D’un point de vue scénaristique, il est intéressant de constater qu’une partie importante des films hollywoodiens qui s’exportent le plus facilement (au moins dans le reste de l’Occident) contient des références innombrables aux thèmes constitutifs du roman national des Etats-Unis.
La résonance que ces thèmes (classiques ou modernes) produisent dans les esprits non-étatsuniens s’explique autant par la volonté d’Hollywood de vendre au maximum ses produits que par la forte prédisposition de certaines populations à les recevoir positivement.
Le ressort scénaristique principal de cette tendance des thèmes proprement étatsuniens à résonner dans les esprits non-étatsuniens réside sans doute dans le passage subreptice du réel à la fiction, dont nous avons déjà parlé dans plusieurs articles. Notamment, l’extension des thèmes constitutifs du "roman américain" se produit souvent grâce à leur transposition, dans la fiction, à l’humanité entière. Quels sont ces thèmes ? La liste non exhaustive ci-dessous en présente les principaux, illustrés d’exemples de films dans lesquels ils sont développés.
Nouveau Monde, Terre promise et peuple élu :
2012 (Roland Emmerich, 2009) : à la fin du film, le continent africain représente la terre d’asile et d’espoir de l’humanité entière. Seuls quelques élus embarqués sur des bateaux ont survécu à l’apocalypse. La découverte, l’exploration et la domestication d’un Nouveau Monde, thème étatsunien par excellence dans le monde réel, devient dans la fiction celui de l’humanité entière. (L’une des dernières images du film, photo ci dessus)
Avatar (James Cameron, 2009) reprend également le thème du Nouveau Monde, mais cette fois d’un point de vue qui se veut indigène, soulignant les conflits d’intérêts causés par la colonisation. On peut voir une forte correspondance entre les Na’vis fictifs et les Indiens d’Amérique réels, mais aussi une transposition plus moderne du même thème à travers l’exploitation brutale des ressources du sol à l’aide de la conquête militaire et au détriment des peuples locaux.
Libération du joug étranger comme mythe fondateur (réunificateur) de la nation
Independence Day (Roland Emmerich, 1996) : la Révolution américaine, au cours de laquelle le "peuple" des colonies anglaises du Nouveau Monde se serait soulevé contre l’Angleterre*, est prise implicitement comme référence et transposée maladroitement à l’humanité entière dans sa résistance à l’impérialisme extraterrestre. La correspondance est loin d’être parfaite, puisque dans le film, l’envahisseur n’occupe pas les lieux. Mais elle est néanmoins utilisée directement pour élargir la portée du film, au moins dans le titre et dans le monologue fameux du président.
Les Etats-Unis : une puissance bienveillante
Dans Star Trek (J. J. Abrams, 2009), l’entité militaire appelée Starfleet constitue une puissance pacificatrice et bienveillante. C’est une organisation internationale. Au sein même de l’Enterprise, l’équipage représente à lui tout seul un panel d’origines nationales différentes. Bien entendu, Kirk, intrépide et courageux, au physique si typiquement étatsunien, en deviendra le capitaine. Il est possible de voir là une transposition dans la fiction de la position réelle des Etats-Unis dans les organisations mondiales réelles à vocation prétendument pacificatrice et humanitaire.
Les Etats-Unis : une puissance hégémonique
Dans Armageddon (Michael Bay, 1997), l’hégémonie des Etats-Unis sur le reste du monde est symbolisée par sa suprématie scientifique et technique. Cette double compétence l’autorise à devenir leader de l’exploration spatiale et, corrélativement, à organiser la protection du monde face aux menaces venues de l’espace. Dans le film, les deux entités centrales sont la NASA et un groupe d’ouvriers/ingénieurs en extraction pétrolière. La maîtrise de l’espace y est présentée comme une condition de sécurité de l’humanité entière, pas seulement des Etats-Unis. C’est une prolongation du thème précédent : le leadership des Etats-Unis est bienveillant, il protège l’humanité du chaos (il n’est pas interdit de voir dans l’astéroïde un symbole de la destruction aveugle en général, à laquelle certains essaient de raccrocher le terrorisme, et ce depuis bien avant le 11 septembre 2001).
Lutte contre le terrorisme
S’il constituait déjà un thème notable avant 2001 (voir par exemple Arlington Road, Mark Pellington, 1998), le terrorisme occupe désormais une place importante dans beaucoup de productions hollywoodiennes.
