Bonjour chez vous ! est une émission quotidienne de Public Sénat. Dans cette matinale, Oriane Mancini reçoit des invités politiques, tirés du personnel politique mainstream, car il y a le personnel politique mainstream, et le personnel politique non mainstream que l’on ne voit jamais à la télé. Ce lundi 9 mars 2020, Oriane interroge le député européen EELV – écolo – David Cormand. Plusieurs thèmes de l’actualité sont abordés. Nous avons retenu celui qui nous semble emblématique de l’idéologie verte : la pression migratoire européenne à la frontière gréco-turque.
En quoi consiste le conflit migratoire gréco-turc ?
Pour résumer, Erdogan veut envoyer des centaines de milliers de migrants résidant actuellement en Turquie dans l’Union européenne via la frontière grecque. Quand on connaît le différend frontalier gréco-turc, l’occupation d’une partie de Chypre par les troupes turques depuis 1974, et le chantage migratoire permanent d’Erdogan à l’Europe (qui lui refile 3 milliards depuis 2016 pour garder ses 3 millions de migrants, en majorité syriens), on comprend qu’il se passe là quelque chose de très politique, c’est-à-dire qui nous concerne tous.
France 24 a fait un court sujet sur la situation sur place :
« Le gouvernement turc accuse notamment les policiers grecs d’utiliser des balles réelles contre les migrants, et d’avoir tué trois personnes. Si Athènes a démenti, les inquiétudes grandissent du côté des défenseurs des droits de l’homme, qui s’opposent à la suspension, pendant un mois, de toutes les demandes d’asile et aux retours forcés des migrants vers la Turquie. Ils constatent également que nombre d’entre eux ont été refoulés violemment vers la Turquie, dépouillés de leurs biens et battus par la police grecque ou par des milices de citoyens grecs qui ont décidé de participer à la défense des frontières de leur pays. » (Le Monde)
Les migrants veulent forcer le barrage grec, les Turcs les y invitent, les Grecs font usage de la force. De l’autre côté, côté grec, la population a de plus en plus de mal à supporter la présence de dizaines de milliers de migrants sur son sol, les grecs affrontant déjà de fortes difficultés économiques. Mais l’UE paye pour cela, et les îles grecques de Lesbos, Chios et Samos accueillent par exemple 42 000 étrangers. Dans ces camps règnent la violence et la précarité, et ces « cités de transit » ne mènent en réalité nulle part. Ce sont des camps de prisonniers à ciel ouvert. Traduction, l’UE refile du fric au gouvernement grec pour qu’il conserve ces problèmes ambulants chez lui.
Pour info, 10 000 migrants ont quand même franchi la frontière gréco-turque en une journée...
Le nouveau Premier ministre grec, le conservateur Kyriákos Mitsotákis, s’est logiquement énervé :
« L’Europe considère les pays d’arrivée comme la Grèce comme un lieu de stationnement commode pour les réfugiés et les migrants. Est-ce cela la solidarité européenne ? Non. Je n’accepterai plus cela. »
Bref, ça craque de partout, entre les Turcs qui exercent leur chantage à l’invasion migratoire sur l’UE et la Grèce qui ne peut pas se permettre de gérer un tel flux, qui plus est surnuméraire.
David Cormand, lui, voit les choses autrement, avec ses grandes lunettes roses d’humaniste européiste :
Les dirigeants européens ont survolé en avion militaire la frontière greco-turque : @DavidCormand dénonce "ce qui semblait être une ligne de front". "Les femmes et les hommes qui essayent de rejoindre l'Europe ne sont pas des envahisseurs" #BonjourChezVous pic.twitter.com/DTk6VOwl5L
— Public Sénat (@publicsenat) March 9, 2020
L’Union européenne, qui s’est élargie à 27 membres, ne trouve pas d’accord interne sur une politique migratoire commune. Certains pays ferment leur porte aux migrants, c’est le cas en gros du groupe de Visegrad, d’autres en accueillent pour des raisons économiques, c’est le cas de l’Allemagne, mais la plupart des peuples européens, étranglés par leurs difficultés économiques grandissantes (et les politiques néolibérales qui y sont menées), n’en veulent pas. Égoïsme ou volonté de survie économique et culturelle légitime, il y a sûrement des deux.
Cormand, qui représente les écolos européens, insiste sur le drame humanitaire des migrants et demande une réponse humaniste qui correspond aux valeurs de l’Union. Le journaliste du groupe de presse EBRA, assis à côté de lui, va tenter de le raisonner...
David Cormand : « Vous avez vu ces images, moi franchement en tant que député européen je me suis senti insulté. Avec monsieur Michel, président du Conseil, madame Vanderleyden, présidente de la Commission, et monsieur Sassoli, président du Parlement, qui ont pris un avion militaire pour survoler ce qui semblait être dans leur esprit une ligne de front, c’est la frontière entre la Grèce et la Turquie, en parlant de la Grèce comme le bouclier de l’Europe, enfin, on est en train de parler d’êtres humains !
Moi je le rappelle toujours : on pense que l’Europe ce sont des frontières. L’Europe, avant tout, plus que des frontières, ce sont des valeurs. Quand on a fait l’Union européenne au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale c’était au nom de valeurs, humanistes ! Le refus de ce qu’avait été le chaos, l’ignominie de la Deuxième Guerre mondiale. Et aujourd’hui, 70 ans après, on a les dirigeants de l’Union européenne qui donnent à voir ces images-là. Dans quel imaginaire on est ?
Les femmes et les hommes qui essayent de rejoindre l’Europe ne sont pas des envahisseurs, ce sont des personnes qui sont en train de risquer la mort dans leur pays et qui veulent juste survivre et donc l’Union européenne doit être à la hauteur de ces valeurs. »
Pascal Jalabert : « Mais on a quand même des opinions publiques qui sont réticentes à cet accueil massif... »
David Cormand : « Je sais pas, je sais pas. »
Pascal Jalabert : « Vous savez pas ? »
Rappel : les migrants qui « risquent la mort dans leur pays » viennent surtout de Syrie, où le conflit est désormais circonscrit à la région d’Idlib, d’Iran, où le pays n’est pas en guerre, et d’Afghanistan, qui vient de connaître un cessez-le feu entre Talibans et Américains. Certes, la vie y est difficile, mais on ne peut pas parler de risque de mort comme dans les années très dures du conflit syrien, quand les terroristes, soutenus par les forces occidentales, dont les grands pays européens – ironie de l’histoire ! –, attaquaient de toutes parts le pays de Bachar al-Assad. Les dirigeants de l’UE ont le problème qu’ils méritent. Malheureusement, ce sont leurs peuples qui trinquent.