Ce samedi soir se tient la première édition de « Miss Black France ». Il s’agit, nous dit-on, de mettre la « beauté black » à l’honneur.
Mais Frédéric Royer, organisateur de l’événement, nous rassure immédiatement : « On n’a jamais dit que les candidates blanches étaient exclues. Si une femme blanche se présente l’année prochaine, on ne pourra pas la refuser. »
Mais Frédéric Royer ne nous dit pas, dans le cas où une femme blanche aurait l’idée saugrenue de s’inscrire à un concours si explicitement communautariste, si elle aura une chance de gagner... Puisqu’il s’agit de « mettre la beauté black à l’honneur », on peut en douter.
Monsieur Royer, en affirmant ceci ne veut que se mettre à l’abri d’éventuelles attaques pour discrimination. C’est qu’à force de refuser toute distinction, toute différenciation, de vouloir interdire toute séparation dans les statistiques, les castings ou les offres d’emploi, ceux-là mêmes qui veulent ainsi lutter contre le racisme sont pris à leur propre piège.
Mais s’agit-il même de racisme ? Non, le croire serait se tromper de catégorie. Ce serait simplifier la chose. Pourtant, a priori, elle est simple. Il s’agit juste de choisir qui, parmi une vingtaine de jeunes filles noires, est la plus belle. Pourquoi pas ? Après tout, pour toutes sortes de concours, on fait des catégories : les poids lourds combattent avec les poids lourds, les filles se mesurent à la course avec d’autres filles, les handicapés jouent contre d’autres handicapés, et personne n’y trouve matière à s’offusquer.
Mais, me direz-vous, ces catégories sont là pour regrouper ensemble des prétendants selon une échelle hiérarchique afin, justement, de les rendre homogènes à l’intérieur de ces catégories : les poids plumes, qui seraient défavorisés s’ils devaient lutter avec des poids lourds, sont mis ensemble, les filles qui courent moins vite que les garçons se mesurent entre elles, et les handicapés qui n’auraient aucune chance face à des valides sont eux-aussi mis à part.
On pourrait donc penser que regrouper des phénotypes similaires pour mesurer leurs beautés respectives participerait à une hiérarchisation de la beauté : il y aurait les blanches, les jaunes peut-être, et dessus, ou dessous, les noires. Mais on me rétorquera sans doute que non, qu’on fait bien des concours à l’intérieur de groupes se trouvant sur le même échelon, que les concours nationaux en sont le plus bel exemple.
Effectivement, on organise des championnats français, espagnols ou sénégalais, sans pour autant présumer d’une quelconque supériorité entre Français, Espagnols ou Sénégalais. Mais un Français ne crie pas à la discrimination parce qu’on le désigne en tant que Français et qu’il joue dans une équipe de France et non dans celle qui représente la Chine.
À l’inverse, peut-il sans doute ressentir une certaine fierté d’être français, mais sans pour autant ressentir nécessairement une supériorité de l’être. Là est toute la subtilité : être fier de ce que l’on est sans se penser supérieur. Mais cette subtilité est difficilement compatible avec l’esprit d’un concours ; un concours, c’est justement désigner celui qui sera le meilleur, le plus fort, le plus rapide ou le plus beau. C’est la hiérarchisation par excellence. Participer à un concours, vouloir le gagner, c’est vouloir la défaite des autres, c’est vouloir leur discrimination. Le gagnant aura la coupe, l’argent et les honneurs et le perdant n’aura rien.
Comment donc, dans cet esprit, prétendre qu’on rejette toute discrimination ? Et pourquoi la discrimination évidente de la laide, qui ne pourra pas non plus participer au concours, serait-elle moins grave que la discrimination de la blanche ou de la noire ? Parce qu’il n’y a pas d’association revendiquant la fierté d’être laide ? Et pourquoi n’y en a-t-il pas ? Parce que les laides ne se montrent pas en tant que telles. Parce qu’elles n’ont justement pas cette fierté d’elles-mêmes pour cette qualité-là, si on ose l’exprimer ainsi.
On peut donc dire que l’existence d’associations ou de groupes organisant des marches, effectuant des pressions ou mettant sur pied des concours, enfin toutes choses qui mettent en avant le groupe en tant que porteur d’une différence, est la manifestation du fait que cette différence n’est pas vécue en tant que souffrance intrinsèque. Elle peut être vécue comme souffrance par rapport à l’autre, comme objet discriminant envers celui qui ne porte pas cette différence, mais pas en tant que telle. En tant que telle, elle est déjà une fierté.
Et c’est donc à ce moment précis que les représentants de cette différence ne devraient pas en faire l’objet d’une hiérarchisation, d’une mise en concours entre soi, comme si, à peine est-on sortis d’un sentiment de hiérarchie par rapport à un groupe extérieur, il fallait le recréer à l’intérieur du groupe lui-même.