Eva Joly appuie où ça fait mal et cela rend les socialistes nerveux. Voire carrément en colère. Bertrand Delanoë, interrogé samedi sur l’accord qu’il a passé avec l’UMP pour dévitaliser le procès de Jacques Chirac sur les emplois fictifs de la ville de Paris, a ciblé la candidate présumée d’Europe Ecologie à la présidentielle de 2012. Le maire de Paris n’a guère apprécié l’interview dans Libération du week-end où l’ancienne juge dénonce une « faute politique » : « C’est un mauvais deal au très haut niveau qui traduit encore un mépris de la justice », y déclare Joly. Selon l’accord, l’UMP et Jacques Chirac versent les 2,2 millions d’euros de dommages et intérêts réclamés par la mairie de Paris, et cette dernière retire sa constitution de partie civile au procès prévu à la fin de cette année ou début 2011.
Réplique cinglante de Delanoë : « Madame Joly qui est une spécialiste du droit commet une erreur de droit : c’est bien les juges qui ont condamné l’UMP a payer la dette du RPR dans le procès Juppé. » Et pan. Contactée par Libération, Joly persiste et signe. « Cette affaire-là n’a rien à voir. Puisque l’UMP rembourse une dette qui n’a pas profité à l’UMP, mais à une vingtaine de particuliers recrutés pour leur proximité avec des notables RPR ayant bénéficié d’emplois de complaisance. Ils n’ont jamais travaillé. C’est cela qui est choquant et délictuel. » Et bing.
Delanoë laisse les journalistes en plan
Delanoë s’est par ailleurs lancé dans une longue tirade en forme de justification. Pas question de faire de « l’acharnement » vis-à-vis de Jacques Chirac alors que l’accord permet de récupérer l’intégralité des 2,2 millions d’euros soustraits aux contribuables parisiens. « Je ne suis pas dans la situation de confondre justice et vengeance » s’est défendu Delanoë. Refusant les habits de « leader de l’inquisition ». « Je poursuis la même attitude : vérité, reconnaissance des faits et réparation. Moi j’ai l’esprit de justice depuis neuf ans. Quelle collectivité locale est aussi rigoureuse ? » Quand Libération lui demande s’il comprend que cet accord puisse choquer les Français, Delanoë botte en touche : « Faites-vous élire au suffrage universel et vous représenterez les français ! », balance-t-il furieux, avant de tourner les talons et de planter les micros des radios.
Le maire de Paris prend très mal l’argumentation des écologistes – Joly et les Verts parisiens – selon laquelle il y aurait eu « de petits arrangements » entre l’Elysée et Delanoë. « Si un mec n’a jamais été dans la collusion, c’est bien lui », tempête un proche de Delanoë. Qui rappelle que les Verts avaient approuvé en 2003 un protocole similaire dans l’affaire du chauffeur de Marc Blondel, le patron du syndicat FO, indûment payé par la ville de Paris. Cette dernière avait alors obtenu le remboursement de 300 000 euros. « Sauf qu’il s’agissait-là d’un véritable emploi et non pas d’un emploi de complaisance », rappelle-t-on à Europe Ecologie.
Valls : « Un accord troublant »
« L’objectif de Delanoë n ’est pas d’envoyer Chirac à l’échafaud mais d’obtenir réparation pour les Parisiens. Les Français ne sont pas désireux d’un acharnement. Que la ville retire sa constitution de partie civile n’empêche pas le procès de se tenir. Ce ne sera pas forcément plus facile pour Chirac puisque ce remboursement est une forme d’aveu », rappelle ce proche de l’actuel maire.
Pascal Cherki, maire PS du XIV arrondissement, soutient aussi Delanoë : « On veut lui faire jouer le rôle de celui qui va terrasser Chirac. Ce n’est pas le sien. Le rôle de la ville n’est pas d’être le procureur dans cette affaire mais de récupérer l’argent. Jamais, au procès, la ville n’aurait demandé une condamnation. Le vrai scandale, c’est le parquet qui n’a pas déféré Jacques Chirac en correctionnelle. Il n’y a pas de contentieux politique entre Chirac et la ville mais un contentieux pécunier. »
De son coté, Anne Hidalgo, sa première adjointe, assurait n’avoir rencontré aucun Parisien choqué par ce deal.
Sur le parvis de l’espace Encan, lieu de l’université du PS, beaucoup de militants et quelques dirigeants socialistes tordaient pourtant le nez. « Cet accord est troublant, expliquait Manuel Valls. Cela peut donner le sentiment d’un arrangement. L’accord n’arrête pas la procédure judiciaire, mais il peut vider le procès de sa substance. » Même son de cloche de la part d’ Arnaud Montebourg : « Je ne suis pas tout à fait favorable à cette accord. Il donne le sentiment qu’il pourrait déboucher sur l’impunité. La loi est la même pour tous », juge le secrétaire national à la rénovation. « Je suis étonné. Delanoë a une certaine éthique, dans la veine jospinienne. Et là... Il a certainement voulu récupérer le fric pour son budget. Mais cela accrédite l’idée qu’il y a une justice pour les petits sanctionnés de suite, mais que les grands s’en sortent en faisant traîner des années les procédures », estime un militant socialiste du sud-ouest.
Aubry défend DSK
Mais Eva Joly ne déplait pas seulement à Bertrand Delanoë. Elle énerve aussi considérablement Martine Aubry. Lors de l’apéro-fruits de mer auquel la première secrétaire avait convié les journalistes vendredi soir, cette dernière a qualifié « d’honteux » les commentaires d’Eva Joly. Sur le deal Delanoë-Chirac. Mais aussi sur Dominique Strauss Kahn. « Je connais DSK, je l’ai mis en examen (dans un volet de l’affaire Elf, ndlr) » expliquait à Libération Eva Joly, précisant qu’elle avait, après enquête, rapidement délivré un non-lieu et blanchi l’actuel directeur général du FMI. Sauf que Martine Aubry n’avait visiblement été informée que de la première partie de la citation d’Eva Joly.
Martine Aubry a par ailleurs téléphone samedi matin à Cécile Duflot, la secrétaire nationale des Verts, pour lui dire qu’elle trouvait « inadmissibible » les sorties d’Eva Joly sur DSK et sur le protocole Delanoë-Chirac. Elle a fait les mêmes reproche à Jean-Vincent Placé, le numéro 2 des Verts présent à la Rochelle. « Aubry veut qu’Eva passe à autre chose », racontait ce dernier. Tout en maintenant la pression. « Sur le plan juridique, la transaction est classique, mais sur le plan politique, il faut qu’il s’explique. Car le protocole sera soumis au conseil de Paris ».
Les deux femmes politiques auront bientôt l’occasion de clarifier leurs positions puisqu’une rencontre est dans les tuyaux, confirmait la première secrétaire du PS.