’arrêté contesté ;
les autres pièces du dossier ;
Vu :
la Constitution du 4 octobre 1958 ;
la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
le code général des collectivités territoriales ;
le code pénal ;
la loi du 30 juin 1881 sur la liberté de réunion ;
la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;
le code de justice administrative.
Le président du Tribunal a désigné M. C. en qualité de juge des référés en application de l’article L. 511-2 du code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique du 7 février 2017 à 9 heures 30 :
le rapport de M. C., juge des référés ;
les observations de Me Parisi, pour la commune de Toulon, qui développe les moyens exposés dans le mémoire en défense susvisé.
L’instruction a été close à l’issue de l’audience, en application de l’article R. 522-8 du code de justice administrative.
Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :
1. Considérant qu’aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures » ; qu’aux termes de l’article L. 521-4 du même code : « Saisi par toute personne intéressée, le juge des référés peut, à tout moment, au vu d’un élément nouveau, modifier les mesures qu’il avait ordonnées ou y mettre fin. » ;
En ce qui concerne l’urgence :
2. Considérant qu’une demande présentée au titre de la procédure particulière de l’article L. 521-2 du même code implique, pour qu’il y soit fait droit, qu’il soit justifié d’une situation d’urgence particulière rendant nécessaire l’intervention d’une mesure de sauvegarde dans les quarante-huit heures ;
3. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que la salle du Zénith-Oméga de Toulon a fait l’objet, dès le 26 avril 2016, d’un contrat de location en vue de la représentation, le 8 avril 2017, du spectacle de M. M’Bala M’Bala intitulé « La Politique » ; qu’il n’est pas sérieusement contesté que l’annulation de ce spectacle par l’arrêté contesté, quelques jours seulement avant la date prévue de sa représentation dans une salle pouvant accueillir jusqu’à 1 200 personnes, implique le remboursement des réservations déjà payées ainsi que la perte des engagements financiers déjà pris par les requérants, notamment le montant de la location de la salle, qui s’élève à hauteur de 12 148,80 euros, de sorte que la décision en litige est de nature à créer, tant pour la société « Les productions de la Plume », la productrice du spectacle, que pour M. M’Bala M’Bala, un préjudice financier d’une gravité suffisante pour caractériser une situation d’urgence au sens des dispositions précitées de l’article L. 521-2 du code de justice administrative ;
En ce qui concerne l’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale :
4. Considérant que la liberté d’expression est une condition de la démocratie et l’une des garanties de l’exercice des autres droits et libertés ; qu’il appartient aux autorités chargées de la police administrative de prendre les mesures nécessaires à l’exercice de la liberté de réunion ; que les atteintes portées, pour des exigences d’ordre public, à l’exercice de ces libertés fondamentales doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées ;
5. Considérant, en l’espèce, que pour justifier l’interdiction de la représentation du spectacle « La Politique » de M. M’Bala M’Bala, le maire de la commune de Toulon s’est fondé sur la circonstance que ce dernier tient fréquemment « des propos provocateurs à caractère raciste et antisémite », qui « font régulièrement l’objet de condamnations pénales », qui « portent atteinte à la dignité humaine et [qui] troublent l’ordre public » ; que le maire a également relevé, d’une part, que « la personnalité délibérément provocatrice et polémiste de l’intéressé est de nature à susciter de vives (…) tensions au sein de la population toulonnaise » et, d’autre part, que l’annonce de la tenue de son spectacle a suscité des « réactions d’opposition » ; qu’il a en outre fait valoir que le comédien a tenu, suite aux évènements terroristes qui ont frappé la France, de « graves propos faisant l’apologie d’actes de terrorisme » qui ont « particulièrement choqué la Ville de Toulon » qui, de par sa qualité « de premier port militaire de France, est particulièrement concernée par les opérations militaires de lutte contre le terrorisme » ; qu’il a conclut de ces motifs que « la représentation de M. Dieudonné M’Bala M’Bala est dès lors de nature à porter atteinte à l’ordre public » et que « la Ville de Toulon est dans l’impossibilité de remédier aux désordres susceptibles d’être occasionnés du fait de ce spectacle par des mesures de police autres que son interdiction » ;
