« Des petits patrons français échappent aux charges sociales en créant des sociétés en Angleterre ». Ils se prennent pour des multinationales ou quoi ?
C’est un dossier très emblématique de la France, dont les services fiscaux taxent lourdement, très lourdement, les artisans et les commerçants, qui ne sont pas tous riches, et qui laissent les grandes entreprises pratiquer tranquillement une énorme fraude fiscale. Ce que l’article de francetvinfo ne dit pas.
Si tous les indépendants doivent payer leurs charges sociales, que faire lorsque 45% de la richesse produite remonte dans les services d’un État qui lâche ensuite l’argent – on l’a vu dans le cas du RSI – avec beaucoup de « difficultés » ? Quand il ne poursuit pas avec une hargne indécente des gens qui finiront sur la paille... En regard de cette férocité fiscale, de grandes largesses sont accordées aux grandes entreprises, celles du CAC 40.
Mais il n’y a pas que les dinosaures du secteur privé qui bénéficient de la mansuétude des services fiscaux, il y a aussi ceux du service public. Beaucoup évitent ainsi de payer certains impôts ou charges aux municipalités ou à l’État en faisant pression sur l’emploi, le sacro-saint emploi.
Résumé : quand on est gros, on peut négocier, ou défiscaliser. Quand les petits se regroupent et le font, c’est l’halali. Tout le monde leur tombe sur le dos : fisc, Ursaff, presse... L’article qui suit ne prend évidemment pas en compte ces données macro-économiques.
Le cas des salons de coiffure qui ont alerté les autorités fiscales dans les années 90 est symptomatique du malaise des petits entrepreneurs indépendants. La fiscalité ne leur fait pas de cadeaux, d’où le jeu permanent de cache-cache avec les services du même nom. On ne va pas se mentir : si les commerçants et artisans ne faisaient pas un peu de « black », ou de cash qui échappe à l’œil étatique, ils seraient en grande majorité ratiboisés.
La France est bien la patrie des lois à la con et de l’hypocrisie.
Un cabinet des Côtes-d’Armor a aidé des centaines de commerçants et artisans français à ne pas payer leurs cotisations de sécurité sociale en leur créant une société outre-Manche. Une combine illégale mais qui dure depuis plus de vingt ans.
Savez-vous quel est le point commun entre la Serrurerie Objatoise, en Corrèze, la boulangerie Au four et au moulin à Pocé-les-Bois (Ille-et-Vilaine) et la Carrosserie auto de la vallée de Saint-Amans-Soult, à côté de Mazamet (Tarn) ? Ces trois sociétés qui fleurent bon le terroir français ont en réalité la même adresse de siège social : 1 Palk Street, à Torquay, dans le sud de l’Angleterre. La raison ? Toutes ont été voir le cabinet Setti, installé dans une zone industrielle à côté de Guingamp (Côtes-d’Armor). Cette société revendique avoir créé près de 3 000 sociétés britanniques pour le compte de petits patrons français avec un argument de vente : ils peuvent ainsi éviter de payer leurs cotisations au régime social des indépendants (RSI).
Un système astucieux mais illégal
L’astuce de Setti est de créer une société en Angleterre qui rachète l’affaire du commerçant ou de l’artisan. Cette « limited company » crée ensuite un établissement secondaire en France où va s’établir la réalité de l’activité. L’établissement secondaire étant immatriculé auprès d’un tribunal de commerce français, le patron continue à payer ses impôts en France. Même chose pour ses salariés qui restent sur des contrats de droit français. En revanche, le système autoriserait le gérant à ne plus payer ses cotisations sociales, soit environ 45% de ses gains. Sans compter que la revente de l’affaire initiale à la structure anglaise permet de créer des charges artificielles qui ouvrent droit à une grosse réduction d’impôt sur les sociétés pendant environ cinq ans.
Le patron de Setti, Pascal Michel, assure que ce système est « parfaitement légal » et qu’en 22 ans, il n’a « jamais eu de problèmes ». Pour rassurer les clients qui s’interrogent, il lâche sa phrase favorite : « On n’est pas des Cahuzac. Chez nous, tout est carré. On ne remonte pas les bénéfices dans des îles. »
- Capture d’écran de la page Facebook du cabinet Setti.