Cloverfield (Matt Reeves, 2008) nous explique que le terrorisme est inhumain, monstrueux, et qu’il peut frapper n’importe quelle partie de la population mondiale, y compris ceux qui se sentent les plus protégés (et, parmi eux, même les plus nantis).
Die Hard 4 (Len Wiseman, 2006) suggère que le terrorisme peut aussi venir de l’intérieur des pays occidentaux, d’où la nécessité de perfectionner notamment le système de défense contre la cyber-criminalité.
The Dark Knight (Christopher Nolan, 2008) s’interroge : comment combattre ce nouvel ennemi, imprévisible, monstrueux, complètement cinglé, semant le chaos pour le plaisir ? La loi est-elle suffisante, ou faut-il se reposer aussi sur la force clandestine (hors-la-loi), bien plus efficace ? Moraliser le capitalisme
Inside Man (Spike Lee, 2005) nous invite à moraliser la banque. Bien entendu, il ne s’agit pas de pointer la domination mondiale du pouvoir bancaire et l’exploitation des peuples qui en résulte. Le film se contente de raconter comment un banquier new-yorkais s’en est mis plein les poches en collaborant avec le régime nazi. Ou comment brosser un thème porteur tout en retournant soigneusement le propos pour ne froisser personne, et ainsi gagner sur tous les tableaux.
The Social Network (David Fincher, 2010) s’interroge : le capitalisme moderne est-il moral ? Comme dans Inside Man, on individualise radicalement le propos en mettant en scène un super-capitaliste ayant franchi toutes les bornes de la morale. Ou comment suggérer la responsabilité des individus pour mieux éviter de dire que c’est tout le système économique qui porte en lui l’immoralité.
Une hégémonie sur le déclin
Le thème du déclin de l’hégémonie des Etats-Unis est relativement nouveau, car il correspond à une situation récente. Il y a fort à parier qu’Hollywood s’en emparera et le placera au centre de certaines de ses prochaines superproductions. Bien entendu, la finalité ne sera pas de tenir un propos politique, mais simplement de plaire au plus grand nombre, ce qui est la condition pour continuer de vendre ses produits.
La bande-annonce de Transformers 3 (Michael Bay, 2011) semble indiquer que le film mettra en scène une humanité confrontée à la révélation suprême : "We’re not alone after all, are we ?" ("Nous ne sommes plus seuls, c’est ça ?"). La rencontre d’une espèce extra-terrestre sur la Lune (où, dans l’imaginaire, les Etatsuniens représentaient l’humanité entière) servira peut-être à évoquer la prise de conscience réelle par les élites étatsuniennes que certaines forces extérieures ont envie d’en découdre et souhaitent de tout coeur la fin de leur domination sur le monde.
On voit donc qu’un certain nombre de thèmes constitutifs de ce que l’on peut appeler le "roman national américain" (un ensemble des mythes plus ou moins basés sur des événements réels, qui construisent une perception cohérente de l’histoire des Etats-Unis et des valeurs à l’oeuvre dans cette histoire) sont développés dans des scénarios hollywoodiens très largement diffusés à travers le monde. L’industrie étatsunienne du spectacle joue un rôle prédominant dans le maintien et l’actualisation permanente de cet imaginaire national, ainsi que dans son exportation mondiale.
Mais la popularité mondiale de ce type particulier de cinéma ne s’explique pas uniquement par la volonté d’une industrie du spectacle de diffuser au maximum ses produits. Il faut également prendre en compte le fait que ces produits pénètrent d’autant plus les marchés nationaux que les cultures nationales en question ont déjà été largement pénétrées par la culture des Etats-Unis depuis des décennies. En 2011, il est sans doute plus facile pour un film hollywoodien de trouver un public français qu’il ne l’aurait été pour le même film en 1965 (toutes choses égales par ailleurs).
* En réalité, il semble (et il paraît très logique) que la Révolution dite "américaine" a plus constitué la victoire d’une certaine élite oligarchique des colonies sur une certaine élite anglaise que celle du peuple des Etats-Unis sur l’oppresseur étranger. Au sortir de la "révolution", le peuple ne s’est pas libéré de l’oppression ; il a simplement changé d’oppresseur. Voir notamment Howard Zinn, Une Histoire populaire des Etats-Unis, chapitre V.