6. Considérant, toutefois, qu’il ne résulte ni des pièces du dossier soumis au juge des référés ni des échanges tenus au cours de l’audience publique que le spectacle en cause, que M. M’Bala M’Bala a joué à Paris à compter du mois de janvier 2017, comporterait des propos à caractère raciste ou antisémite ou qu’il ait donné lieu, en raison de son contenu, à des plaintes ou à des condamnations pénales ; que la commune de Toulon n’apporte par ailleurs aucun élément de nature à établir que l’une des représentations de ce spectacle ait suscité des troubles à l’ordre public ; que ni le contexte national, ni la période électorale actuelle, ni enfin les éléments de contexte local mentionnés par le maire de la commune de Toulon, rappelés au point 4 précédent, ne sont, par eux-mêmes, de nature à établir l’existence d’un risque de troubles à l’ordre public ; que les diverses condamnations pénales dont a fait l’objet M. M’Bala M’Bala ne l’établissent pas davantage ; que si la commune de Toulon fait en outre valoir que ses élus ont reçu trois demandes d’interdiction du spectacle en litige, cette seule circonstance ne caractérise pas un risque de rassemblement spontané d’opposants au comédien tel qu’elle serait dans l’impossibilité de prendre les mesures de sécurité adaptées à la tenue de son spectacle ; qu’en conséquence, les motifs de l’arrêté attaqué ne sont pas de nature à valablement justifier l’interdiction prononcée ;
7. Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’en décidant l’interdiction du spectacle de M. M’Bala M’Bala alors qu’aucune circonstance particulière ne permet de tenir pour avéré le risque allégué de trouble à l’ordre public, le maire de Toulon a porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’expression et à la liberté de réunion ; qu’il y a lieu, par suite, sans préjudice de la mise en œuvre des dispositions de l’article L. 521-4 précité du code de justice administrative, d’ordonner la suspension de l’exécution de l’arrêté contesté ;
Sur les conclusions à fin d’injonction :
8. Considérant que l’exécution de la présente ordonnance implique qu’il soit enjoint au maire de la commune de Toulon de laisser se dérouler, le 8 avril 2017 dans la salle du Zénith-Oméga de Toulon, le spectacle de M. M’Bala M’Bala intitulé « La Politique », sauf circonstance ou élément nouveau en justifiant valablement l’interdiction ;
Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la commune de Toulon une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par les requérants et non compris dans les dépens ; que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font en revanche obstacle à ce que soit mise à ces derniers, qui ne sont pas la partie perdante dans la présente instance, la somme réclamée à ce titre par la commune de Toulon ;
Article 1er : L’exécution de l’arrêté susvisé du 3 avril 2017 par lequel le maire de Toulon a décidé l’interdiction du spectacle de M. M’Bala M’Bala, prévu le samedi 8 avril 2017 dans la salle du Zénith-Oméga de Toulon, est suspendue.
Article 2 : Il est enjoint au maire de la commune de Toulon de laisser se dérouler, le 8 avril 2017 dans la salle du Zénith-Oméga de Toulon, le spectacle de M. M’Bala M’Bala intitulé « La Politique », sauf circonstance ou élément nouveau en justifiant valablement l’interdiction.
Article 3 : La commune de Toulon versera à la S.A.R.L. « Les productions de la Plume » et à M. M’Bala M’Bala la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par la commune de Toulon au titre des dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à la société « Les productions de la Plume », à M. Dieudonné M’Bala M’Bala et à la commune de Toulon.
Fait à Toulon, le 7 avril 2017.
La République mande et ordonne au préfet du Var, en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente ordonnance.
Pour expédition conforme,