Les organismes de sécurité sociale dépassés
Pourtant, plusieurs spécialistes interrogés sont formels : ce genre de montage est illégal.
« Pour moi, c’est du tourisme social, explique Johan Zenou, avocat spécialiste de la sécurité sociale. L’activité réelle de la société se trouve en France, donc le gérant doit respecter la législation française. Je suis quand même très surpris qu’une société qui a pignon sur rue puisse proposer ce genre de choses de manière aussi décomplexée. »
Patrick Morvan, professeur de Droit social à l’université d’Assas confirme :
« On prétend parfois que le droit européen autoriserait à ne pas verser de cotisations en France. En réalité, c’est totalement faux. Les professionnels concernés s’exposent à de lourds redressements. »
Même son de cloche chez les fiscalistes consultés. Pour Johan Zenou, l’activité de Setti pourrait même être assimilée à de l’incitation à la désaffiliation de la sécurité sociale, une infraction pour laquelle ses dirigeants encourent jusqu’à deux ans de prison.
Du côté du RSI et de l’Urssaf, on reconnaît du bout des lèvres que ces montages sont hautement douteux. Mais comment se fait-il que Setti ait pu délocaliser à tour de bras depuis plus de 20 ans ? Selon Patrick Morvan, « le RSI est totalement débordé. La Cour des comptes a souligné qu’il ne faisait que quelques centaines de contrôles par an alors qu’il y a des millions de travailleurs indépendants ! »
Renseignements pris, le RSI ne contrôle que les entrepreneurs qui s’inscrivent auprès de lui. Et comme ces petits patrons ne sont plus affiliés… De leur côté, ni l’Ursaff, ni les parquets n’ont eu manifestement l’envie de regarder des dossiers par essence complexes. « Il est possible qu’ils aient été découragés par la perspective d’années de procédure et aient préféré se concentrer sur des cas plus simples », avance un avocat spécialiste du sujet.
Un système déjà utilisé il y a 20 ans
Dans les années 1990, une coiffeuse de Valence (Drôme) avait défrayé la chronique en délocalisant le siège de son salon en Angleterre pour échapper aux cotisations. D’autres artisans et commerçants l’avaient suivi, encouragés par la CDCA, la Confédération de défense des commerçants et artisans. Ce syndicat d’indépendants incitait les petits patrons à se désaffilier de la sécurité sociale, n’hésitant pas à faire le coup de poing lors de meetings politique ou à mettre à sac des études d’huissiers de justice.
À la suite de la mort de son leader, Christian Poucet, assassiné dans des circonstances mystérieuses, la CDCA périclite et les sanctions tombent. Un commerçant qui avait tenté l’aventure anglaise à cette époque, et qui est depuis rentré dans le droit chemin, raconte ainsi qu’il a été poursuivi par les organismes de sécurité sociale et lourdement redressé. Une décision qui confirme l’illégalité du système. Or, Pascal Michel, le fondateur de Setti, est un ancien militant de la CDCA, dont la Bretagne était un des bastions. Lui-même s’était fait la main en délocalisant le siège de sa poissonnerie de Bégard (Côtes-d’Armor) avant de monter Setti. Il considère d’ailleurs que son activité actuelle est la poursuite du combat qu’il menait alors.
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Un système condamné ?
Difficile d’estimer le manque à gagner pour la sécurité sociale des 22 ans d’activités de Setti. Si l’entreprise dit vrai sur ses « 2 500 à 3 000 sociétés créées », alors le préjudice peut être évalué à plusieurs centaines de millions d’euros. Néanmoins, deux gros nuages se présentent dans le ciel de cette société qui sponsorise parfois des voiliers de course. Tout d’abord, le Brexit risque de compliquer la situation de son entreprise. Et puis, depuis le 1er janvier 2018, le gouvernement a décidé d’en finir avec l’administration du RSI dont les missions ont été transférées à l’Urssaf. « Les Urssaf effectuent beaucoup plus de contrôles que ne le faisait le RSI. La donne pourrait changer », explique Patrick Morvan.